Daniel1,14
Je faillis louer une autre voiture pour aller
chercher Esther à l’aéroport d’Almeria ; j’avais peur qu’elle
ne soit défavorablement impressionnée par le coupé Mercedes 600 SL,
mais aussi par la piscine, les jacuzzis, plus généralement par
l’étalage de luxe qui caractérisait mon mode de vie. Je me
trompais : Esther était une réaliste ; elle savait que
j’avais eu du succès et s’attendait donc, logiquement, à ce que je
vive sur un grand pied ; elle connaissait des gens de toutes
sortes, les uns très riches, les autres très pauvres, et n’y voyait
rien à redire ; elle acceptait cette inégalité, comme toutes
les autres, avec une parfaite simplicité. Ma génération avait
encore été marquée par différents débats autour de la question du
régime économique souhaitable, débats qui se concluaient toujours
par un accord sur la supériorité de l’économie de marché – avec cet
argument massif que les populations auxquelles on avait tenté
d’imposer un autre mode d’organisation l’avaient rejeté avec
empressement, et même avec une certaine pétulance, dès que cela
s’était avéré possible. Dans la génération d’Esther, ces débats
eux-mêmes avaient disparu ; le capitalisme était pour elle un
milieu naturel où elle se mouvait avec l’aisance qui la
caractérisait dans tous les actes de sa vie ; une
manifestation contre un plan de licenciements lui aurait paru aussi
absurde qu’une mani festation contre le rafraîchissement du temps,
ou l’invasion de l’Afrique du Nord par les criquets pèlerins. Toute
idée de revendication collective lui était plus généralement
étrangère, il lui paraissait évident depuis toujours que sur le
plan financier comme pour toutes les questions essentielles de la
vie chacun devait se défendre seul, et mener sa propre barque sans
compter sur l’aide de personne. Sans doute pour s’endurcir elle
s’astreignait à une grande indépendance financière, et bien que sa
sœur fût plutôt riche elle tenait depuis l’âge de quinze ans à
gagner elle-même son argent de poche, à s’acheter elle-même ses
disques et ses fringues, dût-elle pour cela se livrer à des tâches
aussi fastidieuses que distribuer des prospectus ou livrer des
pizzas. Elle n’alla quand même pas jusqu’à me proposer de payer sa
part au restaurant, ni quoi que ce soit de ce genre ; mais je
sentis dès le début qu’un cadeau trop somptueux l’aurait
indisposée, comme une légère menace à l’encontre de son
indépendance.
Elle arriva vêtue d’une minijupe plissée
turquoise et d’un tee-shirt Betty Boop. Sur le parking de
l’aéroport, j’essayai de la prendre dans mes bras ; elle se
dégagea rapidement, gênée. Au moment où elle mettait sa valise dans
le coffre un coup de vent souleva sa jupe, j’eus l’impression
qu’elle n’avait pas de culotte. Une fois installé au volant, je lui
posai la question. Elle hocha la tête en souriant, se retroussa
jusqu’à la taille, écarta légèrement les cuisses : les poils
de sa chatte formaient un petit rectangle blond, bien taillé.
Au moment où je démarrais, elle baissa de
nouveau sa jupe : je savais maintenant qu’elle n’avait pas de
culotte, l’effet était obtenu, c’était suffisant. Arrivés à la
résidence, pendant que je sortais sa valise du coffre, elle me
précéda sur les quelques marches menant à l’entrée ; en
apercevant le bas de ses petites fesses j’eus un étourdissement, je
faillis éjaculer dans mon pantalon. Je la rejoignis, l’enlaçai en
me collant à elle. « Open the
door… » dit-elle en frottant distraitement ses fesses
contre ma bite. J’obéis, mais à peine dans l’entrée je me collai de
nouveau contre elle ; elle s’agenouilla sur un petit tapis à
proximité, posant ses mains sur le sol. J’ouvris ma braguette et la
pénétrai, mais malheureusement le trajet en voiture m’avait
tellement excité que je jouis presque tout de suite ; elle en
parut un peu déçue, mais pas trop. Elle voulut se changer et
prendre un bain.
Si la célèbre formule de Stendhal, qu’appréciait
tellement Nietzsche, selon laquelle la beauté est une promesse de
bonheur, est en général tout à fait fausse, elle s’appliquerait par
contre parfaitement à l’érotisme. Esther était ravissante, mais
Isabelle aussi, dans sa jeunesse elle était même probablement
encore plus belle. Esther par contre était plus érotique, elle
était incroyablement, délicieusement érotique, j’en pris conscience
une nouvelle fois lorsqu’elle revint de la salle de bains :
sitôt après avoir enfilé un pull large elle le baissa légèrement
sur ses épaules afin de découvrir les bretelles de son
soutien-gorge, puis rajusta son string afin de le faire dépasser de
son jean ; elle faisait tous ces petits gestes
automatiquement, sans même y penser, avec un naturel et une candeur
irrésistibles.
Le lendemain, au réveil, je fus traversé par un
frisson de joie à l’idée que nous allions descendre à la plage
ensemble. Sur la Playa de Monsul, comme sur toutes les plages
sauvages, difficiles d’accès, et en général à peu près désertes du
parc naturel du Cabo de Gata, le naturisme est tacitement admis.
Bien sûr la nudité n’est pas érotique, enfin c’est ce qu’on dit,
pour ma part j’ai toujours trouvé la nudité plutôt érotique – lorsque le corps est beau
évidemment –, disons que ce n’est pas ce qu’il y a de plus érotique, j’avais eu des discussions
pénibles là-dessus avec des journalistes du temps que
j’introduisais des naturistes néo-nazis dans mes sketches. Je
savais bien, de toute façon, qu’elle allait trouver quelque
chose ; je n’eus que quelques minutes à attendre, puis elle
apparut vêtue d’un mini-short blanc dont elle avait laissé ouverts
les deux premiers boutons, découvrant la naissance de ses poils
pubiens ; sur ses seins elle avait noué un châle doré, en
prenant soin de le remonter un peu pour qu’on puisse apercevoir
leur base. La mer était très calme. Une fois installée elle se
déshabilla complètement, ouvrit largement ses cuisses, offrant son
sexe au soleil. Je versai de l’huile sur son ventre et commençai à
la caresser. J’ai toujours été assez doué pour ça, enfin je sais
comment m’y prendre avec l’intérieur des cuisses, le périnée, c’est
un de mes petits talents. J’étais en pleine action, et je
m’apercevais avec satisfaction qu’Esther commençait à éprouver le
désir d’être pénétrée, lorsque j’entendis :
« Bonjour ! » lancé d’une voix forte et joyeuse,
quelques mètres derrière moi. Je me retournai : Fadiah
avançait dans notre direction. Elle aussi était nue, et portait en
bandoulière un sac de plage en toile blanche, orné de l’étoile
multicolore aux branches recourbées qui était le signe de
reconnaissance des élohimites ; elle avait décidément un corps
superbe. Je me levai, fis les présentations, une conversation
animée s’engagea en anglais. Le petit cul blanc d’Esther était très
attirant, mais les fesses rondes et cambrées de Fadiah étaient
tentantes également, en tout cas je bandais de plus en plus, mais
pour l’instant elles faisaient semblant de ne pas s’en
apercevoir : dans les films pornos il y a toujours au moins
une scène avec deux femmes, j’étais persuadé qu’Esther n’avait rien
contre, et quelque chose me disait que Fadiah serait partante
également. En se baissant pour relacer ses sandales, Esther
effleura ma bite comme par inadvertance, mais j’étais certain
qu’elle l’avait fait exprès, je fis un pas dans sa direction, mon
sexe était maintenant dressé à la hauteur de son visage. L’arrivée
de Patrick me calma un peu ; lui aussi était nu, il était bien
bâti mais corpulent, je m’aperçus qu’il commençait à prendre du
ventre, les déjeuners d’affaires probablement, enfin c’était un
brave mammifère de taille moyenne, je n’avais rien contre un plan à
quatre dans le principe mais sur le moment mes velléités sexuelles
s’en trouvèrent plutôt refroidies.
Nous continuâmes à discuter, nus, tous les
quatre, à quelques mètres du bord de la mer. Ni lui ni elle ne
semblaient surpris par la présence d’Esther et la disparition
d’Isabelle. Les élohimites forment rarement des couples stables,
ils peuvent vivre ensemble deux ou trois ans, parfois plus, mais le
prophète encourage vivement chacun à garder son autonomie et son
indépendance, en particulier financière, nul ne doit consentir à un
dessaisissement durable de sa liberté individuelle, que ce soit par
un mariage ou un simple PACS, l’amour doit rester ouvert et pouvoir
être constamment remis en jeu, tels sont les principes édictés par
le prophète. Même si elle profitait des hauts revenus de Patrick et
du mode de vie qu’ils permettaient, Fadiah n’avait probablement
aucune possession commune avec lui, et ils avaient sans aucun doute
des comptes séparés. Je demandai à Patrick des nouvelles de ses
parents, il m’apprit alors une triste nouvelle : sa mère était
morte. Cela avait été très inattendu, très brutal : une
infection nosocomiale contractée dans un hôpital de Liège où elle
était rentrée pour une opération en principe banale de la
hanche ; elle avait succombé en quelques heures. Lui-même
était en déplacement professionnel en Corée et n’avait pas pu la
voir sur son lit de mort, à son retour elle était déjà congelée –
elle avait fait don de son corps à la science. Robert, son père,
supportait très mal le choc, en fait il avait décidé de quitter
l’Espagne pour s’installer dans une maison de retraite en
Belgique ; il lui laissait la propriété.
Le soir, nous dînâmes ensemble dans un
restaurant de poissons de San José. Robert le Belge dodelinait de
la tête, participait peu à la conversation ; il était à peu
près complètement abruti par les calmants. Patrick me rappela que
le stage d’hiver se déroulait dans quelques mois à Lanzarote, et
qu’ils espéraient vivement ma présence, le prophète lui en avait
encore parlé la semaine dernière, j’avais fait sur lui une très
bonne impression, et cette fois ce serait vraiment grandiose, il y
aurait des adhérents venus du monde entier. Esther, naturellement,
était la bienvenue. Elle n’avait jamais entendu parler de la secte,
aussi écouta-t-elle l’exposé de la doctrine avec curiosité.
Patrick, sans doute échauffé par le vin (un Tesoro de Bullas, de la
région de Murcie, un vin qui tapait fort), insista particulièrement
sur les aspects sexuels. L’amour qu’enseignait le prophète, et
qu’il recommandait de pratiquer, était l’amour véritable, non
possessif : si l’on aimait véritablement une femme, ne
devait-on pas se réjouir de la voir prendre du plaisir avec
d’autres hommes ? De même qu’elle se réjouissait, sans
arrière-pensée, de vous voir éprouver du plaisir avec d’autres
femmes ? Je connaissais ce genre de baratin, j’avais eu des
discussions pénibles là-dessus avec des journalistes du temps que
j’introduisais des partouzeuses anorexiques dans mes sketches.
Robert le Belge hochait la tête avec une approbation désespérée,
lui qui n’avait probablement jamais connu d’autre femme que la
sienne, à présent décédée, et qui allait sans doute mourir assez
vite dans sa maison de retraite du Brabant, croupissant anonymement
dans son urine, encore heureux s’il pouvait éviter d’être molesté
par les aides-soignants. Fadiah elle aussi semblait tout à fait
d’accord, trempait ses crevettes dans la mayonnaise, se léchait les
lèvres avec gourmandise. J’ignorais complètement ce que pouvait en
penser Esther, j’imagine qu’elle devait trouver les discussions
théoriques à ce sujet assez ringardes,
et à vrai dire j’étais un peu dans le même état d’esprit – quoique
pour des raisons différentes, plutôt liées à une répulsion générale
pour les discussions théoriques, il me devenait de plus en plus
difficile d’y participer, ou même de feindre un intérêt quelconque.
Dans le fond j’aurais certainement eu des objections à formuler,
par exemple que l’amour non possessif ne paraissait concevable que
si l’on vivait soi-même dans une atmosphère saturée de délices,
d’où toute crainte était absente, en particulier la crainte de
l’abandon et de la mort, qu’il impliquait au minimum, et entre
autres choses, l’éternité, en bref que ses conditions n’étaient pas
réalisées ; quelques années plus tôt j’aurais certainement
argumenté, mais je ne m’en sentais plus
la force, et de toute façon ce n’était pas trop grave, Patrick
était un peu ivre, il s’écoutait parler avec satisfaction, le
poisson était frais, nous passions ce qu’il est convenu d’appeler
une agréable soirée. Je promis de venir
à Lanzarote, Patrick m’assura d’un geste large que je bénéficierais
d’un traitement VIP tout à fait exceptionnel ; Esther ne
savait pas, elle aurait peut-être des examens à cette période. En
nous quittant je serrai longuement la main de Robert, qui marmonna
quelque chose que je ne compris pas du tout ; il tremblait un
peu, malgré la douceur de la température. Il me faisait de la
peine, ce vieux matérialiste, avec ses traits creusés par le
chagrin, ses cheveux avaient blanchi d’un seul coup. Il n’en avait
plus que pour quelques mois, quelques semaines peut-être. Qui le
regretterait ? Pas grand monde ; probablement Harry, qui
allait se retrouver privé d’entretiens plaisants, balisés,
contradictoires sans excès. Je pris alors conscience qu’Harry
supporterait probablement bien mieux que Robert la disparition de
sa femme ; il pouvait se représenter Hildegarde jouant de la
harpe au milieu des anges du Seigneur, ou, sous une forme plus
spirituelle, blottie dans un recoin topologique du point oméga,
quelque chose de ce genre ; pour Robert le Belge, la situation
était sans issue.
« What are you
thinking ? » demanda Esther au moment où nous
franchissions le seuil. « Sad
things… » répondis-je pensivement. Elle hocha la tête,
me regarda avec sérieux, se rendit compte que j’étais réellement
triste. « Don’t worry… »
dit-elle ; puis elle s’agenouilla pour me faire une pipe. Elle
avait une technique très au point, certainement inspirée par les
films pornos – ça se voyait tout de suite car elle avait ce geste,
qu’on apprend si vite dans les films, de rejeter ses cheveux en
arrière pour permettre au garçon, à défaut de caméra, de vous
regarder en pleine action. La fellation est depuis toujours la
figure reine des films pornos, la seule qui puisse servir de modèle
utile aux jeunes filles ; c’est aussi la seule où l’on
retrouve parfois quelque chose de l’émotion réelle de l’acte, parce
que c’est la seule où le gros plan soit, également, un gros plan du
visage de la femme, où l’on puisse lire sur ses traits cette fierté
joyeuse, ce ravissement enfantin qu’elle éprouve à donner du
plaisir. De fait, Esther me raconta par la suite qu’elle s’était
refusée à cette caresse lors de sa première relation sexuelle, et
qu’elle ne s’était décidée à se lancer qu’après avoir vu pas mal de
films. Elle s’y prenait à présent remarquablement bien, jouissait
de sa propre maîtrise, et jamais plus tard je n’hésitai, même
lorsqu’elle me semblait trop fatiguée ou trop indisposée pour
baiser, à lui demander une pipe. Immédiatement avant l’éjaculation
elle se reculait légèrement pour recevoir le jet de sperme sur le
visage ou dans la bouche, mais elle revenait ensuite à la charge
pour lécher minutieusement, jusqu’à la dernière goutte. Comme
beaucoup de très jolies jeunes filles elle était facilement
indisposée, délicate sur le plan nutritionnel, et avait d’abord
avalé avec réticence ; mais l’expérience lui avait démontré de
la manière la plus claire qu’il lui faudrait en prendre son parti,
que la dégustation de leur sperme n’était pas pour les hommes un
acte indifférent ni optionnel, mais constituait un témoignage
personnel irremplaçable ; elle s’y prêtait maintenant avec
joie, et j’éprouvai un immense bonheur à jouir dans sa petite
bouche.