CHAPITRE II
Une rencontre sur la plage
IL FUT très difficile de décider l’oncle Henri à partir le lendemain. Le savant demeura enfermé dans son bureau jusqu’au dernier moment. Le taxi arriva et s’arrêta devant la grille du jardin. Tante Cécile, prête depuis longtemps, courut frapper à la porte du bureau.
« Henri ! Ouvre la porte et viens ! Nous allons rater l’avion si tu ne te dépêches pas !
— Une minute », répondit son mari.
Tante Cécile regarda les enfants d’un air désespéré.
« C’est la quatrième fois qu’on l’appelle, et c’est la quatrième fois qu’il répond : « Une minute ! » s’écria Claude.
À cet instant le téléphone sonna et la petite fille prit l’appareil.
« Oui… répondit-elle. Non, c’est impossible… Il est parti en Espagne, pour une semaine ou deux, probablement… Attendez, je vais demander à ma mère.
— Qui est-ce ? interrogea tante Cécile.
— C’est le Journal du Matin. Ils veulent envoyer un reporter pour interviewer papa ! Je leur ai dit qu’il était parti en Espagne, ils demandent s’ils peuvent publier cette nouvelle.
— Bien sûr, répondit tante Cécile, pleine de reconnaissance pour sa fille. Lorsqu’ils auront annoncé ce départ, personne ne téléphonera plus. »
Claude donna donc l’autorisation au journaliste. Le chauffeur de taxi s’impatientait et klaxonnait devant la porte. Dago aboya furieusement. L’oncle Henri, en proie à une violente colère, apparut sur le seuil de son bureau.
« Je ne pourrai donc jamais avoir la paix, lorsque je travaille ? »
Mais sa femme alla le prendre par la main, lui donna son chapeau et sa canne et l’entraîna.
« Tu ne travailles plus, tu es en vacances ! » déclara-t-elle.
Elle s’aperçut alors qu’il tenait un porte-documents sous le bras.
« Oh ! Henri ! tu es épouvantable ! Tu emportes du travail en voyage ? »
À cet instant, le téléphone sonna de nouveau.
— Encore un reporter qui désire t’interviewer, papa ! Tu ferais bien de te dépêcher ! » s’écria Claude.
La crainte de rencontrer les journalistes décida l’oncle Henri à s’en aller au plus vite. Quelques secondes après, il était assis dans le taxi serrant toujours contre lui son porte-documents. Il dit avec véhémence au chauffeur ce qu’il pensait des gens qui troublaient le travail des savants.
« Au revoir, mes chéris, dit tante Cécile, soyez sages et amusez-vous bien. »
Le taxi disparut au loin.
« Pauvre maman ! dit Claude. C’est toujours comme ça lorsqu’elle part en vacances. Il y a une chose certaine, c’est que moi je n’épouserai jamais un savant. »
Ils poussèrent un soupir de soulagement à la pensée que l’oncle Henri était parti. Durant les périodes de travail intensif, il avait vraiment un caractère impossible.
« Il est tellement formidable ! dit François. En classe, notre professeur parle de lui avec admiration, mais ce qui me sourit beaucoup moins, c’est qu’il voudrait que je sois très brillant, sous prétexte que j’ai un oncle remarquable !
— Oui, c’est très gênant d’avoir des gens trop intelligents dans sa famille ! dit Mick. Nous voici seuls avec Maria, cette chère vieille Maria. J’espère qu’elle nous donnera des repas froids quand nous irons en excursion.
— Elle fait très bien la cuisine, dit Claude. Allons voir s’il y a quelque chose à manger maintenant, j’ai faim !
— Moi aussi », dit Mick. Ils coururent vers la cuisine.
« Inutile de m’expliquer pourquoi vous venez, dit la cuisinière en souriant. Mais je vous avertis que le placard à provisions est fermé à clef !
— Oh ! Maria ! pourquoi avez-vous fait ça ? » s’exclama Mick en essayant d’ouvrir la porte qui, hélas ! était bien fermée…
« Parce que c’est la seule chose à faire lorsque vous êtes tous là, sans compter que le chien est toujours affamé, lui aussi ! » dit Maria qui pétrissait une pâte à tarte avec vigueur. « Aux dernières vacances, j’avais laissé un pâté en croûte, un demi-poulet, une tarte aux fraises et des fruits pour le repas du lendemain. Lorsque je suis revenue de mon après-midi de congé, il ne restait absolument plus rien !
— Eh bien ! nous pensions que vous aviez préparé cela pour notre dîner ! dit François.
— Vous n’aurez plus l’occasion de penser cela, conclut Maria avec fermeté, la porte sera fermée à clef ; je vous donnerai ce qu’il vous faudra. Vous ne prendrez rien tout seuls. »
Les quatre enfants sortirent de la cuisine, un peu déçus ; Dagobert marchait sur leurs talons.
« Allons nous baigner, s’écria Mick. Si je veux prendre six bains par jour, il serait temps que je commence !
— Je vais chercher les bouées pour nager, dit Annie ; nous allons bien nous amuser ; j’espère que nous retrouverons, comme toujours, le marchand de glaces sur la plage ! »
Quelques instants plus tard, ils étaient tous sur la grève en costume de bain. Ils découvrirent un endroit agréable et commencèrent à creuser des trous confortables dans le sable pour s’y asseoir ; le chien les imita.
« Je ne vois pas pourquoi tu fais un trou, Dago, tu finis toujours par te coucher dans le mien ! » dit Claude.
Mais Dagobert travaillait si bien avec ses pattes, qu’il envoya du sable dans la figure d’Annie. Elle s’essuya la bouche.
« Cela suffit, Dago ! tu m’ennuies ! » Dagobert vint lui prodiguer des caresses, puis creusa encore. Quand son trou fut achevé, il s’y étendit confortablement. Il avait l’air de sourire ! « Il sourit encore ! s’écria Annie. Je n’ai jamais vu un chien sourire comme Dago ! Je suis très contente d’être avec toi, Dago !
— Ouah ! » répondit le chien poliment. Il voulait dire qu’il se réjouissait lui aussi de retrouver Annie et les autres. Claude ouvrit une boîte de biscuits, et les enfants y firent honneur.
« Nous nous baignerons plus tard », dit Mick. À cet instant leur attention fut attirée par des gens qui marchaient le long de la plage. Mick les regarda entre ses paupières mi-closes. Un homme et un jeune garçon s’approchaient. Le gamin, qui avait l’air d’un gitan, portait des culottes courtes assez sales et un pull-over, il allait pieds nus. L’homme avait une drôle d’allure. Il boitait. Une moustache broussailleuse cachait sa bouche. Il observait, de ses petits yeux intelligents, l’étendue de sable, tout autour de lui. Il paraissait chercher quelque chose que la marée avait peut-être emporté. Le jeune gitan serrait une vieille boîte, un soulier mouillé et un morceau de bois sous son bras.
« J’espère qu’ils ne vont pas trop s’approcher de nous, je suis sûr qu’ils sentent mauvais ! » dit Mick à François.
L’homme et l’enfant arpentaient la plage et bientôt vinrent s’asseoir non loin de Claude et de ses cousins. Dagobert grogna.
Une odeur déplaisante les écœura tous les cinq. Pouah ! Dago grogna encore.
« Allons nous baigner, dit François, que la présence des deux étrangers ennuyait. Pourquoi viennent-ils juste s’asseoir là, alors que la grève est déserte ? »
Les cousins nagèrent vigoureusement dans les vagues. Lorsqu’ils revinrent, ils virent le jeune garçon, demeuré seul, qui avait poussé l’audace jusqu’à s’asseoir dans le trou de Claude !
« Allez-vous-en, dit celle-ci qui avait hérité de son père un caractère violent. C’est moi qui ai creusé ce trou et il est à moi !
— Qui va à la chasse perd sa place ! » répondit le petit garçon d’une voix chantante.
Claude se pencha et poussa vigoureusement le gosse, mais celui-ci se défendit. Mick arriva en courant.
— Claude, laisse-moi faire ! »
Et il attaqua le garçon.
« C’est clair. Nous ne voulons pas de toi ici ! C’est compris ? »
Le garçon donna un bon coup de poing dans la mâchoire de Mick. Celui-ci riposta immédiatement et lui envoya un direct au menton.
« Lâche ! hurla le petit inconnu. Frapper un plus petit que toi. Je me battrai avec l’autre garçon, mais pas avec toi.
— Ce n’est pas un garçon, c’est une fille ! répliqua Mick. On ne se bat pas avec les filles.
— Tais-toi, répondit le gitan en serrant les poings, et tiens-toi bien ; je suis une fille, moi aussi ; donc je peux me battre avec elle, non ? »
Claude serrait les poings. Les deux fillettes avaient l’air si étonné que François éclata de rire.
« Il est interdit de se battre, dit-il, et toi, file ! »
La petite inconnue le regarda, puis elle éclata en sanglots et s’en alla en courant.
« C’est bien une fille, en effet, dit Mick. C’est la dernière fois que nous la voyons, je pense ! »
Mais il se trompait, ce n’était pas la dernière