CHAPITRE XXII
 
La ruse de Jo

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« Jo ! s’écria Antonio. Eh bien, ça alors ! »

Manolo intervint :

« Qu’est-ce que ça veut dire ? demanda-t-il rudement à Antonio. Que fait ta fille ici ? Qui l’a amenée ? Où est l’autre gosse, celle que nous avons kidnappée ?

— Comment veux-tu que je le sache ? répliqua Antonio. Jo, qu’est-ce que tu fais ici ? Parle ! Où est l’autre fillette ?

— Faites le tour de la pièce et regardez si vous la trouvez », répondit la gitane d’un ton léger.

Mais elle restait sur ses gardes. Les deux hommes fouillèrent la pièce. Manolo s’approcha d’une grande armoire.

« Elle doit être là-dedans, dit la gitane en riant. C’est toi qui as trouvé ! »

Les deux gitans ne savaient trop que penser de tout cela. Ils étaient venus chercher Claude et avaient trouvé Jo ! Que s’était-il passé ? Ils n’arrivaient pas à comprendre ! Ni l’un, ni l’autre ne voulait redescendre dire la vérité à Mesnil-le-Rouge, aussi continuaient-ils à chercher fébrilement dans la chambre.

« Regardons bien partout, elle est sûrement cachée !

— Si je l’attrape, elle va recevoir une bonne raclée ! » grogna Manolo qui ouvrait la porte de l’armoire.

Une voix furieuse résonna dans les escaliers. « Manolo ! Que fais-tu là-haut ? Amène la gosse immédiatement !

— Elle n’est pas là ! répliqua Manolo, hors de lui. Qu’as-tu fait d’elle ? Elle est partie ! »

Mesnil-le-Rouge monta les escaliers en courant et fit irruption dans la chambre. Dans la pénombre, il aperçut la gitane et grogna :

« Qu’est-ce que tu racontes ? Elle est là. Tu es fou ?

— Non, répondit Manolo, c’est toi qui es fou. Nous avions kidnappé la fille du savant et celle que nous trouvons ici n’est que Jo ! »

Le bandit considéra Manolo. Était-il idiot ou avait-il perdu la raison ? Puis il regarda à nouveau Jo et ne remarqua pas de différence entre elle et Claude ; mêmes cheveux courts, même nez en trompette, mêmes vêtements, il ne pouvait pas croire qu’il avait devant lui la fille d’Antonio.

Il continuait à croire que Manolo et Antonio voulaient le berner !

Mais Jo avait son mot à dire.

« Oui, je suis Jo ! Claude est partie ! Antonio, mon père est venu pour me libérer, n’est-ce pas ? »

Antonio demeura stupide, ne sachant comment réagir.

Mesnil-le-Rouge était de plus en plus en colère. La voix qu’il entendait n’était, en effet, pas celle de Claude. Il crut alors qu’Antonio avait substitué sa fille à l’autre enfant. Il courut vers lui et le frappa violemment à la face.

« Tu as voulu être plus fort que moi, n’est-ce pas ? »

Antonio s’écroula sur le sol. Manolo vint immédiatement à son secours. Jo regarda les hommes lutter et haussa les épaules. Qu’ils se battent donc ! Ils l’avaient oubliée et elle s’en réjouissait. Elle courut vers la porte, dégringola les escaliers, mais, à mi-chemin, elle s’arrêta et remonta en courant ; elle avait une idée : elle tourna la clef dans la serrure et poussa les verrous.

À l’intérieur, les trois hommes entendirent la clef tourner, Manolo se rua vers la porte.

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« Elle nous a enfermés, elle a tiré les verrous !

— Au secours ! Markhoff ! » hurla Mesnil-le-Rouge écumant de rage.

Markhoff se trouvait à l’étage inférieur ; il entendit des cris et des coups violents dans la porte ; il se demanda ce qui se passait et monta voir.

Jo était cachée dans l’autre pièce. Aussitôt qu’elle vit Markhoff s’approcher de la porte verrouillée, elle descendit les escaliers. Elle serrait très fort un objet contre son cœur.

C’était la grande clef de la pièce où elle avait emprisonné les bandits ; personne ne pourrait les délivrer !

« Ouvre la porte ! criait Mesnil-le-Rouge, la gosse s’est enfuie.

— La clef n’est pas là, répondit Markhoff. Cette maudite gamine a dû la prendre. Je m’en occupe ! »

Courir après Jo était une chose, la retrouver en était une autre ! Elle semblait s’être dissipée dans l’air. Markhoff fouilla en vain toutes les pièces et sortit dans la cour ; il n’y avait personne. Au même instant, la gitane pénétrait dans la cuisine, car elle mourait de faim. Elle se rendit à l’office et prit soin de fermer à clef la porte de communication. Il y avait une petite fenêtre par laquelle il lui serait facile de s’enfuir en cas de danger. Jo fouilla dans les placards et s’installa pour manger. Elle avait trouvé un gros morceau de gruyère, du pain, du beurre, du pâté et un pot de confiture.

Lorsqu’elle se fut restaurée, elle se sentit beaucoup mieux. Puis elle pensa à ses amis qui devaient avoir bien faim eux aussi. La fillette s’empara d’un sac et le remplit de provisions. Si elle retrouvait les garçons et Claude, ils pourraient se rassasier.

Jo enfouit la grande clef dans le fond du panier. Elle était très fière. Mesnil-le-Rouge, Manolo et Antonio étaient captifs, cela la rassurait. Elle n’avait pas aussi peur de Markhoff que de Mesnil-le-Rouge, et pensait pouvoir lui échapper facilement.

La petite fille ne se sentait même pas triste en pensant à son papa. Elle ne l’aimait pas et ne le respectait guère, car il ne se comportait pas comme un vrai père.

Soudain, entendant Markhoff entrer dans la cuisine, elle se prépara à sortir par la fenêtre si jamais il enfonçait la porte, mais il n’en fit rien. Il s’éloigna en jurant.

Il était temps de repartir. Jo ouvrit doucement la porte de l’office. À cet instant, une vieille femme venue sans doute de la cour, entrait dans la cuisine en portant un paquet de linge. La servante demeura clouée sur place en voyant la gitane devant elle…

« Qui êtes-vous ? » balbutia-t-elle.

Mais Jo était déjà sortie de la pièce et se trouvait dans le hall d’entrée ; elle entendait Markhoff à l’étage au-dessus, claquant les portes et grommelant. Elle souriait et savourait sa victoire.

Elle sortit tranquillement par la porte principale. Maintenant, il fallait retrouver les autres. Ils étaient sûrement encore dans les grottes. Jo eut du mal à descendre les escaliers du souterrain car elle n’avait pas de lampe. Elle n’avait pas peur, mais elle poussa un petit cri de douleur, car elle était pieds nus et l’arête un peu vive d’une pierre la blessa.

Les trois autres, François, Mick et Claude étaient toujours assis au même endroit, Dagobert au milieu d’eux. François avait remonté le souterrain afin de voir s’ils pouvaient s’échapper, mais il avait aperçu la vieille femme apportant le linge.

D’un commun accord, ils avaient tous décidé d’attendre la nuit pour partir. À ce moment-là, Dagobert serait peut-être plus réveillé et leur viendrait en aide. Soudain le chien jappa. Claude le fit taire ; ils écoutèrent tous…

« François, Mick, où êtes-vous ? J’ai perdu mon chemin !

— C’est Jo ! » s’écria Mick. Il alluma sa lampe.

« Nous sommes là ! Comment t’es-tu échappée ? Qu’est-il arrivé ?

— Je vous raconterai. »

Elle s’assit auprès d’eux, le visage brillant de joie.

« Le chemin n’est pas commode, sans lumière. C’est pourquoi je vous ai appelés. Qui veut du pain et du fromage ?

— Comment ? Que dis-tu ? » interrogèrent les trois affamés ; le chien lui-même leva la tête et commença à renifler le panier de Jo.

La gitane rit et sortit ses provisions.

« Jo, tu es la huitième merveille du monde ! dit Mick. Mais qu’y a-t-il encore au fond du panier… ? »

La gitane brandit une énorme clef.

« Regardez, j’ai enfermé Mesnil-le-Rouge, Antonio et Manolo dans le donjon. Voilà la clef ! Qu’en dites-vous ? »