CHAPITRE XVII
Dans le bateau de Claude
MARIA était très heureuse de retrouver les enfants. Elle avait passé la nuit dans l’inquiétude. Si le téléphone avait fonctionné, elle aurait sûrement appelé la police.
« Je n’ai pas dormi, déclara-t-elle. Si une telle aventure se reproduit, monsieur François, j’en mourrai ! Et vous n’avez retrouvé ni Claude, ni Dagobert ? S’ils ne reviennent pas, je vais moi-même chercher les gendarmes ! Aucune nouvelle non plus de votre oncle, et de votre tante
J’espère qu’ils ne sont pas perdus et kidnappés eux aussi ! »
La pauvre cuisinière était dans tous ses états. Dans son impatience, elle commençait plusieurs choses à la fois ; le pain grillé brûlait, le lait débordait… Les enfants se servirent eux-mêmes leur petit déjeuner…
Ils étaient encore tout étonnés. La gitane les avait ramenés vers leur maison comme un chien berger ramène ses brebis. Elle connaissait tous les raccourcis, et ils n’avaient pas mis longtemps pour revenir de la forêt de Courcy.
Maria les regardait tous d’un air apitoyé.
« Vous êtes aussi sales que la petite gitane ! Vous pourriez être ses frères et sœurs ; je vais vous préparer un bain, mes pauvres chéris ! »
Jo mordait dans son pain beurré. Elle se moquait des remarques de Maria.
« Et maintenant je ne pourrai plus faire la cuisine aujourd’hui, monsieur François, je n’ai plus aucune provision dans la maison ! Comment s’organiser au milieu de tous ces troubles ! Vous vous nourrirez de pain et de confitures ! »
Après le petit déjeuner, les quatre enfants prirent un bain bien chaud. Jo ne voulait pas. Mais Maria courut derrière elle en brandissant la tapette à battre les tapis.
« Si tu ne prends pas ton bain, je vais te battre avec ça jusqu’à ce que toute ta crasse s’en aille ! »
La gitane obéit enfin. Lorsqu’elle fut dans la baignoire, elle s’y trouva très bien. Les enfants eurent un entretien sérieux aussitôt après.
« Que sais-tu de cet homme que tu appelles Mesnil-le-Rouge ? demanda François à Jo.
— Pas grand-chose. Il est riche, il a une drôle de façon de parler et je crois qu’il est fou. Il emploie des hommes comme mon père ou Manolo pour faire son sale travail à sa place !
— Quel sale travail ? interrogea Mick.
— Oh ! voler, cambrioler, des tas de choses… Je ne sais pas exactement. Papa ne me dit rien. Je ne pose pas de questions, j’écoute. Je ne tiens pas à être battue davantage…
— Où habite-t-il ? demanda Annie, loin d’ici ?
— Il a une maison sur la falaise, expliqua la gitane, je ne connais pas le chemin en passant par les terres, mais je sais y aller en bateau ; c’est un endroit curieux, presque un petit château avec des gros murs de pierre.
— Y es-tu allée ? demanda Mick.
— Oh oui ! répondit Jo, deux fois. Mon père devait aller chercher un grand coffre ; j’étais allée avec lui.
— Pourquoi ? demanda François, il avait vraiment besoin de toi ?
— Je m’occupais du bateau. Je vous ai dit que la maison de cet homme se trouve sur la falaise. Nous y sommes allés avec une barque. Il y a là une sorte de grotte. C’est là que nous avions abordé. Mesnil-le-Rouge nous attendait. Il était descendu de sa maison jusqu’à la grotte, je n’ai jamais su comment. »
Mick regarda Jo.
« Tu vas sans doute nous dire qu’il existe un passage secret qui va de la grotte jusqu’à la maison ?
— Peut-être », répondit Jo. Elle se rapprocha de Mick.
« Tu ne me crois pas ? Alors débrouille-toi tout seul !
— Ne te fâche pas, répliqua François, mais ton histoire ressemble à un roman ! Es-tu sûre que tout cela soit bien vrai, Jo ? Nous ne voulons pas nous égarer encore une fois !
— Je suis prête à vous accompagner, répondit sèchement la petite, mais il nous faut un bateau…
— Nous prendrons celui de Claude, décida Mick. En avant Jo ! Cette fois nous laissons la petite Annie à la maison.
— Je veux venir ! supplia Annie.
— Non, toi tu restes avec moi, décréta Maria, je n’ai pas envie d’être seule aujourd’hui, tu m’aideras et tu me tiendras compagnie. »
Au fond, Annie n’était pas fâchée de rester tranquillement à la maison. Elle regarda partir les autres.
Jo se cacha entre les haies. Elle redoutait la présence de Manolo et ne voulait pas être vue. François et Mick descendirent les premiers vers la plage, afin de s’assurer que le gitan n’y était pas. Puis ils allèrent prévenir Jo qui rampa de cachette en cachette, jusqu’au bateau de Claude dans lequel elle sauta. Mick en fît autant et François poussa l’embarcation en profitant d’une grosse vague, puis il embarqua à son tour.
« Est-ce loin ? demanda-t-il à Jo qui était assise au fond de la barque.
— Je n’en sais rien, répondit la gitane. Deux heures, trois heures peut-être… »
Elle n’avait nullement conscience du temps. Elle ne possédait pas de montre et ignorait l’heure. Le temps pour elle, c’était seulement le jour et la nuit, rien d’autre.
Mick hissa une petite voile. Le vent leur était favorable.
« As-tu apporté le déjeuner que Maria nous a préparé ? demanda François à Mick, je ne le vois nulle part.
— Jo, tu es installée dessus ! » s’écria Mick.
En effet, elle était tombée assise au fond de la barque et n’avait plus bougé. Elle prit la barre, et les garçons virent tout de suite qu’elle savait piloter un bateau. François déplia une carte.
« Je me demande où se trouve la maison du nommé Mesnil-le-Rouge, dit-il. La côte est désolée jusqu’à Port-sur-Mer. S’il a un repaire sur l’une des falaises, ce doit être dans un site vraiment sauvage et solitaire. Je ne vois pas un seul village de pêcheurs. »
Le petit voilier avançait à bonne allure. François prit la barre à son tour et interrogea Jo.
« Nous avons parcouru déjà pas mal de chemin, dit-il, où est cet endroit ? Es-tu sûre de bien le reconnaître ?
— Naturellement, répliqua la gitane. Je pense que c’est là-bas derrière cette grande falaise. »
Elle avait raison. Lorsqu’ils contournèrent le promontoire, Jo leur montra du doigt un bâtiment.
« Vous voyez ? Là-haut se trouve la maison de Mesnil-le-Rouge. »
Les garçons regardèrent Ils virent une demeure de pierre grise qui ressemblait à un petit château.
Il surplombait la mer et présentait une tour, face à l’océan.
« La grotte ne doit pas être loin, avertit Jo. Ouvrez bien vos yeux ! »
Le voilier la dépassa ; les enfants ne la virent qu’en la doublant.
« C’est là ! » cria Jo.
Ils baissèrent la voile, et revinrent en arrière en ramant silencieusement. Tout était calme à cet endroit.
« Peut-on nous voir de la maison ? demanda Mick.
— Je ne sais pas, répondit Jo, je ne pense pas, mais il vaut mieux aborder et cacher le bateau dans les rochers, nous ne savons pas si quelqu’un descendra ou non dans la grotte aujourd’hui. »
Ils amarrèrent le bateau derrière un rocher, à l’entrée de la grotte, puis Mick recouvrit le pont d’énormes paquets de varech, afin de le camoufler.
« Et maintenant, que faisons-nous ? demanda François.
— Nous allons grimper par là », expliqua Jo et, s’agrippant des mains et des pieds, elle commença à escalader la falaise.
Les enfants étaient bons grimpeurs eux aussi, pourtant à mi-chemin ils semblèrent découragés.
Jo se retourna.
« Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-elle. Mon père grimpe aisément, vous devriez donc y arriver !
— Ton père était acrobate ! répondit François qui avait glissé et redescendait un peu trop vite à son goût.
— Ah ! je n’aime pas ça ! Si au moins j’avais une corde ! soupira-t-il.
— Il y en a une dans le bateau, je vais la chercher ! » s’exclama la gitane.
Aussitôt dit, aussitôt fait, quelques instants plus tard, elle remontait à toute vitesse avec la corde. Lorsqu’elle fut beaucoup plus haut que les garçons, elle enroula l’extrémité du filin autour d’un rocher et ils purent s’accrocher pour poursuivre leur ascension. C’était beaucoup plus facile ainsi. Lorsqu’ils arrivèrent à l’endroit où se trouvait Jo, ils découvrirent une seconde grotte dans le rocher. Celle-ci était voûtée et très sombre.
« Par ici », dit Jo et elle leur montra le chemin.
Mick et François la suivirent un peu inquiets. Où allaient-ils maintenant ?