CHAPITRE XX
La terrible aventure continue
CLAUDE regarda Jo comme si elle voyait apparaître un fantôme.
« Jo, murmura-t-elle, est-ce bien toi ?
— Oui, tu ne rêves pas. »
Et traversant la chambre, la gitane malicieuse alla pincer Claude.
« Tu vois que tu ne rêves pas ! Tu as senti ? Viens maintenant. Il faut nous dépêcher avant que Mesnil-le-Rouge arrive, je n’ai pas envie de me faire prendre. »
Claude se leva comme une somnambule.
Elle traversa la pièce, franchit la porte. Les deux fillettes se tenaient sur la plus haute marche de l’escalier.
« Je pense qu’il faut s’échapper par là ? » demanda Jo. Elle écouta, descendit quelques marches, mais avant d’avoir pu aller plus loin, elle s’arrêta affolée ; quelqu’un venait.
Bouleversée, elle remonta et poussa Claude dans la première pièce.
« On vient, murmura-t-elle, nous sommes perdues ! Si c’est l’homme aux cheveux rouges, qu’allons-nous faire ?
— Il vient trois ou quatre fois par jour ; il essaie de me faire parler de mon père et de ses travaux ! »
Les pas se rapprochaient et résonnaient sourdement… Les fillettes entendaient maintenant quelqu’un respirer fort.
Jo eut une idée. Elle dit tout bas à l’oreille de Claude :
« Ecoute, nous nous ressemblons beaucoup. Je vais me laisser enfermer dans cette pièce et tu pourras t’enfuir et retrouver Mick et François. Mesnil-le-Rouge ne saura jamais que je ne suis pas toi ; tu vois bien, Maria m’a donné ces vêtements, nous sommes habillées de la même façon.
— Non ! protesta Claude, je ne veux pas que tu sois prise !
— Obéis-moi ! Ne t’inquiète pas pour moi : j’ouvrirai la fenêtre et je descendrai le long du lierre, tout simplement, dès que l’homme sera parti ; c’est notre seule chance, sinon ils vont t’emmener dans leur hélicoptère, ce soir. »
Les pas étaient maintenant tout proches. Jo poussa Claude derrière un rideau et murmura :
« De toute façon, je ne fais pas ça pour toi, je le fais pour Mick ! Reste ici et laisse-moi agir ! »
Lorsque l’homme s’aperçut que la porte de Claude était ouverte, il poussa un juron. Il entra et ne trouvant personne, il ressortit aussitôt ; il appela :
« Markhoff ! La porte est ouverte et la petite est partie ! Qui a ouvert la porte ? »
Markhoff apparut, essoufflé. Il avait monté les escaliers quatre à quatre.
« Personne ! La petite ne peut pas être loin ! Je n’ai pas quitté la chambre de dessous ; si elle était descendue, je l’aurais vue !
— Qui a ouvert la porte ? rugit Mesnil-le-Rouge hors de lui. Il faut que, nous rattrapions cette gosse !
— Elle doit être dans l’une des autres chambres ! » répondit Markhoff que la colère de son maître ne semblait pas impressionner.
Il marcha vers la pièce où Jo et Claude se cachaient en tremblant. La première chose qu’il vit, ce fut la chevelure noire de la gitane dépassant un peu de la chaise derrière laquelle elle s’était tapie.
Il l’attrapa aussitôt et s’écria :
« La voilà ! »
Il ne remarqua pas que ce n’était pas Claude, mais Jo. Il faut dire que les deux fillettes, avec leurs cheveux courts et leurs vêtements semblables, pouvaient aisément passer l’une pour l’autre. Jo se plaignit et se débattit, tout en cachant son visage dans ses mains…
Pendant ce temps, Claude, cachée derrière les rideaux, ne pouvait s’empêcher de frémir. Elle aurait voulu voler au secours de la gitane, mais il ne fallait pas. Elle pensait avec tendresse à son pauvre chien qu’elle allait peut-être enfin retrouver ; elle avait été si triste que les bandits le lui arrachent.
La gitane fut entraînée dans l’autre pièce. Elle hurlait toujours et se défendait, mais on l’enferma à clef. Les deux hommes se disputaient à présent.
« C’est toi qui as laissé la porte ouverte ! Tu es descendu le dernier !
— Je t’ai déjà dit que j’avais verrouillé la porte et que je me trouvais à l’étage en dessous ! D’ailleurs, tu es tellement distrait, c’est probablement toi qui as commis cette bêtise !
— Eh bien, nous verrons qui a raison ! gronda Mesnil-le-Rouge. Pour le moment, fais ton travail ! As-tu tué ce chien ? Non ? Pas encore ? Dépêche-toi de le faire avant qu’il ne s’échappe à son tour ! »
Le cœur de Claude se serra. Ils allaient tuer Dagobert ! Oh non ! Elle ne le supporterait pas ! Pauvre Dagobert qu’elle aimait tant !
Mais que faire ? Elle entendit Mesnil-le-Rouge et Markhoff descendre les escaliers, le bruit de leurs pas décrut. Alors elle se décida à descendre à son tour. Ils étaient maintenant dans la grande salle et se disputaient toujours. Claude risquait d’être vue en passant devant le seuil. Heureusement, elle découvrit un autre escalier qui descendait tout droit ; il était si raide qu’elle faillit tomber. Elle ne rencontra personne. Quelle étrange demeure !
Enfin, elle arriva dans une pièce immense, très sombre et très humide. Elle courut vers la grande porte ; après maints efforts elle parvint à l’ouvrir.
Elle demeura un instant aveuglée par la lumière du soleil. Elle savait bien où se trouvait Dagobert, car elle l’avait quelquefois vu par sa fenêtre. Elle n’ignorait pas qu’on l’avait drogué pour l’empêcher d’aboyer. Mesnil-le-Rouge le lui avait raconté. Il éprouvait un méchant plaisir à lui faire de la peine. Pauvre Claude !
Elle traversa la cour et entra dans la maison d’été. Dagobert était là ; il semblait endormi. Claude s’agenouilla près de lui, noua ses bras autour de son cou.
« Dagobert, oh ! Dagobert ! » gémit-elle.
Elle le voyait à peine à travers une buée de larmes. Dagobert très loin, perdu dans le sommeil, entendit cette voix qu’il aimait tant ! Il frémit, ouvrit les yeux et aperçut sa maîtresse.
La drogue qu’on lui avait administrée était si forte que le pauvre chien ne pouvait se dresser sur ses pattes ; il lécha le visage de son amie puis referma les yeux. Claude était désespérée. Elle avait tellement peur que Markhoff vienne et le tue !
« Dagobert ! dit-elle, en parlant tout contre l’oreille du chien. Réveille-toi, Dagobert ! Dago ! »
Dago ouvrit enfin les yeux ; sa maîtresse était encore là. Ce n’était donc pas un rêve ! Le pauvre animal était incapable de comprendre ce qui lui était arrivé durant ces derniers jours. Il fit un effort, ses pattes tremblaient, enfin il se dressa.
« Très bien, mon petit chien ! murmura Claude. Maintenant, viens vite avec moi. »
Mais Dagobert ne pouvait pas marcher. Découragée, Claude regarda dans la cour, effrayée à l’idée que Markhoff allait arriver. Mais ce n’est pas le bandit qu’elle découvrit : François, debout sur le seuil de la grande porte voûtée, la regardait. Elle se faisait tellement de souci pour le chien qu’elle ne s’étonna même pas de voir son cousin là.
« François ! appela-t-elle, viens au secours de Dago, ils vont le tuer ! »
François accourut, suivi de Mick.
« Qu’est-il arrivé, Jo ? As-tu trouvé Claude ?
— Voyons, François ! C’est moi Claude ! » François ne l’avait pas reconnue…
« Où pouvons-nous cacher le chien ?
— Dans le souterrain, répondit Mick, c’est le seul endroit possible. Viens ! »
Ils arrivèrent à tirer le pauvre Dagobert, engourdi et lourd, à travers la cour jusqu’à l’arche de pierre ; ils ouvrirent la porte et le poussèrent à l’intérieur. Le malheureux chien dégringola les marches plutôt qu’il ne les descendit et s’écroula en bas de l’escalier en gémissant. Claude fut affolée.
« Il a dû se blesser ! »
Mais au grand étonnement des trois enfants, le choc semblait, au contraire, avoir réveillé l’animal ; il se secouait, regardait tout autour de lui, enfin il vint manifester sa joie à sa maîtresse.
Celle-ci le caressait, le consolait ; les deux garçons étaient très émus eux aussi. Dans sa tête de chien, Dagobert pensait que tout irait mieux s’il ne se sentait pas si lourd et si fatigué, il n’aspirait qu’à une seule chose : s’étendre et dormir.
« Descendons-le vite dans les grottes ! dit Mick. Ces bandits le chercheront sûrement, lorsqu’ils s’apercevront qu’il s’est enfui et que nous ne sommes plus dans la cabane. »
Comme ils l’avaient vu faire aux deux hommes, les enfants passèrent par la trappe. Maintenant, réunis autour du chien, ils tenaient un conciliabule. Les garçons avaient éteint leur lampe, et Claude en était plutôt contente, car après toutes ces émotions elle pleurait en silence et ne voulait pas qu’on la vît.
Enfin, elle raconta à ses cousins, à voix basse, les exploits de la gitane.
« C’est elle qui a voulu que je me cache et qui s’est fait enfermer à ma place. Elle est merveilleuse ! C’est la fille la plus courageuse que j’aie jamais connue ! Avoir fait tout cela pour moi qui lui étais tellement antipathique !
— C’est une drôle de gamine ! répondit Mick. Elle a très bon cœur. »
Ils parlaient vite, échangeant les nouvelles qu’ils connaissaient. Claude leur raconta comment elle avait été enlevée et conduite dans la roulotte en pleine forêt.
« C’est là que nous avons vu ton message « Mesnil-le-Rouge », expliqua Mick, et c’est pourquoi nous sommes arrivés jusqu’ici.
— Ecoutez, dit François gravement, il faut vite établir un plan, les bandits vont nous chercher, c’est certain ! Qu’allons-nous faire ? »