Daniel25,3
Après quelques semaines de réflexion je pris
contact avec Marie23, lui laissant simplement mon adresse IP. Elle
me répondit par le message suivant :
J’ai nettement vu
Dieu
Dans son
inexistence
Dans son néant
précieux
Et j’ai saisi ma
chance.
12924, 4311, 4358, 212526. L’adresse indiquée
était celle d’une surface grise, veloutée, soyeuse, parcourue dans
son épaisseur de légers mouvements, comme un rideau de velours
agité par le vent, au rythme de lointains accords de cuivres. La
composition était à la fois apaisante et légèrement euphorisante,
je me perdis quelque temps dans sa contemplation. Avant que j’aie
eu le temps de répondre, elle m’adressa un second
message :
Après l’événement de la
sortie du Vide,
Nous nagerons enfin dans la
Vierge liquide.
51922624, 4854267. Au milieu d’un paysage
détruit composé de carcasses d’immeubles hautes et grises, aux
fenêtres béantes, un bulldozer géant charriait de la boue. Je
zoomai légèrement sur l’énorme véhicule jaune, aux formes
arrondies, aux allures de jouet radiocommandé – il semblait n’y
avoir aucun pilote dans la cabine. Au milieu de la boue noirâtre,
des squelettes humains étaient éparpillés par la lame du bulldozer
au fur et à mesure de son avancée ; en zoomant encore un peu
je distinguai plus nettement des tibias, des crânes.
« C’est ce que je vois de ma
fenêtre… » m’écrivit Marie23, passant sans préavis en mode non
codant. J’en fus un peu surpris ; elle faisait donc partie de
ces rares néo-humaines installées dans les anciennes conurbations.
C’était un sujet, j’en pris conscience du même coup, que Marie22
n’avait jamais abordé avec mon prédécesseur ; son commentaire
du moins n’en portait nulle trace. « Oui, je vis dans les
ruines de New York… » répondit Marie23. « En plein milieu
de ce que les hommes appelaient Manhattan… » ajouta-t-elle un
peu plus tard.
Cela n’avait évidemment pas beaucoup
d’importance, puisqu’il était hors de question que les néo-humains
s’aventurent hors de leurs résidences ; mais j’étais content
pour ma part de vivre au milieu d’un paysage naturel, lui dis-je.
New York n’était pas si désagréable, me répondit-elle ; il y
avait beaucoup de vent depuis la période du Grand Assèchement, le
ciel était constamment changeant, elle vivait à un étage élevé et
passait beaucoup de temps à observer le mouvement des nuages.
Certaines usines de produits chimiques, probablement situées dans
le New Jersey vu la distance, continuaient à fonctionner, au moment
du coucher du soleil la pollution donnait au ciel d’étranges
teintes roses et vertes ; et l’océan était encore présent,
très loin vers l’Est, à moins qu’il ne s’agisse d’une illusion
d’optique, mais par grand beau temps on distinguait parfois un
léger miroitement.
Je lui demandai si elle avait eu le temps de
terminer le récit de vie de Marie1. « Oh oui… me répondit-elle
immédiatement. Il est très bref : moins de trois pages. Elle
semblait disposer d’étonnantes aptitudes à la
synthèse… »
Cela aussi était original, mais possible. À
l’opposé, Rebecca1 était célèbre pour son récit de vie comportant
plus de deux mille pages, et qui ne couvrait cependant qu’une
période de trois heures. Il n’y avait, là non plus, aucune
consigne.