CHAPITRE VII
Les gendarmes dans la maison
LES GENDARMES étaient lents et minutieux. Les enfants se sentirent lassés d’eux bien avant le déjeuner. Mais Maria, au contraire, s’affairait, leur offrait du café. Elle était fière de penser que c’était elle qui avait découvert le méfait !
Il y avait deux gendarmes : l’un était un brigadier solennel et très poli. Il interrogea chacun des enfants, en leur posant exactement les mêmes questions. L’autre inspecta méticuleusement le bureau, centimètre par centimètre.
« Il cherche des empreintes digitales, je suppose, dit Annie.
— Oh ! j’ai envie d’aller me baigner ! » soupira Claude.
Les deux hommes firent le tour de la maison lentement, en essayant d’ouvrir chaque porte fermée de l’intérieur. Ils s’arrêtèrent devant la fenêtre de l’office.
« Peut-on passer là ? demanda l’un d’entre eux.
— Il aurait fallu que ce voleur soit de la taille d’un ouistiti », répondit l’autre.
Il se retourna vers Annie, la plus petite des quatre enfants.
« Pourriez-vous passer par là, mademoiselle ?
— Je ne crois pas, répondit Annie, mais je vais essayer si vous voulez. »
Elle essaya, mais dut y renoncer ; son frère l’aida à redescendre.
« Avez-vous une idée de ce qui a été volé ? demanda le sergent à François.
— Non, brigadier, aucun de nous ne le sait, pas même Claude qui est la fille du savant. La seule chose que nous savons, c’est que mon oncle est allé en Amérique pour faire des conférences, il y a quelque temps, et qu’il a rapporté deux carnets de notes et quelques documents « très importants », disait-il. Il a même ajouté que « les pays étrangers seraient heureux de posséder ces papiers ! »
Je pensais qu’il les avait enfermés dans ce coffre…
— Ils ont dû être volés, répondit le brigadier, fermant son propre carnet. C’est dommage que les savants laissent de tels documents dans un coffre ordinaire et partent en voyage sans laisser d’adresse. Nous ne pouvons donc pas joindre votre père ? Cela pourrait être pourtant très important ! »
François semblait inquiet…
« Nous aurons son adresse dans un jour ou deux, dit-il.
— Bien. Nous partons maintenant, conclut le brigadier. Mais nous reviendrons après le déjeuner pour photographier la pièce. La cuisinière pourra ensuite remettre tout en ordre, je sais qu’elle attend avec impatience de pouvoir le faire !
— Ils vont revenir » soupira Annie quand les deux hommes, marchant solennellement dans l’allée, s’éloignèrent et enfourchèrent leur bicyclette. « Est-ce qu’ils vont encore nous interroger ? Comment leur échapper ?
— Si nous allions à la plage ? Nous prendrions ton bateau, suggéra François en riant…
— Oui, partons loin d’eux ; de toute façon, je ne vois pas en quoi nous pourrions les aider. Mais je voudrais bien savoir comment le voleur est entré ! »
Claude avait été très calme durant toute la matinée. Son chien semblait maintenant remis, bien qu’il parût encore un peu somnolent.
« Pauvre Dago ! disait la petite fille émue. Il ne pouvait pas savoir ce qui allait lui arriver. Mais d’habitude il est plus intelligent !
— Il a beaucoup de flair, il n’aurait pas touché une viande empoisonnée, mais une poudre narcotique n’a peut-être pas d’odeur, répondit Mick.
— Si seulement il avait pu se réveiller un peu, grogna Claude. En entendant des bruits au bas de l’escalier, il aurait aboyé et nous aurait réveillés. Je m’en veux de ne pas l’avoir sorti moi-même la nuit dernière comme je le fais d’ordinaire.
— Il y a eu toute une suite d’incidents, dit François. Tu n’as pas pu le sortir, alors il est sorti seul ; quelqu’un l’attendait et lui a donné à manger.
— Non, coupa Claude, Dago n’aurait jamais accepté un morceau de viande d’une main étrangère ; je lui ai toujours appris à refuser.
— Mais les faits sont là, dit François. Il a dormi justement la nuit où il aurait dû se réveiller et je suis très inquiet à l’idée que les voleurs ont pu s’emparer des deux carnets de ton père sur l’Amérique. »
Maria vint leur dire que le déjeuner était prêt. Elle apprit aux enfants que les gendarmes avaient mangé ce matin des chaussons aux pommes de sa fabrication. La vieille servante se donnait de l’importance, espérant que tout le village serait au courant de ses faits et gestes ; elle brûlait d’impatience d’aller raconter toutes ces aventures à ses amies…
« Vous resterez à la maison, lui dit François, et vous servirez le thé aux gendarmes, ils vont venir avec le photographe.
— Alors il faudrait que je leur prépare quelque chose ! répondit Maria enchantée.
— Oui, un bon gâteau au chocolat par exemple ! suggéra Annie en souriant.
— Oh ! croyez-vous qu’ils aimeraient cela ? demanda la cuisinière.
— Mais non ! Si vous faites un entremets, faites-le pour nous ! grogna Claude. Pouvez-vous nous préparer un bon goûter que nous emporterions ? Nous allons nous promener en bateau. Nous en avons assez des visites des gendarmes. »
Maria obéit. Dagobert semblait un peu plus réveillé et il les suivit.
« Il va mieux ! s’exclama Claude, toute contente. Dagobert, je ne te laisserai plus maintenant ! Si quelqu’un veut t’endormir, il aura affaire à moi ! »
Ils passèrent un moment merveilleux à bord du voilier de Claude. Ils s’arrêtèrent à mi-chemin de l’île de Kernach et plongèrent du bateau ; ils nageaient tout autour et remontaient à bord épuisés et contents. De temps en temps, Dagobert se jetait, lui aussi, dans les vagues.
« Il ne nage pas réellement, dit Annie ; il essaie de courir à travers l’eau. Je voudrais pouvoir monter sur son dos, mais il se sauve dès que je fais mine de grimper sur lui. »
Ils rentrèrent vers six heures. Les gendarmes, avaient mangé tout le gâteau au chocolat que Maria avait cuit pour eux.
Le bureau était rangé, un ouvrier avait réparé le coffre, chaque chose était à sa place.
« Tout objet de valeur devra nous être confié jusqu’au retour du savant, décida le brigadier.
— Mais nous ne savons pas quels papiers ont de la valeur ou non, expliqua François. Il faut attendre le télégramme de l’oncle Henri ! J’espère que nous ne serons plus inquiétés par le voleur, il a dû emporter ce qu’il voulait. »
Tous ces événements avaient beaucoup fatigué les enfants, à l’exception de François. À neuf heures, Mick déclara :
« Je vais me coucher !
— Moi, aussi, ajouta Annie. Tu viens, Claude ?
— Je vais promener Dagobert, avant de me coucher. Plus jamais je ne le laisserai sortir seul ! Si tu veux aller dormir, François, je fermerai la porte.
— Très bien, répondit le garçon, je monterai dans un instant. N’oublie pas de mettre la chaîne de sécurité, lorsque tu auras fermé la porte. Je pense que nous ne verrons plus de bandits cette nuit !
— Ni de visage à la fenêtre ! ajouta Annie.
— Non, murmura François. Bonsoir, ma petite Annie, dors bien. »
Annie et Mick montèrent. François acheva la lecture de son journal, puis il vérifia les portes et les fenêtres de la maison. Maria était déjà couchée ; elle rêvait de gendarmes mangeant ses gâteaux au chocolat.
Claude sortit avec son chien ; il courut jusqu’à la grille, mais soudain s’immobilisa et grogna.
« Tais-toi, Dago, dit Claude, s’approchant de lui. C’est une roulotte. Tu n’as jamais vu de roulotte ? Cesse donc d’aboyer. »
Ils allèrent faire leur promenade habituelle. Dagobert mettait son nez dans tous les trous creusés par les lapins ; il s’amusait beaucoup. Claude aimait aussi se promener le soir, elle ne se pressa pas puisque François ne l’attendait pas.
François alla se coucher et laissa la porte d’en bas entrouverte. Lorsqu’il fut dans son lit, il sentit le sommeil le gagner. Mais il fit un effort pour rester un moment éveillé, guettant le retour de Claude. Enfin, il entendit la porte d’en bas se refermer.
« Elle est rentrée », pensa-t-il et, se tournant vers le mur, il s’endormit. Mais ce n’était pas Claude. Son lit demeura vide toute la nuit et personne ne sut — pas même Annie— que la petite fille et son chien n’étaient pas revenus.