Daniel24,3
Les falaises dominent la mer, dans leur
absurdité verticale, et il n’y aura pas de fin à la souffrance des
hommes. Au premier plan je vois les roches, tranchantes et noires.
Plus loin, pixellisant légèrement à la surface de l’écran, une
surface boueuse, indistincte, que nous continuons à appeler la
mer, et qui était autrefois la
Méditerranée. Des êtres avancent au premier plan, longeant la crête
des falaises comme le faisaient leurs ancêtres plusieurs siècles
auparavant ; ils sont moins nombreux et plus sales. Ils
s’acharnent, tentent de se regrouper, forment des meutes ou des
hordes. Leur face antérieure est une surface de chair rouge, nue, à
vif, attaquée par les vers. Ils tressaillent de douleur au moindre
souffle du vent, qui charrie des graines et du sable. Parfois ils
se jettent l’un sur l’autre, s’affrontent, se blessent par leurs
coups ou leurs paroles. Progressivement ils se détachent du groupe,
leur démarche se ralentit, ils tombent sur le dos. Élastique et
blanc, leur dos résiste au contact du roc ; ils ressemblent
alors à des tortues retournées. Des insectes et des oiseaux se
posent sur la surface de chair nue, offerte au ciel, la picotent et
la dévorent ; les créatures souffrent encore un peu, puis
s’immobilisent. Les autres, à quelques pas, continuent leurs luttes
et leurs manèges. Ils s’approchent de temps à autre pour assister à
l’agonie de leurs compagnons ; leur regard à ces moments
n’exprime qu’une curiosité vide.
Je quitte le programme de surveillance ;
l’image disparaît, se résorbe dans la barre d’outils. Il y a un
nouveau message de Marie22 :
Le bloc énuméré
De l’œil qui se
referme
Dans l’espace
écrasé
Contient le dernier
terme.
247, 214327, 4166, 8275. La lumière se fait,
grandit, monte ; je m’engouffre dans un tunnel de lumière. Je
comprends ce que ressentaient les hommes, quand ils pénétraient la
femme. Je comprends la femme.