CHAPITRE XVI
 
Un visiteur dans la nuit

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FRANÇOIS et Mick tardèrent à s’endormir. Ils étaient tous deux très inquiets, pour Claude et pour eux-mêmes.

Mick, le premier, céda au sommeil. François veillait sur Annie. Il n’avait pas très chaud et il craignait que sa sœur prît froid.

Il entendait le murmure du vent dans les feuilles. Puis il perçut un léger bruit… Y avait-il un animal dans le fourré ? Soudain, il frissonna. Il avait été effleuré par le vol rapide d’un oiseau. Une chauve-souris ? Quelle horreur ! Puis, ce fut pire encore : il eut l’impression qu’un insecte marchait sur sa tête. Une araignée probablement ; elle avait le temps de tisser une toile autour de ses cheveux, car il ne bougeait pas dans la crainte de réveiller sa petite sœur ! Enfin, François ferma les yeux et quelques instants plus tard, il rêvait déjà.

Tout à coup il se réveilla. Il avait entendu très distinctement le cri de la chouette. « Zut, pensa-t-il, je ne vais plus pouvoir me rendormir. » Il tourna légèrement la tête ; de nouveau l’oiseau cria. « Pourvu qu’Annie ne se réveille pas ! » Elle grognait un peu dans son rêve.

Le pauvre François ne pourrait décidément pas se reposer. Il venait d’entendre un autre bruit ! On aurait dit qu’un animal rampait dans les taillis.

Malgré lui, et bien qu’il fût un garçon courageux, il se sentit envahi par la peur. Il n’y avait heureusement pas de loups dans le pays. Etait-ce un sanglier ? Un blaireau ? Il écouta. Le bruit se rapprochait de plus en plus. Et soudain, il sentit une haleine chaude contre son oreille. Il s’écarta avec horreur. Il étendit la main, et ses doigts rencontrèrent une chevelure. En hâte, il chercha sa lampe électrique, mais, avant même qu’il ait pu l’atteindre, une main s’empara de sa main, et il eut la plus grande surprise de sa vie. Cet étrange animal parlait :

« François, dit la voix, c’est moi ! »

Les doigts tremblants, le garçon alluma enfin la lampe. Un petit visage encadré de cheveux hirsutes apparut dans l’ombre.

« Jo ! s’exclama François, Jo ! Que fais-tu là ? Tu m’as fait peur ! Je pensais que c’était une horrible bête, avec une tête couverte de cheveux !

— C’est ma tête que tu touchais ! » murmura Jo, qui ne pouvait s’empêcher de rire.

Annie et Mick se réveillèrent, se frottèrent les yeux tant ils étaient étonnés. Jo en pleine nuit dans la forêt !

« Cela vous surprend de me voir, n’est-ce pas ? demanda-t-elle. Manolo m’avait attrapée, mais il ignorait que vous me suiviez. Il m’a enfermée dans sa maison. Il jurait de tout dire à mon père !

— Et que t’est-il arrivé ? demanda Mick, le cœur plein de pitié.

— Rien de grave, répondit la gitane, j’ai cassé la vitre de la fenêtre et je suis sortie ! Je déteste ce Manolo, je ne lui obéirai plus jamais. M’enfermer ! Il n’y a rien qui me fasse plus horreur que d’être prisonnière !

— Mais comment as-tu pu nous retrouver ? interrogea François,

— Tout d’abord, je me suis rendue à la roulotte d’une tribu amie ; la vieille maman Dolorès m’a dit que vous lui aviez demandé votre chemin ; j’ai donc suivi le sentier jusqu’à la voiture de mon père. Mais là, je n’ai trouvé personne, pas même Claude.

— Sais-tu où est Claude ? demanda Annie.

— Non, je ne sais pas. Papa a dû l’emmener ailleurs. Il l’a sans doute forcée à monter Sultan, car le cheval n’était pas là non plus.

— Et Dagobert ? » demanda Mick. Jo regardait au loin…

«Je me demande ce qu’ils en ont fait… » dit-elle.

Cette phrase fut suivie d’un long silence. Les enfants pensaient avec tristesse au sort du pauvre chien fidèle.

« Mais comment es-tu arrivée jusqu’à nous en pleine nuit ? demanda François.

— Ce n’était pas difficile, répondit la gitane, je peux suivre la trace de n’importe qui, grâce à mon flair. Mais, il faisait noir et puis il me semble que vous avez tourné en rond !

— C’est vrai, dit Mick. Tu as fait tous les détours que nous avions faits nous-mêmes ?

— Oui ! avoua Jo. J’étais très fatiguée ! Pourquoi avez-vous quitté le chemin où l’on voyait les traces de roues ? »

François lui expliqua.

« Vous n’avez pas l’habitude, répondit la petite sauvage. Lorsqu’on marche dans un bois et que l’on sort du sentier, il faut laisser des marques dans l’écorce des arbres, çà et là, afin de retrouver le chemin du retour.

— Nous étions perdus », soupira Annie.

Elle prit la petite main de Jo et la serra bien fort entre les siennes. Elle était si contente de la voir !

Maintenant ils allaient pouvoir sortir de cette triste forêt.

Jo était surprise et émue, mais elle retira tout de suite sa main. Elle n’aimait que Mick. Il était son héros, quelqu’un de « pas comme les autres ».Il avait été si bon avec elle et elle était si heureuse de le connaître !

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« Nous avons trouvé des mots écrits sur la paroi intérieure de la roulotte, expliqua François. Le nom de l’endroit où Claude a été emmenée : Mesnil-le-Rouge, est-ce que cela te dit quelque chose ?

— Il n’y a aucun endroit appelé Mesnil-le-Rouge ! répondit Jo.

— Ne sois pas sotte, répliqua Mick. Tu ne peux pas connaître tous les villages de la région. Les gendarmes nous aideront. »

Jo eut un mouvement d’effroi.

« Vous m’aviez promis de ne rien dire aux gendarmes.

— Oui, nous avions fait cette promesse, mais seulement si tu nous amenais vers Claude, contesta Mick, et tu ne l’as pas fait. Si tu nous avais conduits immédiatement jusqu’à la roulotte, sans perdre de temps, nous aurions retrouvé notre cousine ! Maintenant, nous n’avons qu’un recours : appeler la police.

— Claude a écrit « Mesnil-le-Rouge » ? demanda Jo. Eh bien, je peux vous emmener jusqu’à Claude.

— Comment ? Tu viens de nous dire qu’il n’y avait aucun endroit de ce nom ! dit François exaspéré. Je ne crois pas un mot de ce que tu racontes, Jo. Je pense même que tu travailles contre nous, que tu es l’alliée de ce bandit !

— Non, non ! cria Jo. Ce n’est pas vrai ! Je vous ai dit que Mesnil-le-Rouge n’était pas un endroit. Mesnil-le-Rouge, c’est un homme. »

Cette phrase fut suivie d’un silence profond. Un homme ! Personne n’avait pensé à cette possibilité.

La gitane sembla assez contente de son effet de surprise.

« Il s’appelle Mesnil et il a les cheveux roux, dit-elle. Voilà toute l’explication.

— Tu es en train d’inventer une nouvelle histoire ! s’exclama Mick. Tu nous en as déjà tellement raconté ! »

Le visage de la gitane se renfrogna.

« Je m’en vais, dit-elle. Débrouillez-vous tout seuls, vous êtes trop méchants. Vous ne me croyez jamais. »

Elle s’enfuit, mais François eut vite fait de la rattraper.

« Non, tu vas rester avec nous maintenant, gronda-t-il, même si je dois t’attacher toute la nuit. Tu vois, nous n’avons pas tout à fait confiance en toi, mais c’est ta faute. Allons, raconte-nous ce que tu sais de ce Mesnil-le-Rouge ; mène-nous à l’endroit où il habite, et nous te croirons désormais.

— Mick me croira-t-il aussi ? demanda Jo, qui essayait d’échapper à la solide poigne de François.

— Oui ! » répondit Mick.

Il éprouvait de l’affection pour la petite gitane ; elle était curieuse, fascinante, agaçante, pourrie de défauts et, pourtant, il l’aimait bien ! Mais il lui dit : « Je ne t’aime pas beaucoup en ce moment. Si tu veux reconquérir mon amitié, il faudra nous aider un peu mieux que tu ne l’as fait jusqu’à présent !

— Bien ! » grogna Jo.

Et elle s’allongea par terre.

« Je suis fatiguée, je vais dormir. Demain matin, je vous conduirai vers Mesnil-le-Rouge, mais je vous préviens, cet homme est une brute. »

Elle se tut, et ils essayèrent tous de dormir. Ils étaient plus heureux maintenant que Jo se trouvait avec eux et pouvait les aider à sortir du bois. François lui-même s’endormit.

Jo s’éveilla la première et s’étira comme un jeune chat. Elle réveilla les autres ; ils se sentaient fatigués, sales et affamés.

« J’ai faim et soif ! gémit Annie.

— Nous allons retourner à la maison, prendre un bain et un bon petit déjeuner. Maria doit se faire du souci, dit François. Montre-nous le chemin, Jo. »

Elle marcha devant eux. Quelques minutes plus tard, ils se retrouvèrent dans le sentier qu’ils avaient perdu la veille.

« Dire que nous en étions si près, soupira Mick. Nous avons eu l’impression de faire des kilomètres dans cette forêt !

— Vous avez beaucoup marché, parce que vous tourniez en rond ! Suivez-moi, nous allons prendre mon raccourci jusqu’à la villa, c’est beaucoup plus rapide que l’autocar. »

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