Daniel24,8
Il n’est généralement pas d’usage d’abréger les
récits de vie humains, quels que soient la répugnance ou l’ennui
que leur contenu nous inspire. Ce sont justement cette répugnance,
cet ennui qu’il convient de développer en nous, afin de nous
démarquer de l’espèce. C’est à cette condition, nous avertit la
Sœur suprême, que sera rendu possible l’avènement des Futurs.
Si je déroge ici à cette règle, conformément à
une tradition ininterrompue depuis Daniel17, c’est que les
quatre-vingt-dix pages suivantes du manuscrit de Daniel1 ont été
rendues complètement caduques par l’évolution
scientifique1. À l’époque
où vivait Daniel1, on attribuait souvent à l’impuissance masculine
des causes psychologiques ; nous savons aujourd’hui qu’il
s’agissait essentiellement d’un phénomène hormonal, où les causes
psychologiques n’intervenaient que pour une part minime et toujours
réversible.
Méditation tourmentée sur le déclin de la
virilité, entrecoupée de la description à la fois pornographique et
déprimante de tentatives ratées avec différentes prostituées
andalouses, ces quatre-vingt-dix pages contiennent cependant pour
nous un enseignement, parfaitement résumé par Daniel17 dans les
lignes suivantes, que j’extrais de son commentaire :
« Le vieillissement
de la femelle humaine était en somme la dégradation d’un si grand
nombre de caractéristiques, tant esthétiques que fonctionnelles,
qu’il est bien difficile de déterminer laquelle était la plus
douloureuse, et qu’il est presque impossible, dans la plupart des
cas, de donner une cause univoque au choix terminal.
« La situation est,
semble-t-il, très différente en ce qui concerne le mâle humain.
Soumis à des dégradations esthétiques et fonctionnelles autant,
voire plus nombreuses que celles qui atteignaient la femelle, il
parvenait cependant à les surmonter tant qu’étaient maintenues les
capacités érectiles de la verge. Lorsque celles-ci disparaissaient
de manière irrémédiable, le suicide intervenait en général dans les
deux semaines.
« C’est sans doute
cette différence qui explique une curieuse observation statistique
déjà faite par Daniel3 : alors que, dans les dernières
générations de l’espèce humaine, l’âge moyen du départ était de
54,1 ans chez les femmes, il s’élevait à 63,2 ans chez
les hommes. »
1 Le lecteur curieux les trouvera cependant en annexe au
commentaire de Daniel17, à la même adresse IP.