CHAPITRE III
Un visage à la fenêtre
LES CINQ retournèrent se coucher dans le sable. Mick avait mal à la mâchoire. « Cette sale gosse m’a donné un sérieux coup de poing ! s’exclama-t-il avec un brin d’admiration. Un vrai démon !
— Je ne vois pas pourquoi François ne m’a pas laissée me battre avec elle, dit Claude hargneuse, C’est moi qu’elle ennuyait.
— Les filles ne doivent pas se bagarrer ! approuva Mick. Ne sois pas sotte, Claude, je sais que tu es aussi courageuse qu’un garçon, tu t’habilles comme un garçon, tu grimpes aux arbres aussi bien que moi, mais tu ne raisonnes pas encore comme un homme. »
Cette sorte de sermon ne plaisait guère à Claude.
« Je suis désolé, ajouta Mick, de l’avoir rabrouée comme ça ; c’est la première fois que je boxais avec une fille, j’espère que ce sera la dernière !
— Et moi, je suis joliment contente que tu l’aies frappée ! Si je la revois, je lui dirai ce que je pense d’elle : c’est une petite vipère !
— Tu ne lui diras rien du tout, répondit Mick, je ne le permettrai pas, elle a été assez punie d’être renvoyée ainsi.
— Avez-vous fini de vous disputer tous les deux ? intervint Annie en leur jetant une poignée de sable. Claude, je t’en prie, ne sois pas de mauvaise humeur, nous n’avons que quinze jours de vacances, inutile d’en gâcher un !
— Voilà le marchand de glaces ! s’écria François, cherchant son argent dans le sac de plage. Nous allons acheter un esquimau pour chacun !
— Ouah ! approuva Dago.
— Bon, d’accord, tu en auras aussi ! dit Mick, bien que je ne sache pas si c’est très raisonnable ! Tu vas l’avaler en une bouchée comme si c’était une mouche ! »
En effet, Dago dévora sa glace très vite et alla quémander auprès de sa maîtresse ; mais celle-ci le repoussa.
« Non, mon petit chien ! C’est très mauvais pour toi ! Va-t’en plus loin, tu me donnes chaud ! »
Dagobert obéit et se réfugia auprès d’Annie ; elle lui donna un petit morceau de son esquimau. Puis elle le repoussa à son tour.
« Va voir François, maintenant ! » Elle soupirait d’aise. « Quelle matinée délicieuse ! »
Tous les cinq, d’humeur paresseuse, se reposèrent un peu, mais comme ils n’avaient pas de montre, ils rentrèrent beaucoup trop tôt pour le déjeuner et Maria les houspilla :
« Vous arrivez à midi moins dix, comme si vous mouriez de faim ! Je n’ai même pas fini mon ménage ! Vous savez bien qu’on mange toujours à une heure !
— Oh ! j’avais l’impression qu’il était une heure », dit Annie, déçue d’avoir encore si longtemps à attendre !
Enfin vint l’heure de se mettre à table.
« Voilà le menu : salade de tomates et de concombres, biftecks, frites, camembert et flan ! annonça Annie.
— C’est exactement ce qui nous convient, conclut Mick en s’asseyant. Il n’y a pas de tarte ?
— Dans le garde-manger, probablement ! Maria doit la garder pour le goûter ou le dîner, répondit Annie.
— Viens chercher ta pâtée, Dagobert ! » cria la cuisinière ; le chien s’en alla en trottinant vers la cuisine. Il connaissait très bien le mot « pâtée ».
« Maria aime beaucoup Dago, dit Mick.
— Et Dago le lui rend bien. Elle grogne beaucoup, mais elle est très bonne, au fond. »
Les enfants mangèrent en silence. Ils se souvenaient de leurs aventures passées au manoir de Kernach. Dago revint au bout d’un moment, se pourléchant les babines.
« Il n’y a rien à manger, ici, dit Mick en lui montrant les plats vides sur la table. Ne me dis pas que tu as déjà englouti toute ta pâtée ! »
Dago se coucha sous la table, la truffe posée sur ses pattes de devant. Il était satisfait de son succulent déjeuner et de ce repos auprès des enfants qu’il aimait beaucoup. Après le déjeuner, ils allèrent tous s’étendre sur la plage, jusqu’à ce que revînt l’heure de prendre un bain. Tous appréciaient cette journée de vacances chaude et heureuse. Claude s’attendait à revoir la petite gitane, mais elle ne vint pas. Elle s’en attrista, car elle aurait aimé échanger avec elle, à défaut de coups, quelques paroles bien senties !
Quand les cousins allèrent se coucher ce soir-là, ils ressentaient leur fatigue… François paraissait si las au moment du dessert, que Maria lui offrit de fermer les volets et les portes à sa place.
« Non, merci, Maria, répondit François, c’est un travail d’homme. Laissez-moi faire, je verrouillerai toutes les portes et je fermerai soigneusement toutes les fenêtres.
— Bien, monsieur François », dit Maria. Et elle s’en alla ranger sa cuisine.
Les enfants montèrent dans leur chambre, à l’exception de François.
Il connaissait bien ses responsabilités ; Maria savait qu’il ferait consciencieusement son travail Elle l’entendit essayer de fermer la petite fenêtre de l’office et elle l’appela :
« Monsieur François ! elle ne ferme pas bien, mais ne vous faites pas de souci, elle est trop petite pour que quelqu’un puisse passer par là !
— Très bien ! » dit François.
Et il monta se coucher. Il bâillait si fort que Mick ne put s’empêcher de l’imiter. Dans la chambre voisine, les filles éclatèrent de rire en les entendant.
« Vous allez dormir comme des loirs tous les deux. Vous ne risquerez pas d’entendre les voleurs cette nuit !
— Le vieux Dago se chargera des voleurs, ce n’est pas mon travail. N’est-ce pas, Dago ?
— Grrr ! » répondit Dago en bondissant sur le lit de Claude.
Il dormait, toujours roulé en boule contre ses genoux. Tante Cécile avait essayé d’empêcher Claude de garder le chien sur son lit pendant la nuit, mais Claude répliquait toujours : « Dagobert ne voudrait jamais dormir ailleurs. »
Cinq minutes plus tard, tout le monde dormait, y compris Dago que sa maîtresse avait gentiment caressé. Il aimait Claude plus que personne au monde.
Dehors, la nuit était très noire, d’épais nuages cachaient les étoiles. On entendait les gémissements du vent dans les arbres et la rumeur lointaine de la mer. Aucun autre bruit, pas même le ululement de la chouette.
Pourquoi alors Dago s’éveilla-t-il ? Pourquoi ouvrit-il un œil, puis l’autre ? Pourquoi pointa-t-il ses oreilles et écouta-t-il ? Il ne leva pas la tête ; couché, il demeurait attentif…
Enfin, il se glissa à bas du lit. Aussi silencieusement qu’un chat, il traversa la chambre, la porte était demeurée entrouverte, et il sortit, puis descendit les escaliers, et arriva dans le hall ; ses griffes faisaient un petit bruit sur le carrelage, mais personne ne pouvait l’entendre ; la maison était endormie.
Dagobert demeura longtemps à guetter ; il savait qu’il avait entendu quelque chose, un rat peut-être… Il renifla.
Soudain, il se raidit. Quelqu’un, il en était sûr, grimpait le long du mur de la maison. Un rat oserait-il faire cela ? Là-haut, dans son lit, Annie s’éveilla tout à coup. Elle mourait de soif et décida d’aller chercher un verre d’eau. Elle alluma sa lampe électrique.
La lampe éclaira d’abord la fenêtre et Annie eut une émotion terrible : elle poussa un hurlement. Claude s’éveilla immédiatement. Dagobert bondit dans la chambre.
« François, cria Annie, viens vite, j’ai vu un visage à la fenêtre, un horrible visage qui me regardait. »
Claude courut vers la fenêtre en brandissant sa lampe ; il n’y avait rien. Dagobert reniflait par la fenêtre ouverte et grognait.
« J’entends quelqu’un courir dans l’allée, dit François qui accourait avec Mick. Viens vite, Dago. »
Ils descendirent tous, même Annie ; ils ouvrirent la porte, le chien s’élança dans l’obscurité en aboyant férocement. Un visage à la fenêtre ? Il trouverait bien l’audacieux malfaiteur qui avait osé grimper le long du mur.