CHAPITRE XIII

Dans ses quartiers privés à bord de l’Exécuteur, Vador examina les dégâts causés à son avant-bras gauche par la lame de la Zabrak. Après s’être assuré que son justaucorps pressurisé s’était auto-scellé, il retira son gant et utilisa un laser de coupe à pointe fine pour retirer les bouts d’armure qui avaient fusionné avec l’alliage au-dessous. Le sabre laser de la Jedi avait tranché à travers les plaques de protection pour atteindre certains des ligaments artificiels qui permettaient à la main de se fermer. Tant pis, il devrait attendre d’être de retour sur Coruscant pour les faire réparer. En attendant, il allait devoir confier son bras aux soins de l’un des droïdes médicaux du Destroyer Stellaire.

Son sabre laser était posé à portée de sa main, mais plus il le regardait, et plus il regardait le sillon noir dans l’alliage, plus il se sentait déprimé. Si sa main avait été de chair, elle serait en train de trembler. Seuls Dooku, Asajj Ventress et Obi-Wan avaient été assez bons avec un sabre laser pour le battre. Pourtant, aujourd’hui, une Jedi quelconque avait été capable de le blesser.

Ai-je perdu un peu de ma connexion avec la Force en perdant mes membres ?

Vador identifia la voix : c’était celle du spectre d’Anakin. Anakin lui soufflait qu’il n’était pas si fort qu’il le pensait. Le petit esclave avait tremblé de peur parce qu’il n’était pas maître de son destin. Il n’était qu’un objet dans l’univers, passé de main en main.

Et voilà qu’il était de nouveau un esclave !

Il leva son visage masqué vers le plafond de sa cabine et lâcha un grognement douloureux. Les droïdes médicaux ineptes de Sidious lui avaient fait ça ! Ils avaient ralenti ses réflexes, ils l’avaient lesté d’une armure. Il était content de les avoir détruits.

À moins que… Sidious avait-il expressément demandé qu’il vive dans cette prison ?

Était-ce sa punition pour avoir échoué sur Mustafar ? Ou Mustafar n’avait-elle été qu’un prétexte pour le diminuer ? Peut-être que, depuis le début, Sidious avait promis de le former par ruse, alors qu’en fait il n’avait besoin que d’une personne pour commander son armée de clones.

Un autre Grievous. Et pendant ce temps, Sidious renforçait son pouvoir, confiant en l’obéissance du nouveau laquais qu’il avait chargé de faire respecter ses lois.

Vador s’appesantit sur cette idée, craignant de devenir fou, avant d’en arriver à une conclusion encore plus déprimante. Grievous avait certes été dupé dans le seul but de lui faire servir le Sith. Mais pas Anakin. Sidious avait envoyé son nouveau disciple sur Mustafar pour une seule raison : tuer les membres du Conseil Séparatiste.

C’était Padmé et Obi-Wan qui l’avaient enfermé dans cette armure-prison.

Il avait été condamné à vie par ses deux soi-disant meilleurs amis, leur amour pour lui déformé par ce qu’ils avaient perçu comme une trahison. Les Jedi avaient fait subir trop de lavages de cerveau à Obi-Wan, et il n’avait pas su reconnaître la puissance du Côté Obscur. Et Padmé avait été trop l’esclave de la République pour comprendre que les machinations de Palpatine et la défection d’Anakin avaient été nécessaires. Grâce à cela, la paix était revenue dans la galaxie. Et le pouvoir était maintenant entre les mains de ceux qui étaient capables de sauver ses myriades de races d’elles-mêmes. Le Sénat incompétent ne faisait plus loi. Et l’ordre Jedi, dont les Grands Maîtres avaient été si aveugles à la décadence à laquelle ils avaient largement participé, n’était plus.

Leur Élu avait vu la vérité, alors pourquoi ne l’avaient-ils pas embrassée aussi ?

Parce qu’ils étaient trop enfermés dans leurs traditions, trop inflexibles pour s’adapter, songea Vador.

Anakin était mort sur Coruscant.

Mais l’Élu avait péri sur Mustafar.

Une rage brûlante comme la lave de ce monde volcanique l’envahit, liquéfiant l’auto-apitoiement. Voilà ce qu’il voyait sans avoir besoin des systèmes de son casque : de la lave bouillonnante, une chaleur rouge, de la chair carbonisée…

Il avait seulement voulu les sauver ! Padmé de la mort, et Obi-Wan de l’ignorance. Et à la fin, ils n’avaient pas su reconnaître son pouvoir. Ils ne l’avaient pas cru, ils ne lui avaient pas assez fait confiance pour comprendre qu’il savait ce qui était mieux pour tout le monde.

Aujourd’hui, Padmé était morte et Obi-Wan luttait pour survivre, privé de tout, comme l’était Vador. Sans amis, sans famille, sans but…

Serrant le poing gauche, il maudit la Force. Elle ne lui avait jamais apporté que de la souffrance ! Elle l’avait torturé en lui envoyant des visions, et il avait été incapable d’empêcher qu’elles se réalisent. Elle lui avait fait croire qu’il détenait un grand pouvoir alors qu’il était à peine mieux qu’un serviteur.

Mais plus jamais, se dit Vador.

Le pouvoir du Côté Obscur asservirait la Force, en ferait sa servante plutôt que son alliée.

Tendant le bras droit, il prit son sabre laser et le fit tourner dans sa main. Il n’avait que trois semaines standard. Vador l’avait fabriqué dans l’ombre de l’arme de la taille d’une lune que l’Empereur se faisait construire. Et il venait de goûter au sang pour la première fois.

Sidious lui avait fourni le cristal synthétique responsable de la couleur écarlate de la lame et lui avait prêté son propre sabre laser pour lui servir de modèle. Mais Vador n’aimait pas les antiquités. S’il pouvait apprécier la somme de travail que représentaient les incrustations dans la poignée de l’arme de Sidious, il préférait que la sienne ait un meilleur équilibre. Déterminé à faire plaisir à son maître, il avait essayé d’innover, mais il n’avait fait que créer une version Sith, donc noire, de celle qu’il avait maniée pendant plus d’une décennie.

Mais il y avait un problème.

Ses nouvelles mains étaient trop larges pour dupliquer la prise lâche qu’Anakin avait aimée, la main droite enroulée non pas autour du grip mais du cylindre qui renfermait le cristal, tout près de la lame elle-même. Les mains de Vador requéraient un grip plus épais et plus long, et le résultat était une arme inélégante, voire grotesque.

Voilà encore une cause de sa blessure !

Les Sith n’ont plus besoin de sabres laser, avait dit Sidious. Mais nous continuons à en utiliser, ne serait-ce que pour humilier les Jedi.

Vador attendait avec impatience que les souvenirs d’Anakin s’effacent, comme la lumière est absorbée par un trou noir. Alors seulement pourrait-il supporter l’armure qui le maintenait en vie. Même si elle allait déjà comme un gant à la noirceur qui avait envahi son cœur invulnérable.

Son comlink bipa.

— Qu’y a-t-il, commandant Appo ?

— Seigneur Vador, l’on vient de m’informer que nous n’avons pas le compte de prisonniers. Deux d’entre eux manquent à l’appel.

— Les deux autres Jedi qui ont survécu à l’Ordre Soixante-Six, fit Vador.

— Dois-je demander au commandant Salve d’organiser des recherches ?

— Pas cette fois, Commandant. Je vais m’en charger moi-même.