CHAPITRE XIII
À la recherche de Claude
MARIA fut la seule à se réveiller de bonne heure le lendemain matin. Il était pourtant trop tard pour rattraper le laitier. Elle descendit en courant les escaliers, noua son tablier autour de sa taille.
« Sept heures et demie, est-ce une heure pour se réveiller ! » s’exclama-t-elle.
Elle commença à allumer le feu. Elle ne pouvait s’empêcher de penser à la nuit passée. Quelle étrange soirée : le jeune Jeannot qui remerciait, la bataille entre Mick et Jo, l’extraordinaire récit de la petite gitane. En s’éveillant le matin, la cuisinière avait tout d’abord pensé que Jo s’était enfuie. Mais non ! Elle était dans son lit, roulée en boule comme un petit chat, son visage brun posé sur sa main bronzée. Ses cheveux, pour une fois brillants, tombaient en boucles soyeuses sur ses yeux clos. Elle n’avait pas entendu Maria se lever, faire sa toilette et s’habiller.
Les autres avaient bien dormi aussi. François s’éveilla le premier, mais il était déjà huit heures. Il se souvint immédiatement des événements de la veille et bondit hors de son lit.
Il courut dans la chambre de Maria. Mais il l’entendit en bas ; elle parlait seule comme à l’ordinaire. Le jeune garçon fut tout content de voir que la gitane était encore là. Il s’approcha du lit, la secoua gentiment. Elle se retourna et enfouit son visage dans l’oreiller. François la secoua alors un peu plus vigoureusement. Il fallait qu’elle se levât et qu’elle les conduisit à l’endroit où se trouvait Claude, le plus vite possible.
À huit heures et demie, les enfants étaient tous réunis autour de la table pour le petit déjeuner. Jo restait avec la cuisinière. On entendait celle-ci gronder un peu la petite fille.
« Pourquoi manges-tu si vite, comme si le chien allait te prendre tes tartines ? Qui t’a appris à tremper tes doigts dans le pot de confiture et à les sucer ensuite ? J’ai des yeux derrière la tête, je vois tout ce que tu fais. »
« Qui t’a appris à tremper tes doigts
dans le pot de confitures ? »
Jo aimait Maria. Elle se sentait à l’aise avec elle et se disait que, si elle était gentille avec la cuisinière, elle serait toujours bien nourrie. La servante cachait sa bonté sous des dehors bourrus. Personne n’avait jamais eu peur d’elle. La gitane la suivit donc comme un petit chien, dès qu’elle eut fini son déjeuner.
François entra dans la cuisine à neuf heures.
« Où est Jo ? demanda-t-il. Ah ! tu es là. Veux-tu nous expliquer où se trouve la roulotte de ton père ? Es-tu certaine de connaître le chemin ? »
Jo éclata de rire.
« Naturellement, je connais toute la région.
— Parfait », dit François ; il déplia une carte sur la table de la cuisine et posa son doigt sur un point.
« Voici la villa des Mouettes, expliqua-t-il ; là se trouve une forêt appelée la forêt de Courcy. Quel chemin vas-tu prendre ? Celui-ci ou celui-là ? »
Jo regarda la carte sans comprendre.
« Eh bien ? demanda François impatient, est-ce bien la forêt dont tu parlais ?
— Je ne sais pas, répondit Jo timidement. Dans celle dont je parle, il y a de vrais arbres. »
Maria rit.
« Monsieur François, cette petite n’a sûrement jamais vu une carte de sa vie ; elle ne sait même pas lire.
— Elle ne sait pas lire ! s’exclama François étonné. Elle ne sait sans doute pas non plus écrire ? »
Jo secoua la tête.
« Maman a essayé de m’apprendre à lire, dit-elle, mais elle n’était pas très savante. À quoi ça sert ? C’est plus utile de savoir attraper des lapins ou pêcher du poisson ! »
François plia la carte d’un air pensif. Comment faire confiance à Jo ? Sur un certain plan elle était très ignorante et sur d’autres elle paraissait connaître parfaitement la vie.
« N’ayez pas peur, dit Maria. Les gitans ressemblent aux animaux, ils ont du flair !
— Est-ce vrai que tu renifles ton chemin comme un chien ? demanda Annie qui venait d’entrer.
— Non, répondit Jo, je sais où il faut passer, c’est tout ; mais je ne prends pas la route, je choisis toujours un raccourci, vous comprenez ?
— Comment sais-tu qu’il s’agit d’un raccourci ?» demanda la petite fille.
La gitane haussa les épaules ; tout cela lui paraissait mortellement ennuyeux.
« Où est l’autre garçon ? demanda-t-elle, il ne vient pas ? Je veux le voir.
— Elle aime vraiment beaucoup Mick ! s’écria Maria. Le voilà ton Mick !
— Bonjour Jo ! s’exclama le garçon en entrant. Tu es prête à nous conduire ?
— Il vaudrait peut-être mieux partir ce soir, quand il fera plus sombre, suggéra Jo.
— Non, nous voulons partir tout de suite !, dit Mick.
— Si papa nous voit arriver, il sera furieux ! répéta Jo avec obstination.
— Très bien, riposta Mick en regardant François, nous irons donc par nos propres moyens, nous avons trouvé « le Bois enchanté » sur la carte, ce n’est guère difficile de nous y rendre.
— Oh ! se moqua la gitane, vous pouvez naturellement atteindre la forêt, mais elle est si grande que vous ne trouverez jamais la cachette ! Si papa a vraiment décidé que personne ne retrouverait Claude, il la gardera prisonnière au milieu des fourrés dans un endroit inaccessible ; vous ne pouvez pas y aller sans moi.
— Bon, nous avertirons donc les gendarmes ! dit François calmement. Ils nous aideront à fouiller le bois jusqu’à ce que nous retrouvions Claude !
— Non ! hurla Jo. Vous m’avez promis de ne pas faire cela !
— Tu as promis, toi aussi ; nous avions fait un pacte, mais je vois qu’on ne peut croire ta parole, et puisque tu ne veux plus partir ce matin, je vais donc me rendre à la gendarmerie. »
Au moment où il sortait de la pièce, la gitane se jeta contre lui et lui barra le chemin.
« Non ! non ! je vous emmènerai, je tiendrai ma promesse ; mais il vaudrait mieux y aller la nuit.
— Nous ne pouvons plus attendre, répondit durement François en repoussant la gitane.
Viens avec nous maintenant !
— Bien, accepta Jo.
— Si nous lui donnions un autre short », suggéra Annie, en découvrant tout à coup un trou énorme dans le pantalon de la petite fille. « Elle ne peut pas sortir comme ça ! Regarde ! Son pull-over est plein de trous aussi ! »
Les garçons regardèrent la gitane.
« J’aimerais mieux, en effet, qu’elle ait des vêtements propres, dit la cuisinière, j’ai lavé dernièrement un vieux pantalon qui appartient à Claude, elle pourrait le mettre ; il y a aussi des chemises fraîchement repassées. »
Cinq minutes plus tard, la gitane habillée comme un petit garçon réapparut toute propre. Elle portait exactement la même chemise qu’Annie.
« Elle ressemble terriblement à Claude, dit Annie en riant ; elles pourraient être sœurs !
— Frères, veux-tu dire ! » corrigea Mick. La gitane fit la grimace.
« Elle fait exactement la même grimace que notre cousine ! » s’exclama Annie.
Alors Jo lui tourna le dos. Elle n’aimait pas du tout Claude et ne se souciait guère de lui ressembler.
« Que tu es laide quand tu fais des grimaces ! gronda Maria. Méfie-toi, si le vent tourne à ce moment-là, tu resteras laide pour toute ta vie !
— En avant ! dit François impatient. Jo, tu m’entends ? Conduis-nous dans la forêt !
— Manolo peut nous voir… », murmura Jo. Elle avait décidé de partir le plus tard possible. « Eh bien, tant pis ! répondit François. Tu n’as qu’à marcher très loin devant nous et nous te suivrons. Manolo ne pourra pas savoir que tu nous conduis quelque part. »
Enfin ils partirent. Maria leur avait donné quelques provisions dans un sac que François mit sur son dos. Jo sortit par la porte de derrière, et courut jusqu’à la grille du jardin. Les autres l’observaient de loin.
« Suivons-la bien, dit François, c’est une petite sorcière, je ne serais pas étonné si elle essayait de nous fausser compagnie. »
Jo gambadait loin devant eux, dans le soleil.
Et soudain quelqu’un jaillit d’une haie, s’arrêta devant Jo et lui parla. Elle cria et essaya de s’enfuir, mais l’homme la saisit par les épaules et la poussa durement dans les buissons.
« C’est Manolo ! dit Mick, j’en suis sûr ! Il l’attendait ! Maintenant, qu’allons-nous faire ? »