Chapitre XXVIII
Ami lecteur, connaissez-vous la profonde fierté de la tâche accomplie ? Je veux parler de celle du laboureur, qui cultive son champ, voit son blé mûrir puis le récolte pour nourrir sa famille. Comme celle aussi du militaire, lorsqu'il exécute de remarquables manœuvres, de beaux encerclements, lance des charges victorieuses. Ou encore la satisfaction du marin découvrant une terre fertile après avoir affronté l'incertitude des océans et la menace du naufrage. Je soupçonne qu'il y a parmi vous de ces légitimes orgueilleux. Vous en êtes ? Tant mieux. Ainsi vous comprendrez mon sentiment lorsque Jeanne rentra chez moi deux jours après son départ pour Versailles. J'avais réussi : le roi l'avait distinguée et le soir même il la recevait dans ses appartements privés. Cela vaut bien une belle moisson, une grande bataille, ou une île nouvelle, n'est-ce pas ? Et ne me dites pas que j'ai le triomphe facile. Je vous rappellerai depuis combien d'années je poursuivais la reconnaissance de mes efforts. Toutefois, je sais qu'il y en a que ma joie assombrit. Alors pourquoi donc ne lâchent-ils pas mon récit ? Qui a le plus de vice : le débauché qui raconte ses turpitudes ou le vertueux qui les écoute ? Mais ne gâchons pas après coup le bonheur de ce moment. Pour ceux qui brûlent de savoir, ne boudez pas votre plaisir, je vais vous raconter comment cela est arrivé. Tout cela, je le tiens de Jeanne, puis de Lebel qui m'en confirma les détails auxquels il avait pu avoir accès. Évidemment, comme il s'agira beaucoup de la personne intime du roi, j'ai édulcoré un peu le compte rendu – les lecteurs dévots seront contents.
Dominique Lebel connaissait bien le roi. Par sa fonction, bien sûr, mais aussi par une proximité de goût dont il se vantait mais dont je dois avouer qu'elle s'avéra véritable – au moins en ce cas, mais c'est celui-ci qui nous intéresse. Comme prévu, l'attention du roi fut captée par la belle interlocutrice de son valet de chambre. Il revenait de sa visite à la chapelle en compagnie de trois ou quatre courtisans et de sa garde, quand il les surprit, du moins le crut-il, en grande conversation à l'angle de la galerie menant à l'aile du Gouvernement. Il s'approcha, curieux de mieux apprécier un visage qu'il ne connaissait pas. Quand il fut à trois pas, Jeanne exécuta une de ces révérences dont M. de Saint-Rémy avait si bien su lui enseigner la manière. Il faisait froid, mais Jeanne laissa entrevoir sa gorge sous un châle qui s'esquiva à point nommé. En se redressant, elle vit le noble visage du roi qui la contemplait avec beaucoup d'intérêt. Quelques secondes passèrent sans qu'un mot ne vînt briser cet instant. Lebel jugea tout de même utile de rompre le silence :
— Sire, je vous présente Mlle de Vaubernier, venue à Versailles pour ses affaires auprès de M. Foullon.
— Oh, oh, fit le roi, faites bien attention à M. Foullon, mademoiselle. Il est sévère et il vous faudra être bien ferme si vous voulez en obtenir quelque chose. Même moi, il me faut parfois batailler, continua-t-il en souriant.
— Je compte bien me battre, Votre Majesté, répondit Jeanne d'une moue délicieuse.
— Vous battre ? Voilà qui serait dommage. De grâce, épargnez M. Foullon, il m'est fort utile, s'exclama le roi en riant franchement.
Les courtisans l'imitèrent ainsi que Lebel, pendant que Jeanne se composa une petite mine boudeuse.
— Pardonnez-moi, mademoiselle, si je vous ai blessée. Mais lorsqu'on veut se battre, ce sont des choses qui arrivent, reprit le roi, d'un air bienveillant.
La comédie de la séduction avait débuté. Jeanne s'en doutait, le roi ne l'ignorait pas, et Lebel le savait. Le roi continua alors son chemin sur un dernier conseil :
— Faites-moi savoir comment M. Foullon vous aura traitée.
C'était presque une invitation. Lebel fut très content. Tout se présentait sous le meilleur jour : il ne restait plus qu'à attendre. La chose ne tarda pas, puisque avant le souper, le roi posa suffisamment de questions à son valet de chambre pour que ce dernier en conclût qu'il souhaitait mieux connaître Jeanne. Lebel répondit avec zèle, expliquant que, par chance, Mlle de Vaubernier était encore à Versailles, dans un hôtel de la ville. Et il n'eut pas à courir bien loin pour aller la chercher, attendu qu'elle était dans son appartement, comme vous le savez.
Jeanne fut reçue ce soir-là dans un petit salon jouxtant les appartements du roi. On y avait dressé une table, pendant que deux laquais attendaient silencieusement dans un coin de la pièce. Imaginez ma Jeanne dans ce décor, seule, si peu habituée aux fastes de la Cour, attendant l'héritier du trône de Saint Louis. D'autres auraient défailli. Mais ce serait mal la connaître. Lorsque le roi entra, elle accomplit une nouvelle révérence, mais sans châle, cette fois. Le roi Louis XV, je crois vous l'avoir dit, et vous le savez d'ailleurs certainement, fut un des plus beaux monarques que la France ait connu jusqu'à aujourd'hui – pardon pour l'actuel souverain. À presque soixante ans, il conservait des traits admirables et toujours cette grande noblesse qui en imposait tant. Mais dans l'intimité, il savait se montrer prévenant et sans trop de manières. Il discuta le plus agréablement du monde avec Jeanne, comme un gentilhomme qui vient visiter une amie.
Le souper fut servi, puis les deux laquais se retirèrent. La conversation continua sur un ton plus badin, Jeanne faisant valoir la verve qui lui est habituelle en pareille circonstance. Le roi l'écouta avec attention, riant souvent, et tout surpris de sa découverte. Ma protégée était dans un grand soir. Elle joua de toute la gamme de sa virtuosité dans l'art de charmer. Tour à tour, elle fit la timide, puis l'insolente, mais sans trop, avant de redevenir petite fille sage. Dans ces moments, son corps était à l'unisson de son visage et de son âme : il émanait d'elle ce qu'aucune leçon ne permettra jamais de contrefaire. Et le roi fut étonné de lire un vrai désir dans les beaux yeux de Jeanne. Il se sentit un homme plus qu'un monarque. Cela le combla infiniment. Il n'y avait là nulle duperie : Jeanne le convoitait sincèrement car je vous l'ai dit, elle ne mentait jamais à ce sujet – ni à aucun autre d'ailleurs. L'enchantement dura jusqu'à minuit passé.
Quelques minutes plus tard, Jeanne concédait un baiser qui émut le roi avant d'enflammer l'homme. Je ne vous ai pas parlé des baisers de Jeanne : j'en garde un goût de soie que ne peut guérir le plus fin des cotons. Le roi n'en avait assurément jamais connu de cette étoffe et elle remit l'ouvrage sur le métier jusqu'à demander grâce. La suite ne souffre pas qu'on la décrive. Sachez seulement que Louis XV mérita à nouveau d'être appelé « le Bien-Aimé », lui dont l'indolence avait depuis si longtemps déçu l'amour de son peuple. Et l'habileté de Jeanne rendit au roi l'indispensable vigueur d'un sceptre souverain. Pardonnez cette parabole osée, mais c'est la seule qui me vient à l'esprit afin de ne pas heurter les dévots égarés entre ces lignes. Bien sûr, j'en sais plus, mais l'imagination de mon lecteur suffira à lui rendre un peu de ce qu'il se passa. Qu'on ne se bride point car pour sa part le roi ne le fit pas.
Au matin, il quitta Jeanne sur la pointe des pieds, comme un amant, avant de sacrifier au simulacre du lever du roi le plus puissant de toute l'Europe. La Cour était là, comme à l'habitude, et beaucoup remarquèrent que le souverain, s'il avait l'air fatigué, était d'une humeur qu'on lui voyait peu. Il sourit à tout le monde, gratifia quelques heureux élus de douces paroles, et distribua des regards aimables à l'assistance. Il paraît même qu'il sifflota ce jour-là sur sa chaise percée. Le soir, Jeanne, qui s'était discrètement retirée dans l'appartement de Lebel, fut à nouveau invitée à souper chez le roi. Je n'en décrirai rien de plus qu'il ne vient d'être dit car, sur le fond, le rendez-vous se déroula en des termes identiques. Quant à la forme, Jeanne n'interprétait jamais le même texte et le roi eut le loisir de mesurer l'étendue de son registre. Le lendemain matin, il acquiesça à toutes les requêtes des courtisans et ne quitta pas de la journée un air ravi qui tranchait avec la mine désabusée qu'il arborait à l'habitude. Jeanne quitta Versailles dans l'après-midi pour rentrer au bercail, où j'attendais avec impatience de ses nouvelles, vous le savez.
Elle me raconta ce que je viens de vous narrer, puis s'abandonna aux bons soins de sa femme de chambre. J'envoyai dans l'instant Simon porter un message à M. de Richelieu dans lequel je lui annonçai la bonne nouvelle. Il ne prit pas la peine de me répondre et préféra se transporter chez moi pour en savoir plus. Il avait quitté la Cour la veille sans avoir pu rencontrer le roi qu'on disait fort occupé au Grand Conseil. À mon récit, il comprit mieux les raisons de cette absence. D'après le duc, c'était maintenant qu'il s'agissait de bien conduire l'affaire : Jeanne avait plu, semblait-il, mais rien ne garantissait qu'elle durât. Certes l'impatience du roi à la revoir un second soir était un gage, toutefois, disait-il, on en avait vu, des guerres perdues malgré une première victoire. Selon lui, il fallait tout d'abord s'assurer des réactions de Lebel qui restait un pion difficile à maîtriser dans cette partie serrée. Il pouvait, par exemple, s'inquiéter d'un trop vif intérêt du roi envers ma protégée qui l'obligerait à avouer les véritables origines de Jeanne. Et ce valet, jaloux de son influence, n'aurait jamais gâté sa position pour celle d'une autre. Ensuite, la Cour était pleine d'espions, et s'il se découvrait trop vite qu'un nouveau visage divertissait le monarque, nous courrions le risque d'une contre-attaque de nos ennemis alors que nos positions n'étaient point encore fortifiées. Bref, M. de Richelieu insista sur la discrétion qui devait entourer ces débuts prometteurs. Il n'était pas rentré chez lui qu'un courrier de Lebel vint confirmer nos espoirs comme nos craintes. Le valet de chambre du roi m'écrivait en effet le souhait de son maître de revoir une certaine personne, mais qu'il ne fallait plus compter sur son concours pour héberger Jeanne, et que si je voulais bien venir à Versailles, il m'expliquerait pourquoi. Toutes affaires cessantes, je quittai mon hôtel, en prenant toutefois soin d'avertir Jeanne de se tenir prête à me rejoindre. Simon attela ma voiture et nous filâmes.
Lebel m'accueillit avec moins de cordialité qu'à l'accoutumée. Il ne s'embarrassa d'ailleurs pas de préliminaires pour me faire part de son agacement.
— Monsieur le comte, je pense que vous comprenez que je ne puisse continuer à prêter la main à ce que vous savez. Dans ma position, il m'est impossible de tromper plus longtemps la confiance du roi. Et Mlle de Vaubernier devra désormais trouver un autre appui à Versailles, m'asséna cet hypocrite.
— Vous me voyez bien surpris, M. Lebel.
— Je vous avais prévenu que Mlle de Vaubernier ne devait pas compter se faire une place durable auprès du roi.
— Deux nuits… ce n'est pas encore une sinécure…
— C'est le terme que j'envisageais. Pas plus. Le roi a semble-t-il une faiblesse pour elle. Je dis une faiblesse car il a beaucoup délaissé les affaires du royaume ces deux derniers jours.
— Vous m'écriviez pourtant que le roi voulait la revoir…
— Certes, cependant je ne sais pas si cela est bon pour lui…, osa-t-il.
— On m'a dit qu'il ne semblait pas s'en plaindre.
— Il est des maux qui prennent les couleurs du bien.
— Il est aussi des valets qui prennent des tons de maître, m'emportai-je alors.
Des années d'efforts n'allaient pas se trouver hypothéquées par ce vieillard merdeux. Lebel se renfrogna.
— Que voulez-vous dire ?
— Que le roi est le maître. Et personne ne saurait devancer ses souhaits sans son assentiment. Il veut voir Jeanne, il verra Jeanne puisque c'est son bon plaisir. Et vous le servirez car vous êtes son domestique.
Je ne sais ce qui me prit alors : je perdis toute prudence. Mon naturel impétueux ne pouvait plus souffrir les contorsions auxquelles je m'astreignais depuis trop longtemps devant ce pendard. Ce n'était peut-être pas le moment, mais une petite voix me souffla de persister dans ce genre.
— Bref, monsieur Lebel, je veux répondre favorablement à la volonté du roi. Vous introduirez Jeanne comme vous l'avez fait précédemment. On ne vous demande plus votre avis. D'autant que s'il m'en souvient bien, tout ceci est de votre fait.
— Mais…
— Il n'y a plus de mais, monsieur. Vous avez voulu faire plaisir à votre roi, vous y êtes parvenu. Vous ne voudriez pas qu'il soit déçu en apprenant quelques secrets que nous connaissons et qui pourraient mal le disposer à l'égard de Jeanne et… surtout à votre encontre.
Le bougre sentit le monde se dérober sous ses pieds. Il comprenait, mais un peu tard, qu'il avait introduit une brebis galeuse dans le bon troupeau des victimes consentantes. Il n'en tenta pas moins une rebuffade :
— Le roi a l'habitude des petites demoiselles comme celle-ci, il n'est dupe de rien, dit-il en faisant mine de se diriger vers une porte.
— Si, de son valet de chambre.
Lebel s'immobilisa.
— Et cela, il ne le goûtera que très peu, continuai-je. À moins que cet aveu n'intervienne à un moment où il ne pourra que l'en remercier.
— Vous voulez dire ?
— Je veux dire, monsieur le valet de chambre, qu'il n'y aura aucun courroux à craindre de Sa Majesté si Elle apprend la vérité sur Jeanne quand Elle y sera attachée. Vous savez comment depuis toujours nos monarques sont indulgents à ce propos. Il faudra alors juste y mettre quelques déguisements. Ne vous inquiétez pas, j'ai l'habitude de ces costumes-là.
Lebel ne disait plus rien. Il était livide et encore plus défraîchi qu'à l'accoutumée. Il s'appuya sur un petit guéridon. J'en profitai pour apporter la dernière touche à mon œuvre. L'estocade, diraient certains.
— Enfin, je vous engage à beaucoup de prudence sur notre conversation. Il est sûrement de votre connaissance que M. de Richelieu s'honore d'être un de mes proches amis. Il ne vous est pas inconnu non plus que ce digne maréchal de France a l'oreille du roi. Il serait dommage qu'il lui expliquât nos accords en cette affaire. Vous comprenez, monsieur le valet de chambre ?
Lorsque l'on a le loup pour complice, il faut se garder de lui proposer de veiller sur la bergerie. Lebel saisit combien cette alliance pouvait lui porter tort et redoutant que le berger ne l'apprenne, il fit dès lors tout ce que je voulus. C'était au demeurant fort peu : accompagner ma protégée dans les appartements du roi. La course n'était pas longue. Et le soir même il tenait la lanterne pour se faire le guide zélé de Jeanne jusqu'aux appartements de Sa Majesté.
Voilà comment tout se passa. Vous devez trouver qu'il était bien imprudent de spéculer sur le silence de Lebel. Pour d'autres, ce serait vrai. Mais à son âge, le bougre estima qu'il y avait plus de coups à prendre qu'à donner dans une intrigue qui le dépassait de cent coudées. Dans un affrontement, c'est toujours celui qui a le plus à perdre qui accepte les compromis. Et puis, espérait-il, le roi se lasserait peut-être vite de sa lubie. Pour l'heure, je décidai tout de même d'épargner cet allié forcé en louant pour Jeanne un coquet petit appartement à Versailles, rue de l'Orangerie, afin qu'elle ne reste pas chez Lebel. C'était à deux pas du château, ce qui lui permettait de s'y rendre à son aise sans trop attirer l'attention. Bientôt, elle n'eut d'ailleurs plus besoin de l'entremise de Lebel car le roi prit l'habitude d'aller la faire quérir par un jeune page dans lequel il avait toute confiance. Les rendez-vous se multiplièrent.
Trois semaines après leur première entrevue, l'intérêt du roi ne se démentait pas. Mieux, un jour, M. de Richelieu recueillit quelques confidences du souverain. Depuis sa jeunesse, où le duc lui avait servi de cicérone en mauvaises manières, Louis XV se permettait parfois de lui narrer ses aventures amoureuses. Le roi était comme nous tous : lorsqu'il arrive des bonnes fortunes, l'envie prend souvent de s'en vanter. Et au duc il avoua qu'il voyait une jeune femme dont il affirma qu'elle le surprenait autant qu'elle le charmait. Il ajouta même qu'elle lui avait fait découvrir des plaisirs qu'il disait ignorer. Elle lui était une cure de jouvence et il se surprenait depuis bientôt un mois à n'avoir presque plus de cette mélancolie qui l'assiégeait sans répit. Jeanne avait bien travaillé. Mais au fait, quelques-uns sont sûrement curieux de savoir comment elle se portait. On ne peut mieux. Et si je ne la voyais pas beaucoup durant ces dernières semaines, je gardais de ses nouvelles par un petit stratagème. J'avais toute confiance dans sa loyauté, cependant je m'avisai pour sa tranquillité et la mienne de placer une femme de chambre à ma solde près d'elle. Une petite brunette, très jeune et très vive, dont je ne savais même pas comment elle était entrée dans ma maison – c'est Simon qui s'occupait de cela –, me parut taillée pour cette mission. Je la chapitrai bien comme il faut sur les services et la discrétion qu'elle devait à Jeanne, puis je lui indiquai de me tenir informé chaque jour par un billet de ce qu'elle voyait et surtout entendait auprès de sa maîtresse. Je lui promis un petit pécule afin d'arrondir ses gages pour ce rôle d'ange gardien. En plus des quelques visites que je faisais à Jeanne, elle ajouta quelques renseignements que ma protégée pouvait oublier de me communiquer. Pour le reste, Jeanne prenait avec une sage philosophie tout ce qui lui arrivait. Sa liaison avec le roi ne la changeait en rien, même si je lui remarquais une assurance nouvelle. On ne fréquente pas d'aussi près le trône de France sans en ressentir quelques privilèges. Mais sans aucune arrogance. Non, Jeanne restait celle qu'elle était par nature : une jeune femme vive, insouciante et toujours amoureuse. Cela faisait son succès auprès des valets comme des rois. Je dois d'ailleurs vous préciser qu'elle ne modifia rien dans son commerce intime avec moi. Et à cette époque, il nous arriva encore de nous livrer l'un à l'autre, lorsque je lui rendais visite à son appartement de la rue de l'Orangerie. Cette habitude s'estompa un peu avec le temps mais sa fidélité à ma cause n'en fut pas affectée. Toutefois, il n'était point encore l'heure de tirer les marrons du feu. Les hommes de finance vous le diront : il ne faut pas épuiser un négoce dans ses premiers temps, mais attendre qu'il soit affermi pour s'en verser une rente. Jeanne était mon commerce. Elle le savait. Je ne doutais pas que le moment venu, elle s'en souviendrait.