CHAPITRE VIII
Où est Claude ?
ANNIE s’éveilla au milieu de la nuit. Elle avait soif. Dans l’obscurité, elle chuchota :
« Claude, es-tu réveillée ? »
Pas de réponse. Elle se leva sans bruit, marcha sur la pointe des pieds et se servit un verre d’eau, sans allumer la lumière. Claude n’aimait pas être réveillée au milieu de la nuit. Pas un instant Annie ; ne pensa que sa cousine n’était pas dans son lit.
Elle se rendormit et s’éveilla seulement en entendant la voix claironnante de Mick :
« Debout, les filles ! Il est huit heures un quart ! Nous allons à la plage ! »
Annie s’étira, bâilla, puis regarda le lit de Claude. Il était vide, et même pas défait !
« Eh bien ! s’écria Annie étonnée, non seulement Claude est déjà debout, mais elle a fait son lit ! Elle aurait pu me réveiller, je serais sortie avec elle. Quelle belle matinée ! Elle a probablement emmené Dago. »
Le petite fille mit son maillot de bain et courut rejoindre les garçons. Ils étaient au bas de l’escalier, pieds nus.
« Claude est déjà sortie, annonça-t-elle. Elle a dû se réveiller de bonne heure et emmener son chien, je ne l’ai même pas entendue. »
François était maintenant sur le seuil de la porte.
« Cette fois-ci, elle a été gentille. Elle a tiré la porte tout doucement derrière elle, sans la fermer. La dernière fois qu’elle est sortie tôt, elle l’avait claquée si fort qu’elle a réveillé tout le monde.
— Elle a dû aller à la pêche en bateau, ajouta Mick. Hier, elle disait : « Quand la marée sera propice, j’irai taquiner le poisson. » Elle va probablement revenir avec un filet plein. Maria pourra faire cuire les soles et les sardines.»
Lorsqu’ils arrivèrent à la plage, ils regardèrent la mer. Il y avait un bateau au loin. On distinguait deux silhouettes à bord.
« Claude et Dago ! » s’écria Mick.
Il appela le plus fort qu’il put, mais le bateau était trop loin, personne ne lui répondit ; les trois enfants plongèrent la tête la première dans les vagues froides.
« Délicieux ! dit Annie en sortant de l’eau, ruisselante dans le soleil du matin. Courons pour nous réchauffer. »
Ils se poursuivirent les uns les autres le long de la plage et s’aperçurent soudain qu’ils avaient très faim. Ils rentrèrent pour le petit déjeuner.
« Où est Claude ? demanda Maria en apportant le café et les tartines beurrées. J’ai vu que son lit était fait… Où est-elle ?
— Je pense qu’elle est partie à la pêche avec son chien, répondit Mick. Elle avait très envie d’y aller.
— Je ne l’ai jamais entendu dire cela, contesta Maria. Enfin, bon appétit, mes enfants !
— Oh ! que cela a l’air bon ! dit Annie. J’ai vraiment faim ! Allons-nous aussi manger la part de Claude ? Elle ne reviendra certainement pas avant deux heures.
— Oui, si vous voulez », répondit la cuisinière. Les trois enfants dévorèrent à belles dents le pain grillé sur lequel ils étalaient la bonne confiture de groseilles. Puis Annie alla aider Maria à faire les lits, tandis que François et Mick se rendaient au village pour les courses.
Plus personne ne s’inquiétait de Claude. Les garçons revinrent du marché et virent le petit bateau, de pêche toujours balancé au loin sur les vagues.
« Claude va mourir de faim lorsqu’elle reviendra, dit François. Elle traverse peut-être une crise de solitude. Elle était tellement furieuse que son chien ait été drogué ! »
Ils rencontrèrent Jo, la gitane, qui marchait pieds nus sur le sable et ramassait des débris de bois. Jo paraissait encore plus sale que d’habitude.
« Hello ! » appela Mick.
La fillette leva la tête et vint vers eux sans sourire. Elle semblait avoir pleuré. Son petit visage portait encore la trace des larmes.
« Bonjour », dit-elle, regardant Mick.
Jo avait l’air si misérable qu’il en fut touché.
« Que t’est-il arrivé ? » demanda-t-il gentiment.
Tant de douceur fit à nouveau pleurer la petite gitane. Elle s’essuya du revers de la main. Son visage était tout barbouillé.
« Rien, dit-elle. Où est Annie ?
— Annie est à la maison, et Claude est partie en bateau avec Dagobert pour pêcher, répondit Mick.
— Ah ! bon ! » murmura Jo.
Et elle s’éloigna. Le garçon courut après elle.
« Pourquoi t’en vas-tu comme ça ? Raconte-moi ce qu’il t’arrive. »
Il la força à se retourner vers lui. Il la regarda de plus près et remarqua qu’elle avait maintenant deux bleus sur la figure.
« Qui t’a frappée ? demanda-t-il.
— Mon père, répondit la gitane, il est parti emmenant le cheval et la roulotte, il m’a laissée toute seule. Je voulais m’en aller, moi aussi. Je m’étais cachée à l’intérieur de la voiture, il m’a poussée dehors. Je suis tombée. J’ai aussi un autre bleu sur la jambe. »
Mick et François écoutèrent, avec un frisson d’horreur. Jo avait vraiment une vie épouvantable. Ils s’assirent et obligèrent la petite fille à se mettre entre eux.
« Mais ton père va sûrement revenir, dit François, la roulotte est votre seule maison.
— Oui, répondit Jo, nous n’en avons jamais eu d’autre. Nous avons toujours habité cette voiture. Lorsque maman vivait, j’étais plus heureuse. C’est la première fois que papa est parti sans moi.
— Comment vas-tu faire pour vivre maintenant ? demanda Mick.
— Papa m’a dit que Manolo me donnerait de l’argent pour acheter de quoi manger, répondit Jo, à condition que je lui obéisse. Je déteste Manolo, il est méchant !
— Qui est Manolo ? demanda François de plus en plus étonné.
— Manolo est un gitan, un ami de mon père. Il est toujours sur les routes. Si je l’attends ici, il viendra me donner un peu d’argent.
— Pourquoi dois-tu lui obéir ? Que va-t-il te commander ? demanda Mick. Tout ça est horrible !
— Oh ! Manolo m’ordonnera d’aller voler quelque chose… Nous ne vivons pas comme vous, vous savez », dit Jo.
Elle avait peur que Mick et François lui fassent des reproches.
« J’espère qu’il me donnera de l’argent aujourd’hui parce que je n’en ai plus du tout et que j’ai très faim. »
Mick et François se regardèrent. Pauvre Jo qui vivait dans la crainte, souvent affamée et solitaire !
Mick plongea sa main dans le panier à provisions, en ressortit un paquet de beurre et quelques biscuits.
« Prends toujours cela, dit-il, et viens de temps en temps frapper à la cuisine ; demande à Maria la cuisinière de te donner à manger, elle le fera de bon cœur. Je le lui dirai.
Prends toujours cela et viens de
temps en temps à la cuisine…
— Les gens n’aiment pas que je m’approche de leur maison, ils ont toujours peur que je leur vole quelque chose. » Jo cligna de l’œil en regardant Mick. « Cela m’arrive quelquefois… ajouta-t-elle.
— Tu ne devrais pas faire ça ! gronda Mick.
— Et que ferais-tu, toi, si tu mourais de faim ?
— Je crois que je ne volerais pas… Enfin, j’espère… », répondit Mick qui ne s’était jamais posé la question. «Mais où est Manolo ?
— Je ne sais pas… Quelque part par là… Il me trouve toujours lorsqu’il a besoin de moi. Papa m’a dit que je n’avais qu’à rester sur la plage. Alors je ne pourrai pas aller chez vous aujourd’hui. »
Les deux garçons se levèrent pour partir. Ils étaient inquiets pour la petite gitane, mais que faire ? Rien, sinon la nourrir et lui donner un peu d’argent. Mick sortit une pièce de sa poche ; Jo la prit sans un mot, les yeux brillants.
Claude n’était toujours pas à la maison à l’heure du déjeuner. Pour la première fois, François se sentit anxieux. Il courut à la plage pour voir si le bateau voguait toujours en mer, mais justement l’embarcation approchait de la grève et, le cœur serré, François vit que deux garçons étaient à son bord.
Le bateau de Claude était amarré avec les autres ; ce n’était donc pas elle qu’ils avaient vue au loin, ce matin. Claude n’était pas partie à la pêche. François eut des remords d’avoir été si insouciant. Il courut à la villa des Mouettes et fit part aux autres de son inquiétude. Tous furent bouleversés. Qu’était-il arrivé à Claude ?
« Attendons jusqu’à l’heure du goûter, dit François, si elle n’est pas revenue, il faudra agir, appeler encore une fois la police, peut-être. »
À l’heure du goûter, Claude n’était toujours pas là, ni Dagobert. Les enfants entendirent quelqu’un marcher dans le jardin et se précipitèrent tous à la fenêtre.
« C’est Jo ! dit Mick déçu. Qu’est-ce qu’elle veut ? »