CHAPITRE XII
Jo commence à parler
LA PENDULE de l’entrée émit un son profond : dong !
« Une heure, dit Maria, une heure du matin ! Monsieur François, nous ne pouvons rien faire de plus ce soir. Puisque la gitane est ici, elle ne nous dérangera plus.
— Oui, vous avez raison, Maria, répondit François, il nous faut attendre demain pour agir. Quel malheur que le téléphone soit coupé ! Je voudrais bien appeler la gendarmerie ! »
Jo le regarda.
« Alors je ne vous dirai pas où est Claude. Savez-vous ce que les gendarmes me feront ? Ils me mettront dans une maison de correction dont je ne pourrai jamais sortir. D’ailleurs, c’est la vérité, je suis une méchante fille, mais je n’ai jamais eu de chance !
— Tout le monde a sa chance dans la vie, tôt ou tard, dit François gentiment. Tu auras la tienne. C’est bon, nous n’avertirons pas la police si tu nous promets de nous conduire jusqu’à Claude. »
La gitane promit. Maria la fit monter.
« Il y a un lit dans ma chambre, dit-elle à François. Elle peut y passer la nuit, mais je vais d’abord lui faire prendre un bain. Elle est trop sale. »
Une demi-heure plus tard, Jo était couchée dans la chambre de Maria, parfaitement propre, mais marquée de bleus et d’égratignures ; ses cheveux avaient été brossés, un plateau avec du lait chaud et du pain était déposé à côté du lit.
Maria appela :
« Monsieur François ! Jo est dans son lit, elle veut vous dire quelque chose, ainsi qu’à M. Mick. »
Mick et François enfilèrent leur robe de chambre et entrèrent dans la pièce. Ils furent stupéfaits en voyant la gitane toute propre dans une chemise appartenant à Annie. Son petit visage était pathétique, mais en voyant les deux garçons elle sourit :
« Que voulais-tu nous dire ? demanda François.
— Je me sens bonne maintenant, mais peut-être que demain je serai de nouveau méchante. Alors, je veux parler tout de suite.
— Nous t’écoutons, répondit François.
— C’est moi qui ai fait entrer les hommes ici la première nuit », dit-elle.
Tout en parlant, elle trempait son pain dans le lait chaud.
« Voilà la vérité : je suis entrée par cette petite fenêtre qu’on ne ferme jamais, puis je suis allée ouvrir la porte, j’ai regardé ce que faisaient les voleurs dans le bureau ; ils ont pris beaucoup de papiers.
— C’est impossible ! Tu n’as pas pu entrer par cette petite fenêtre, dit Mick.
— Mais si, répondit Jo, je suis passée par des ouvertures beaucoup plus petites que ça. »
François soupira.
« Bien, continue ! Je suppose que, lorsque les bandits sont partis, tu as fermé la porte de la cuisine et que tu es ressortie par la fenêtre de l’office.
— Oui, répondit Jo, le nez dans son bol de lait.
— Et Dagobert ? Qui l’a drogué pour qu’il dorme toute la nuit ?
— C’est moi. C’était facile aussi ! »
Les deux garçons se regardèrent avec horreur !
« Nous avions lié amitié, Dago et moi, sur la plage. Vous ne vous rappelez pas ? Claude était furieuse. J’aime les chiens, nous en avions des douzaines avant la mort de maman. Papa m’avait ordonné d’apprivoiser Dagobert, afin de pouvoir lui donner facilement un morceau de viande dans la nuit, sans qu’il aboie.
— En effet, c’était facile, dit Mick avec amertume. Dagobert est sorti seul et il est tombé entre tes mains !
— Il était content de me voir, je l’ai fait gambader un peu derrière moi en lui faisant sentir la viande, lorsque je la lui ai donnée il l’a mangée avec plaisir.
— Et il a dormi toute la nuit pour que tes bons amis puissent dévaliser la maison ! riposta François. N’as-tu pas honte ?
— Je ne sais pas, murmura Jo, qui ignorait ce que le mot « honte » voulait dire. Est-ce que je dois m’arrêter de parler ?
— Non, continue, ordonna Mick. Est-ce que tu as joué un rôle dans l’enlèvement de Claude ?
— Je devais juste imiter le cri de la chouette lorsque Claude et Dagobert apparaîtraient. Les hommes attendaient, ils se préparaient à jeter un sac de toile sur la tête de la petite fille ; ils devaient faire la même chose au chien après l’avoir assommé ! C’est ce qu’ils m’avaient expliqué ; je n’ai rien vu, car j’ai dû revenir en rampant et fermer la porte afin que personne ne s’aperçoive, jusqu’au lendemain, de l’absence de Claude.
— Nous avons cru qu’elle s’était levée tôt, grogna Mick. Nous avons été bien naïfs ! La seule chose intelligente que nous avons voulu faire ensuite était de suivre la personne qui s’emparerait du paquet.
— C’était moi, répondit Jo ! De toute façon, je revenais pour vous dire l’endroit où se trouve Claude. Ce n’est pas parce que je l’aime, elle est méchante et laide ! Je ne l’aime pas !
— Charmante nature ! s’exclama François. Que faire, d’une fille pareille ? Mais pourquoi t’es-tu décidée à venir nous chercher, Jo ?
— Je n’aime pas Claude, mais j’aime Mick ! répondit Jo. Il a été gentil avec moi, alors je voulais lui faire plaisir. Ça ne m’arrive pas souvent, ajouta-t-elle…, je voulais qu’il m’aime… »
Mick la regarda.
« Je t’aimerai si tu nous amènes jusqu’à Claude, pas avant !
— Je vous conduirai demain, dit Jo.
— Où est Claude ? » demanda François durement.
Demain, la gitane changerait peut-être d’humeur. Mieux valait la faire parler ce soir…
Elle hésita, regarda Mick.
«Tu serais bien gentille de nous le dire », murmura le garçon d’une voix très douce.
La petite gitane ne savait pas résister à la tendresse.
« Bien, murmura-t-elle, je vous ai dit que mon père était parti en me laissant à Manolo. Papa ne m’a rien expliqué… Il a enfermé Claude et Dagobert dans notre roulotte, attelé Sultan, notre cheval et s’en est allé avec eux. Manolo m’a tout raconté. Je sais où ils sont, je connais leur cachette.
— Où ? demanda François, étonné par d’aussi étranges révélations.
— Au milieu de la forêt de Courcy, répondit Jo. Je vous y conduirai, je ne peux pas vous en dire davantage maintenant. »
Elle observait les garçons d’un regard triste coulé entre ses longs cils. Mick pensait qu’elle avait dit la vérité. Il avait pitié d’elle, mais admirait son courage.
« Je suis désolé de m’être battu avec toi », dit-il en l’embrassant sur la joue.
La gitane le regarda comme une esclave regarde un prince.
« Cela m’est égal, dit-elle, je ferai n’importe quoi pour toi ; tu es bon. »
Maria frappa impatiemment à la porte.
« Etes-vous prêts, les garçons ? Je veux me coucher ; Jo va dormir. Sortez vite de la chambre ! »
Les garçons ouvrirent la porte, Maria vit une expression de gravité sur leurs visages, elle comprit que Jo leur avait fait une révélation très importante.
« Et maintenant, dors vite, ma petite fille. Si je t’entends bouger cette nuit, gare à toi ! » ajouta-t-elle avec rudesse, mais sans méchanceté.
Jo obéit. Le lit était moelleux, les draps frais et doux, elle se sentait bien.
« Deux heures du matin, murmura la cuisinière, je ne me réveillerai jamais assez tôt pour dire au laitier que je veux davantage de lait. »
François demeura éveillé très tard. Il était inquiet en pensant à la pauvre Claude ! Etait-elle en sécurité ? La gitane les conduirait-elle vers la roulotte ? Ou les mènerait-elle dans la gueule du loup ? Il l’ignorait encore…