CHAPITRE VIII
— Mangez, dit Shryne, forçant une Olee Starstone distraite à accepter sa part des rations qu’il avait sorties de sa ceinture. Nous ignorons quand nous aurons une autre chance de nous restaurer.
Plusieurs heures avaient passé depuis qu’ils avaient fui le lieu de rendez-vous. Il était minuit, maintenant. Ils étaient dans un entrepôt désert, non loin du pont le plus au nord de la cité, vêtus des vêtements des mercenaires qu’ils avaient pris par surprise derrière la Tour Argente.
— Il arrivera peut-être un moment où nous serons obligés de nous défaire de nos comlinks, de nos transrécepteurs et de nos sabres laser, continua Shryne. Être fait prisonniers pourrait être notre seule chance de quitter Murkhana.
— Devrions-nous utiliser l’influence de la Force ? demanda Starstone.
— Ça marcherait peut-être sur un ou deux soldats, mais pas sur une unité entière, et encore moins sur toute une compagnie.
Chatak observa sa Padawan.
— Il s’agit de survivre jusqu’à ce que la République soit victorieuse.
Shryne, qui levait un paquet de ration à sa bouche, suspendit son geste quand son transrécepteur se mit à vibrer.
Il le sortit d’une poche de ses robes koorivar et le regarda en silence.
— Des soldats, peut-être, cherchant notre fréquence.
Shryne étudiait le petit écran.
— Non, c’est une transmission codée venant du Temple.
Chatak s’empressa de venir se placer près de lui pour regarder par-dessus son épaule.
— Pouvez-vous la déchiffrer ?
— Ce n’est pas un simple Trente-Neuf, répondit-il, faisant référence au code que les Jedi utilisaient pour se localiser les uns les autres en cas d’urgence. Donnez-moi quelques instants.
Quand la transmission fragmentée recommença depuis le début, il se tourna vers Chatak, incrédule.
— Le Haut Conseil rappelle tous les Jedi sur Coruscant !
Chatak en resta sans voix.
— Aucune explication, ajouta Shryne.
Chatak se leva et s’éloigna.
— Qu’a-t-il pu se passer ?
Il réfléchit.
— Grievous pourrait avoir attaqué Coruscant.
— Peut-être, dit-elle. Mais ça n’explique pas la déloyauté des clones.
— Peut-être se sont-ils révoltés dans toute la galaxie ? suggéra Starstone. Les Kaminoens pourraient nous avoir trahis. Toutes ces années, ils ont très bien pu être en ligue avec le Comte Dooku. Ils pourraient avoir programmé les clones pour se soulever le moment venu.
Shryne regarda Chatak.
— S’arrête-t-elle jamais ?
— Je n’ai pas encore trouvé l’interrupteur.
Shryne alla jusqu’à la fenêtre la plus proche et regarda le ciel nocturne.
— Les chasseurs stellaires de la République se poseront sur la plate-forme en fin de matinée.
Chatak se joignit à lui.
— Alors, Murkhana sera conquise.
Il se tourna vers elle.
— Nous devons gagner la plate-forme. Les soldats ont reçu leurs ordres, et nous avons les nôtres. Si nous pouvons nous emparer d’un chasseur, nous serons peut-être en mesure de regagner Coruscant.
Durant la longue nuit et la matinée, les hautes fenêtres de l’entrepôt laissèrent entrer les explosions de lumière produites par la lutte acharnée à laquelle se livraient les forces de la République et les Séparatistes. La bataille pour la plate-forme d’atterrissage continua de faire rage jusqu’en début d’après-midi, mais les Séparatistes battaient en retraite par les deux ponts encore intacts, abandonnant la défense de la plate-forme aux droïdes araignées et aux tanks.
Quand les Jedi atteignirent enfin le pont le plus au nord, il était si encombré par les Séparatistes et les mercenaires en fuite qu’ils eurent beaucoup de mal à avancer à contre-courant. La traversée, qui en temps normal aurait dû leur prendre une heure, leur en prit trois. Le soleil était déjà bas sur l’horizon quand ils en atteignirent le bout.
Ils étaient tout près de mettre le pied sur la plate-forme elle-même quand une succession de puissantes explosions emporta les derniers cent mètres du tablier et scinda l’hexagone en trois. Des centaines de clones, de mercenaires et de droïdes tombèrent dans la mer déchaînée.
Shryne savait que les Séparatistes étaient responsables de ce sabotage. Avant longtemps, des munitions dissimulées sous le tablier du dernier pont sauteraient à leur tour. Mais il serait déjà trop tard : les forces de la République avaient envahi la cité.
Pendant que des mercenaires le bousculaient, Shryne observa la forêt de pylônes, que les explosions avaient révélée. Il calcula la distance entre eux et estima les chances de réussir ce qu’il avait à l’esprit.
Enfin, il dit :
— Soit nous sautons de pylône en pylône pour atteindre la plate-forme, soit nous retournons sur nos pas. (Il regarda Starstone.) À vous de décider.
Les yeux bleus de la Padawan brillèrent.
— Aucun problème, Maître. Nous sautons !
Shryne faillit sourire.
— Un pylône à la fois ! dit-il.
Chatak passa un bras autour des épaules de sa Padawan.
— Espérons qu’aucun clone n’aura la mauvaise idée de regarder dans notre direction.
Shryne montra leurs accoutrements.
— Nous ne sommes que d’agiles mercenaires.
Chatak partit en tête, suivie par Starstone. Shryne attendit qu’elles soient à mi-chemin pour s’engager à son tour. Les premiers sauts furent relativement faciles, mais plus il approchait de la plate-forme, plus la distance entre les pylônes augmentait, et leurs sommets étaient en dents de scie.
Il faillit perdre l’équilibre au cours de son avant-dernier atterrissage, et ses mains arrivèrent bien avant ses pieds quand il sauta pour la dernière fois.
Heureusement, Starstone le rattrapa à la dernière seconde, avant qu’il ne plonge dans la mer.
— Rappelez-moi de mentionner ça au Conseil, Padawan, dit-il.
La plate-forme était bombardée, mais pas au point de ne plus pouvoir être utilisée. Sur l’une des sections, des vaisseaux atterrissaient, ainsi que des transports de troupes. Partout, les droïdes séparatistes étaient mis hors d’état de fonctionner, puis de nuire avant qu’ils n’aient eu le temps de se réactiver, par des Ailes-V et des ARC-170.
La nuit étant en train de tomber, les Jedi se frayèrent un chemin entre les feux et les explosions. Ils utilisèrent les blasters qu’ils avaient pris en même temps que leurs déguisements au lieu de leurs sabres laser pour se défendre contre les commandos et les soldats – sans en tuer aucun.
— Savez-vous piloter un vaisseau ? demanda Shryne à Starstone.
— Seulement les intercepteurs, Maître. Mais sans l’aide d’un droïde astromécanicien, je doute de pouvoir en piloter un jusqu’à Coruscant. Et je ne suis jamais montée dans une Aile-V.
Shryne réfléchit.
— Il nous faut donc un ARC-170.
Il montra un bombardier du doigt – le vaisseau se posait, probablement pour se réapprovisionner en carburant.
— Voilà notre transport. Il y a assez de place pour nous trois, et il est capable de voyager dans l’hyperespace.
Chatak observa l’équipage pendant un instant.
— Il va peut-être falloir assommer le pilote et le canonnier.
Shryne allait se mettre en action quand son transrécepteur se remit à vibrer. Il le tira du fin fond d’une de ses poches.
— Qu’y a-t-il, Roan ? demanda Chatak quand elle vit la stupéfaction se peindre sur ses traits. Quoi ? insista-t-elle quand il tarda à répondre.
— Un autre message codé, dit-il sans quitter l’écran des yeux.
— Toujours le même ordre ?
— Non, tout le contraire.
Les yeux ronds, il regarda Chatak, puis Starstone.
— Tous les Jedi ont l’ordre d’éviter Coruscant à tout prix et d’abandonner leurs missions pour se cacher.
Chatak en resta bouche bée.
Shryne pinça les lèvres.
— Nous devons toujours quitter Murkhana.
Ils vérifièrent leurs blasters, mais alors qu’ils allaient se remettre en route pour prendre le vaisseau, les droïdes séparatistes ainsi que tous leurs engins de guerre s’arrêtèrent net. Au début, Shryne crut qu’ils avaient été momentanément sonnés par une décharge électrostatique. Puis il réalisa son erreur.
C’était très différent.
Les droïdes n’avaient pas seulement été « estourbis ». Ils avaient été proprement désactivés. Leurs photorécepteurs rouges s’éteignirent, leurs membres et leurs antennes retombèrent. Tous les soldats et toutes les machines étaient désormais immobiles.
Et soudain, une aile entière de vaisseaux de transport tomba du ciel et un millier de clones se laissèrent glisser le long de câbles en polyplast.
Impuissants, Shryne, Chatak et Starstone furent bientôt encerclés.
— Il vaut mieux être capturé qu’exécutés, rappela Shryne. Ça pourrait être une porte de sortie.
Étant le plus près du bord de la plate-forme, il laissa son sabre laser, son transrécepteur, son comlink et son blaster tomber dans les eaux sombres, loin au-dessous.