CHAPITRE XXIV
De l’inattendu…
LA PENSÉE que les bandits pouvaient revenir, en proie à la fureur, affolait les enfants. « Dès que Markhoff aura essayé la clef, il verra bien que Jo s’est moquée de lui ! dit Claude.
— Il reviendra ici fou de rage ! Que faire ? demanda François. Nous cacher encore une fois ?
— Non, dit Mick, sortons ! Descendons le long de la falaise jusqu’à la mer, je me sentirai plus en sécurité que dans cette grotte. Peut-être trouverons-nous une meilleure cachette dans les rochers de la côte.
— Quel dommage qu’ils aient détruit mon bateau ! soupira Claude. Comment allons-nous emmener Dagobert ? »
Ils se concertèrent. Jo se souvint de la corde qui leur avait servi à grimper et qu’elle avait laissée au creux d’un rocher.
« J’ai une idée », dit-elle.
Son esprit travaillait vite.
« Toi, François, tu vas descendre le premier, ensuite Mick, et puis Claude. Alors je remonterai la corde, j’y attacherai Dagobert et je le ferai descendre jusqu’à vous. Il est tellement endormi qu’il n’aura même pas conscience du danger !
— Et toi ? demanda Mick. Tu vas rester la dernière ? Tu seras toute seule sur le rebord de la falaise. Et si les hommes reviennent…
— Ça m’est égal, dit Jo, je n’ai pas peur. Dépêchez-vous. »
François descendit le premier en s’aidant de la corde, puis ce fut le tour de Mick, à qui l’angoisse donnait du courage. Il fallait fuir à tout prix ! Claude descendit ensuite ; elle n’aimait pas particulièrement ce genre de sport ; chaque fois qu’elle regardait la mer au-dessous d’elle, elle avait le vertige. Enfin elle parvint au bas de la falaise.
Pour le chien, ce fut plus difficile. Claude attendait avec anxiété. Jo s’efforçait d’attacher Dagobert de telle façon qu’il ne coure aucun risque, mais il était bien lourd… Elle parvînt tout de même à le lier solidement et elle appela les autres.
« Attention, le voilà ! Pourvu qu’il ne se mette pas à gigoter ! Il risquerait d’être projeté contre les rochers. »
Le pauvre Dagobert n’aima pas du tout cette expérience. Se trouver balancé dans l’air ne lui plut guère. Mais enfin tout se passa bien. Claude le reçut dans ses bras et le détacha.
« À mon tour ! J’arrive ! » s’écria Jo.
Ses doigts de pied s’accrochaient aux arêtes de pierre, ses mains trouvaient des aspérités où s’agripper. Elle descendait très vite, sans même s’aider de la corde. Les enfants la regardaient avec admiration. Bientôt elle fut au milieu d’eux.
« Et maintenant, demanda Jo, qu’est-ce qu’on fait ?
— On cherche une cachette », répondit François.
Ils se séparèrent en deux groupes pour explorer la crique rocheuse. La mer agitée se brisait en vagues écumantes contre les récifs. Il était certainement impossible de nager, dans ces eaux tumultueuses.
Tout à coup, Claude poussa un cri : « François ! viens voir ce que j’ai trouvé ! » Ils accoururent tous autour de Claude. Elle montrait du doigt une sorte d’épave, couverte de varech, échouée sur les galets.
« Un bateau ! Il est couvert de varech, mais c’est un bateau !
— C’est ton bateau ! cria Mick qui avait commencé à le dégager. Markhoff ne l’a pas détruit. Il n’a pas pu le trouver, nous l’avions recouvert d’algues. Il a simplement menti à Mesnil-le-Rouge en lui disant qu’il avait exécuté son ordre.
— Formidable ! criait Jo, en battant des mains. Nous sommes sauvés. »
Les quatre enfants étaient si contents qu’ils bondissaient sur place et s’administraient de grandes claques joyeuses. Ils pouvaient s’enfuir !
Mais un cri résonna soudain. Ils levèrent la tête. Markhoff et les deux hommes se tenaient sur le rebord de la falaise, les menaçant du poing.
« Vous êtes pris ! hurlaient-ils.
— Vite, vite ! dit François, poussant le bateau à la mer. Aidez-moi, poussez fort ! »
Markhoff descendait déjà le long de la falaise, s’aidant de la corde restée en place.
Le bateau était presque à flot lorsqu’un événement inattendu survint : Dago, toujours somnolent, glissa et tomba à la mer.
« Il va se noyer ! » cria Claude.
François et Mick ne pouvaient pas interrompre leurs manœuvres. Ils voyaient que Markhoff serait bientôt près d’eux. Claude appelait désespérément son chien.
Mais l’eau eut un curieux effet sur celui-ci. Le froid le réveilla tout à fait. Il se mit à nager vigoureusement vers Claude qui le repêcha par la peau du cou. Le bateau glissait maintenant dans l’eau. François suppliait sa cousine de se hâter. Jo était déjà à bord avec Mick.
François jeta un regard désespéré vers Markhoff qui descendait toujours. Soudain, Dagobert s’échappa des mains de Claude et courut vers la falaise en aboyant. Markhoff se trouvait tout près du sol lorsqu’il entendit le chien aboyer. Il essaya de remonter en vitesse pour se mettre hors d’atteinte.
« Ouah ! Ouah. ! hurlait Dagobert furieux. Grrrr…
— Attention, Markhoff ! hurla un des hommes. Ce chien est enragé ! »
Markhoff avait peur. Ses genoux glissaient le long de la falaise. Il ne parvenait plus à grimper. Cet incident faisait gagner du temps aux enfants.
« Viens, Dagobert ! appela Claude. Viens maintenant. »
Le bateau était prêt, mais Dagobert n’avait qu’une idée : mordre les mollets du bandit !
« Dago ! Dago ! »
Enfin le chien obéit, après avoir jeté un regard de regret sur les jambes de Markhoff.
Lorsque celui-ci sauta enfin sur la grève, il était trop tard. Le bateau voguait sur les vagues. En quelques minutes, il avait disparu derrière le haut rocher du promontoire. François et Mick ramaient vigoureusement, Claude embrassait son chien, Jo le caressait.
« Il va bien, il est guéri ! s’exclamait Claude.
— L’eau froide l’a sauvé ! Pauvre vieux Dago ! » disait la gitane.
Soudain le chien aboya joyeusement, il avait trouvé au fond du bateau le paquet de sandwiches que les enfants avaient apporté le matin.
« Que c’est bon d’entendre Dagobert japper et de le voir remuer la queue ! »
Dago avait retrouvé le bonheur de vivre, et sa maîtresse qu’il aimait tant.
« Rentrons vite à la maison ! dit François. Annie sera si contente de nous voir ! Quelle aventure nous avons vécue ! »