Mes parents, mes bien-aimés, dont chaque muscle avait été poli, comme ces statues qui me troublaient dans les galeries du Louvre. Plongeon de haut vol, gymnastique sportive pour ma mère, lutte, agrès pour mon père, tennis, volley pour tous deux : deux corps faits pour se rencontrer, s’épouser, se reproduire.
J’en étais le fruit, mais avec une jouissance morbide je me plantais devant le miroir pour inventorier mes imperfections : genoux saillants, bassin pointant sous la peau, bras arachnéens. Et je m’effarais de ce trou sous le plexus dans lequel aurait tenu un poing, creusant ma poitrine comme l’empreinte jamais effacée d’un coup.
Cabinets de médecins, dispensaires, hôpitaux. Odeur de désinfectant couvrant à peine l’aigre sueur d’angoisse, atmosphère délétère à laquelle j’ajoutais mon obole, toussant sous le stéthoscope, offrant mon bras à la seringue. Chaque semaine ma mère m’accompagnait dans l’un de ces lieux devenus familiers, m’aidait à me dévêtir pour confier mes symptômes à un spécialiste qui se retirait ensuite avec elle pour une conversation chuchotée. Résigné, assis sur la table d’examen j’attendais le verdict, intervention à prévoir, traitement de longue durée, au mieux vitamines ou inhalations. Des années passées à soigner cette anatomie défaillante. Pendant ce temps, insolemment, mon frère exhibait ses épaules carrées, le hâle de sa peau sous son duvet blond.
Barre fixe, banc de musculation, espaliers, mon père s’entraînait chaque jour dans la pièce de l’appartement transformée en gymnase. Ma mère, si elle y passait moins de temps, s’y livrait cependant à des exercices d’échauffement, guettant, pour y remédier aussitôt, le moindre relâchement.
Tous deux tenaient un commerce de gros, rue du Bourg-l’Abbé, dans ce carré de l’un des plus anciens quartiers de Paris réservé à la bonneterie. La plupart des magasins de sport se fournissaient chez eux en maillots, justaucorps et sous-vêtements. Je m’installais à la caisse, à côté de ma mère, pour accueillir les clients. Parfois j’aidais mon père, trottinant à sa suite dans l’une ou l’autre des réserves pour le regarder soulever sans effort des piles de cartons ornés de photos de sportifs : gymnastes aux anneaux, nageuses, lanceurs de javelot, que je regardais s’empiler sur les rayonnages. Les hommes portaient la coupe courte et légèrement ondulée de mon père, les femmes arboraient la sombre cascade de cheveux de ma mère, retenue par un ruban.