J’ai ajouté de nouvelles pages à mon récit, nourries par les révélations de Louise. Une seconde histoire est née, dont mon imagination a rempli les blancs, une histoire qui ne pouvait cependant effacer la première. Les deux romans cohabiteraient, tapis au fond de ma mémoire, chacun éclairant à sa façon Maxime et Tania, mes parents, que je venais de découvrir.

 

Maxime épouse Hannah un beau jour d’été, sous un ciel sans menaces. Après avoir signé le registre de la mairie ils se rendent à la synagogue. Joseph est ravi d’assister à l’union du dernier de ses trois enfants. Les parents de la mariée sont présents eux aussi, accompagnés de Robert, le frère d’Hannah, et de son épouse, Tania. Ils ont enfin rencontré leur beau-frère Maxime, dont Hannah avait tant de fois fait l’éloge dans ses lettres. Dès le lendemain ils reprendront la route pour Lyon.

Les parents de la mariée ont réservé pour le déjeuner l’arrière-salle d’une brasserie de la République. Les plats se sont succédé jusqu’à ce que les convives éprouvent le besoin de secouer leur torpeur. On a loué les services d’un trio de musiciens, violons et accordéon réveillent l’assemblée. Sur le parquet ciré les costumes sombres des hommes enlacent les robes fleuries des femmes, on oublie la chaleur et l’on s’envole au rythme de l’orchestre. Mazel Tov ! Tout le monde félicite le jeune couple, on brise des verres, on fait des moulinets avec les serviettes, les plus vigoureux des hommes portent le marié en triomphe sur un siège.

 

Maxime aurait aimé se dispenser de ces manifestations traditionnelles, mais il s’y prête de bonne grâce. Il a cédé à l’insistance de sa belle-famille et a accepté le mariage religieux. Dès son adolescence, il s’est employé à faire oublier ses origines et n’apprécie guère qu’on les lui rappelle. Il s’efforce de participer, sourit à tous, se prête au cérémonial par respect pour sa jeune femme et sa famille. Depuis sa bar-mitsva, passage obligé qu’il n’a pu refuser à Joseph, il a toujours évité de se joindre aux réjouissances des fêtes. Le seul culte auquel il ait sacrifié est celui de son corps, il y a consacré tout son temps libre, ne s’imaginant pas le vendredi soir à la lueur des chandelles, priant et partageant le repas traditionnel du shabbat avec les siens.

 

Il atteint la trentaine, son mariage, espère-t-il, marquera la fin de sa quête éperdue de rencontres. Conquêtes faciles, chairs consommées dans la nuit dont le charme se rompt dès le petit matin. La grâce et la fragilité d’Hannah l’ont séduit, la situation prospère de sa belle-famille n’a pas été pour rien dans sa décision. Il a épuisé ses plaisirs de célibataire et ressent pour la première fois le désir d’être père.