La décision est prise. Louise a pu joindre sa cousine, celle-ci lui a communiqué l’adresse d’un colonel à la retraite qui vit avec sa fille et pourra les accueillir dans sa propriété des bords de la Creuse. Georges et Maxime vont franchir la ligne en premier et s’établir à Saint-Gaultier. Esther, Hannah, Louise et Simon les rejoindront aussitôt que possible. Joseph ne veut pas tenter l’aventure, franchir de nouveau une frontière lui paraît insurmontable, il ira vivre à MalakofF, chez Élise et Marcel.
Trouver un passeur n’a pas été aussi difficile qu’ils le craignaient, les amis d’Élise leur ont fourni une adresse. L’homme rencontré dans un café de Belleville inspire confiance, il a franchi la ligne à plusieurs reprises et leur assure une totale sécurité. Ils ont rendez-vous avec lui dans un village au sud de Montoire, Marcel les y déposera. Ils connaissent les conditions : une somme coquette à verser, un minimum de bagages, les économies cousues dans la doublure de la veste, des faux papiers.
Tout se passe comme convenu : une date, une heure, le temps d’une boisson dans l’arrière-salle d’un café puis une marche sous la lune, dans le bruissement d’une campagne inconnue. La vision du poste de garde en ombre chinoise sur le ciel étoilé, l’angoisse du passage et enfin la liberté, la poignée de main de l’homme qui s’enfonce de nouveau dans l’obscurité et les abandonne à proximité d’un village endormi. L’attente du petit matin sur la paille d’une grange et le trajet en autocar jusqu’à Châteauroux. Enfin le coup de téléphone au colonel qui vient les chercher dans sa vieille traction et les conduit chez lui. Thérèse, sa fille, leur fait les honneurs de la maison. Ils sont libres, le temps de prendre leurs repères et ils pourront faire signe aux femmes.
Juchée sur un escarpement qui domine la Creuse, la petite ville est blottie autour de son église romane. Elle précipite ses venelles en pente raide vers les berges recouvertes de hautes herbes. Après avoir franchi les piles d’un pont dont les trois arches reflétées par le courant dessinent des cercles parfaits, la rivière s’engouffre sous l’usine hydroélectrique qui transforme ses eaux grises en lumière. Les rues du centre de l’agglomération alignent de modestes maisons qui ne dépassent pas un étage et, à la périphérie, de chaque côté des berges, quelques propriétés imposantes règnent sur des parcs ombragés. Celle du colonel trône au milieu d’arbres centenaires, elle est bordée d’un muret percé d’une porte métallique qui donne accès aux berges. Leur hôte habite le rez-de-chaussée avec sa fille, au premier étage quatre chambres sont à leur disposition. Maxime et Georges choisissent les plus spacieuses qu’ils occuperont avec Hannah et Esther, Louise et Simon se partageront les deux autres.
Tout leur a paru si facile, ils ne mesurent pas les risques qu’ils ont courus. Sur les conseils de Thérèse, Maxime prend contact avec l’école du village pouf proposer ses services et participer à l’éducation sportive des enfants. Georges pourrait entretenir les jardins et renouer avec la pêche, pour approvisionner Thérèse avec ces poissons de rivière qui agrémenteraient l’ordinaire.
A cinquante ans passés, Thérèse, l’institutrice du village, vit dans l’ombre du seul homme de sa vie, son père. Elle dirige la maison avec autorité, veille sur le régime du colonel en gouvernante inflexible. Cette femme sans homme se méfie de Maxime mais le séducteur finit par l’apprivoiser. Sensible à son charme, elle le lui témoigne par de multiples attentions. Elle est à sa fenêtre lorsqu’il fait sa gymnastique matinale torse nu sur la pelouse. Elle le contemple, boule– versée, et confie ses émois à son journal intime.