Daniel25,11
Il est ironique de penser que la RGS, conçue au
départ pour de simples raisons de convenance esthétique, est ce qui
allait permettre aux néo-humains de survivre sans grande difficulté
aux catastrophes climatiques qui allaient s’ensuivre, et que nul ne
pouvait prévoir à l’époque, alors que les humains de l’ancienne
race seraient presque entièrement décimés.
Sur ce point crucial, le récit de vie de
Daniel1, une fois encore, est parfaitement corroboré par ceux de
Vincent1, Slotan1 et Jérôme1, même s’ils accordent à l’événement
une place tout à fait inégale. Alors que Vincent1 n’y fait allusion
que dans des paragraphes espacés de son récit, et que Jérôme1 la
passe presque entièrement sous silence, Slotan1 consacre des
dizaines de pages à l’idée de la RGS, et aux travaux qui devaient
permettre quelques mois plus tard sa réalisation opérationnelle.
Plus généralement, le récit de vie de Daniel1 est souvent considéré
par les commentateurs comme central et canonique. Alors que
Vincent1 insiste souvent à l’excès sur le sens esthétique des
rituels, que Slotan1 se consacre presque exclusivement à
l’évocation de ses travaux scientifiques, et Jérôme1 aux questions
de discipline et d’organisation matérielle, Daniel1 est le seul à
nous donner de la nais sance de l’Église élohimite une description
complète, en même temps que légèrement détachée ; alors que
les autres, pris dans le mouvement quotidien, ne songeaient qu’à la
solution des problèmes pratiques auxquels ils devaient faire face,
il semble souvent être le seul à avoir pris un peu de recul, et à
avoir réellement compris l’importance de ce qui se déroulait sous
ses yeux.
Cet état de choses me confère, comme à tous mes
prédécesseurs de la série des Daniel, une responsabilité
particulière : mon commentaire n’est pas, ne peut pas être un
commentaire ordinaire, puisqu’il touche de si près aux
circonstances de la création de notre espèce, et de son système de
valeurs. Son caractère central est encore accru par le fait que mon
lointain ancêtre était, dans l’esprit de Vincent1 comme sans doute
dans le sien propre, un être humain typique, représentatif de
l’espèce, un homme parmi tant
d’autres.
Selon la Sœur suprême, la jalousie, le désir et
l’appétit de procréation ont la même origine, qui est la souffrance
d’être. C’est la souffrance d’être qui nous fait rechercher
l’autre, comme un palliatif ; nous devons dépasser ce stade
afin d’atteindre l’état où le simple fait d’être constitue par
lui-même une occasion permanente de joie ; où l’intermédiation
n’est plus qu’un jeu, librement poursuivi, non constitutif d’être.
Nous devons atteindre en un mot à la liberté d’indifférence,
condition de possibilité de la sérénité parfaite.