CHAPITRE IV
Le jour suivant
LES quatre enfants demeurèrent sur le seuil. Ils écoutaient les aboiements excités de Dago. Annie tremblait ; François passa son bras autour de ses épaules, en signe de protection.
« À quoi ressemblait ce visage ? lui demanda-t-il.
— Je ne l’ai pas beaucoup vu, répondit-elle en frissonnant. Il est apparu un instant dans l’éclat de ma lampe. J’ai eu très peur. C’était une figure toute noire, celle d’un noir, peut-être.
— Pourquoi ne l’as-tu vu qu’un instant ? demanda François.
— Parce que j’avais si peur que j’ai lâché ma lampe, et elle s’est éteinte ! Claude s’est éveillée et s’est précipitée vers la fenêtre.
— Où était donc Dagobert ? interrogea Mick, surpris de ne pas avoir été réveillé par les aboiements du chien qui avait sûrement entendu l’inconnu grimper jusqu’à la fenêtre.
— Je ne sais pas, répondit Annie, il est entré dans la chambre dès que j’ai crié.
— Cela ne fait rien, Annie, dit François, il s’agissait probablement d’un vagabond… En voyant toutes les portes et les fenêtres du bas fermées, il a eu l’idée de grimper le long du lierre. Dago le rattrapera sûrement dans le jardin. »
Mais Dago revint bredouille.
« Tu ne l’as pas trouvé, Dago ? » demanda Claude avec anxiété. Dago soupira tristement, la queue basse.
Claude voulut le réconforter et s’aperçut qu’il était tout mouillé.
« Où as-tu bien pu aller pour être mouillé comme ça ? » dit-elle étonnée.
Mick le toucha, les autres en firent autant.
« Il est allé jusqu’à la mer ! dit François. J’imagine que le vagabond courait vers la plage ; comme Dagobert le poursuivait, il a sauté dans un bateau, c’était son seul salut !
— Et Dago a dû essayer de le rattraper à la nage ! Pauvre vieux Dago ! et tu l’as perdu, n’est-ce pas ? »
Le chien remuait un petit peu la queue, il semblait vraiment découragé.
Il avait bien entendu du bruit, mais il avait cru tout d’abord que c’était un rat ! Maintenant il regrettait sa négligence !
François referma la porte et la verrouilla.
« Je ne pense pas que le « visage » apparaisse à la fenêtre avant longtemps, dit-il. La présence d’un chien fait peur aux voleurs. »
Ils allèrent tous se recoucher. François fut incapable de s’endormir tout de suite. Bien qu’il eût dit aux autres de ne pas s’inquiéter, il demeurait anxieux. L’idée qu’un homme pouvait grimper le long du lierre jusqu’à la chambre à coucher des filles le tourmentait ; mais que faire ?
Maria, la cuisinière, dormait, inconsciente du danger. François ne voulait pas la réveiller.
« Non, pensa-t-il, il ne faut rien lui dire, elle serait capable d’envoyer des télégrammes à oncle Henri. »
Le lendemain matin, Maria préparait le café dans la cuisine ; elle n’avait rien entendu.
Annie eut honte d’elle-même, lorsqu’elle s’éveilla. Le « visage » s’était déjà effacé dans son souvenir ; elle en vint à se demander si elle n’avait pas tout simplement rêvé. Elle demanda à François :
« N’ai-je pas fait un cauchemar ?
— Probablement, répondit François, heureux à l’idée qu’Annie ne s’inquiéterait plus. Si j’étais toi, poursuivit-il, je n’y penserais plus. »
Il ne dit pas à sa sœur qu’il avait examiné le lierre du mur et qu’il y avait trouvé des traces prouvant que quelqu’un s’était hissé jusqu’à la fenêtre. Il appela son frère.
« Quelqu’un est venu, dit-il. Regarde : des branches cassées, des feuilles par terre ! Ce vagabond grimpait comme un chat ! »
Aucune trace de pas dans le jardin. François ne s’attendait d’ailleurs pas à en trouver, car le sol était très sec et très dur.
La journée s’annonçait fort belle et il faisait déjà chaud.
« Allons à la plage nous baigner, suggéra Claude. Demandons à Maria de nous donner un pique-nique. »
Aussitôt les deux filles allèrent à la cuisine aider Maria à préparer le panier du repas.
« Et voici une bouteille de cidre ! Eh bien, mes enfants, ajouta-t-elle, vous avez un copieux déjeuner, ce n’est pas la peine que je vous prépare à dîner pour ce soir !»
Claude et Annie se regardèrent avec frayeur. Pas de dîner ? Mais elles surprirent le regard amusé de la cuisinière. Celle-ci plaisantait.
« Nous allons faire nos lits et ranger nos chambres avant de partir », dit Annie et, pleine de gentillesse, elle ajouta : « Avez-vous besoin de quelque chose au village, Maria ?
— Non, pas aujourd’hui. Dépêchez-vous d’aller à la plage. Je serai ravie d’être tranquille toute la journée, j’ai des nettoyages à faire. »
Annie semblait avoir oublié les frayeurs de la nuit passée. Elle bavardait et riait avec les autres sur le chemin de la plage ; d’ailleurs, même si elle avait eu des idées noires, un nouvel événement l’en aurait détournée. La petite gitane était de nouveau sur la plage. Seule, cette fois-ci.
Claude la vit la première et fronça les sourcils. François surprit la grimace de sa cousine…
« Nous allons rester près des rochers aujourd’hui, dit-il aux autres, il fait si chaud que nous serons contents d’avoir de l’ombre. Installons-nous là.
— D’accord », répondit Claude, mi-furieuse, mi-contente de l’autorité de son cousin. Ne t’inquiète pas, je ne me disputerai pas avec cette horrible gosse.
— Je suis content de tes bonnes dispositions ! » répondit François.
Ils s’installèrent derrière de grands rochers ; la gitane ne pouvait pas les voir.
« Si nous lisions un peu avant d’aller nager ? dit Mick. J’ai apporté un livre d’aventures et il faut absolument que je découvre le bandit… C’est une histoire passionnante ! »
Il s’allongea confortablement. Annie alla chercher des anémones de mer, tandis que Claude se couchait à plat ventre et jouait avec Dago. François commença à explorer les rochers. Tout était paisible. Soudain quelque chose tomba tout près de Claude et la fit sursauter. Dago s’assit.
« Qu’est-ce que c’est ? demanda Claude. Qu’est-ce que tu m’as envoyé, Mick ?
— Moi ? s’exclama Mick. Rien du tout ! »
Il était plongé dans sa lecture. À nouveau Claude tressaillit.
« Qui est-ce qui me jette des cailloux ? »
Elle regarda tout autour d’elle.
« Oh ! dit-elle, c’est un noyau de cerise !
— J’aimerais pouvoir te dessiner, Claude ! dit François. Je n’ai jamais vu une telle grimace ! Oh ! »
Le « oh ! » n’avait rien à voir avec la grimace de Claude. François venait de recevoir un autre noyau de cerise juste derrière l’oreille. Il entendit quelqu’un rire. Claude se leva et contourna les rochers.
La petite gitane se cachait derrière. Ses poches étaient pleines de cerises, quelques-unes avaient roulé dans les pierres, à ses pieds. Lorsqu’elle vit Claude, elle s’arrêta de rire.
« Tu as fini de nous bombarder de noyaux ?
— Je ne vous bombardais pas, répondit la fille.
— Ne mens pas ! Je sais que c’est toi !
— Je les crachais simplement. Regarde. »
Elle mit une cerise dans sa bouche et quelques instants après, elle cracha le noyau qui vint frapper Claude juste sur le nez ! Celle-ci eut l’air tellement surprise que Mick et François ne purent s’empêcher de rire.
« Je parie que je peux cracher les noyaux bien plus loin que vous tous ! dit la gitane. Tenez, prenez des cerises et essayez.
— D’accord, répondit Mick, si tu gagnes, je t’achèterai une glace. Sinon tu n’auras plus qu’à filer et ne plus jamais t’approcher de nous !
— Bien ! dit la gitane dont les yeux brillaient. Mais je gagnerai sûrement ! »
La petite gitane se cachait derrière les
rochers.