Daniel25,5
Il fallut en réalité trois siècles de travaux
pour atteindre l’objectif que Miskiewicz avait posé dès les
premières années du xxie siècle, et les premières générations
néohumaines furent engendrées par le moyen du clonage, dont il
avait pensé beaucoup plus rapidement pouvoir s’affranchir. Il reste
que ses intuitions embryologiques s’avérèrent, sur le long terme,
d’une extraordinaire fécondité, ce qui devait malheureusement
conduire à accorder le même crédit à ses idées sur la modélisation
du fonctionnement cérébral. La métaphore du cerveau humain comme
machine de Turing à câblage flou devait se révéler en fin de compte
parfaitement stérile ; il existait bel et bien dans l’esprit
humain des processus non algorithmiques, comme en réalité
l’indiquait déjà l’existence, établie par Gödel dès les années
1930, de propositions non démontrables pouvant cependant, sans
ambiguïté, être reconnues comme vraies.
Il fallut pourtant, là aussi, presque trois siècles pour abandonner
cette direction de recherches, et pour se résigner à utiliser les
anciens mécanismes du conditionnement et de l’apprentissage –
améliorés cependant, et rendus plus rapides et plus fiables par
injection dans le nouvel organisme des protéines extraites de
l’hippocampe de l’organisme ancien. Cette méthode hybride entre le
biochimique et le propositionnel correspond mal au vœu de rigueur
exprimé par Miskiewicz et ses premiers successeurs ; elle n’a
pour ambition que de représenter, selon la formule opérationnaliste
et un brin insolente de Pierce, « ce que nous pouvons faire de
mieux, dans le monde réel, compte tenu de l’état effectif de nos
connaissances ».