CHAPITRE XIV
La roulotte d’Antonio
ILS coururent tous vers l’endroit où Manolo avait poussé la gitane. Mais ils ne trouvèrent absolument rien ; seules quelques branches cassées révélaient le passage de l’homme et de la petite fille. Pas de Manolo, pas de Jo, aucun bruit. Ni pleurs, ni cris. Les deux personnages s’étaient évanouis comme des fantômes. Mick fouilla la haie, explora le champ qui se trouvait derrière ; quelques vaches le regardèrent avec surprise.
« Il y a un petit boqueteau au bout du champ, je vais voir ! » s’écria Mick,
Il traversa la prairie en courant vers les buissons ; il ne dérangea qu’une famille de lapins. Au-delà du pré, il découvrit quelques habitations.
« Je suppose que Manolo a emmené la petite fille dans l’une ou l’autre de ces maisons, pensa-t-il rageusement. Il habite probablement là, il ne la laissera sûrement plus partir ! Pauvre Jo ! »
Il retourna vers les autres.
« Nous ferions mieux d’appeler la police maintenant ! supplia Annie.
— Non ! Allons jusqu’à la forêt ! Nous savons que la roulotte est cachée là ; nous ne trouverons pas le raccourci, mais nous irons par la route, en suivant la carte, dit Mick.
— D’accord, partons ! Dépêchons-nous ! » répondit François.
Ils marchaient maintenant sur la route goudronnée, un car apparut en sens inverse.
« Si nous voyons au prochain arrêt un car en direction de la forêt de Courcy, nous le prendrons. Cela gagnera du temps. Il faut nous dépêcher, car Manolo ira sans doute prévenir le père de Jo. À moins que Jo l’ait déjà fait elle-même ! Cette fille est une vraie vipère !
— Je la déteste, répétait Annie, presque en larmes. Je ne crois pas un mot de ce qu’elle raconte ! Et toi, Mick ?
— Je n’en sais rien ! répondit Mick. Je me demande encore si elle est franche ou menteuse ; à certains moments, elle semble bonne ; hier au soir, par exemple, elle est revenue nous prévenir…
— Je ne crois pas qu’elle soit vraiment revenue pour nous prévenir. Elle venait encore commettre quelques méfaits lorsque nous l’avons surprise, répliqua Annie.
— Tu as peut-être raison, Annie, convint Mick. Regardez ! Un arrêt d’autobus ; l’horaire est indiqué. »
Un autobus conduisait vers « le Bois enchanté ». Il passerait dans cinq minutes. Les enfants s’assirent et attendirent. L’autocar fut très ponctuel ; il arriva, empli de femmes qui se rendaient au marché. Elles portaient d’énormes paniers et ne laissaient guère de place aux nouveaux arrivants.
Tous les passagers descendirent à Ravet. François demanda le chemin de la forêt de Courcy.
« Par là, dit le chauffeur. Tâchez de ne pas vous perdre et méfiez-vous des gitans ; la forêt en est pleine. »
François remercia, puis ils se dirigèrent tous les trois vers les bois.
« Quelle belle forêt ! murmura Annie. Ces arbres sont splendides… ! »
Après avoir beaucoup marché, ils arrivèrent dans une clairière, où il y avait un campement de romanichels : autour de trois roulottes crasseuses, des enfants gitans jouaient. François regarda les roulottes dont les portes étaient ouvertes.
« Claude n’a pas l’air d’être là, dit-il tout bas aux autres, je voudrais bien savoir où elle est !, Prenons ce sentier…
— Demandons d’abord si quelqu’un connaît la roulotte de Jo, suggéra Annie.
— Nous ne savons même pas le nom du père ! répondit François.
— Nous pouvons préciser que la roulotte est tirée par un cheval appelé Sultan et nous pouvons décrire Jo.
— Tu as raison, Annie ! »
François s’approcha d’une vieille femme qui était en train de faire la cuisine sur un feu de bois. Penchée au-dessus des flammes, elle ressemblait à une vieille sorcière. Elle leva la tête, rejeta les mèches de cheveux gris qui tombaient sur ses yeux et regarda François.
« Pouvez-vous me dire s’il y a, dans le bois, une roulotte tirée par un cheval appelé Sultan ? demanda poliment le garçon ; une petite fille nommée Jo y habite avec son père ; nous voudrions la voir. »
La vieille femme grommela :
« Antonio est parti par là-bas. Je n’ai pas vu Jo, mais la porte de la roulotte était fermée, elle était peut-être à l’intérieur. Qu’est-ce que vous lui voulez ?
— Oh ! seulement la voir… répondit François. Antonio, c’est son père ? »
La vieille femme fit signe que « oui » et recommença à s’occuper de sa soupe. François se retourna vers les autres.
« Par ici ! » cria-t-il.
Ils s’enfoncèrent dans un sentier étroit. Les branches des arbres qui se rejoignaient, en formant une voûte, ne laissaient pas filtrer les rayons du soleil.
« Quelle étrange vie mènent ces gitans ! Habiter une roulotte. S’enfoncer dans ces bois touffus ! Dormir n’importe où ! » dit Annie.
Par endroits, les arbres étaient si rapprochés, qu’il semblait impossible qu’une voiture ait pu passer par là ; pourtant la terre gardait encore des traces de roues.
La forêt devenait de plus en plus épaisse, de plus en plus obscure. Les enfants suivaient les deux ornières laissées par la roulotte. Çà et là, des branches cassées prouvaient que le voyage n’avait pas été facile.
« Antonio a été se cacher bien loin ! » s’exclama François.
Les enfants avançaient sur une piste de plus en plus difficile. Ils demeuraient silencieux. Le bois était tranquille, aucun oiseau ne chantait dans les hautes branches.
« J’aimerais que Dagobert soit avec nous », murmura Annie qui commençait à avoir peur.
François approuva ; il y pensait depuis un long moment ; il s’inquiétait pour Annie si sensible et si craintive. Quel dommage que Jo ne les ait pas accompagnés !
« Il nous faut être très prudents, dit-il enfin d’une voix basse, nous allons peut-être découvrir la roulotte au moment où nous ne nous y attendrons pas ; il est inutile qu’Antonio nous entende approcher.
— Je vais marcher en avant, proposa Mick, je vous avertirai si j’entends ou je vois quelque chose. »
Il partit. François réfléchissait. Que feraient-ils lorsqu’ils verraient la roulotte ? Claude et Dagobert étaient sûrement enfermés à l’intérieur.
« Si nous pouvons seulement ouvrir la porte, Dago se chargera du reste, pensa-t-il, il est aussi fort que trois gendarmes ! »
Mick s’arrêta brusquement et leva la main pour avertir les autres ; il était caché derrière un arbre.
« Il a aperçu la roulotte, murmura Annie. Son cœur battait à se rompre.
— Ne bouge pas de là ! » lui dit son frère et il marcha doucement vers Mick.
La petite fille se cacha dans un buisson. Elle détestait ce bois sombre et silencieux Elle frissonnait en observant les deux garçons.
Mick avait découvert la roulotte. Elle était petite, sale et semblait déserte. On ne voyait pas Antonio, ni Sultan, le cheval. Les fenêtres et la porte étaient fermées.
Les garçons observaient attentivement la voiture. Ils n’osaient ni bouger, ni parler.
« Mick, murmura François, Antonio n’est sûrement pas là. C’est une chance. Nous allons ramper jusqu’à la voiture et regarder par la fenêtre, nous attirerons l’attention de Claude et nous la ferons sortir aussi vite que nous pourrons, ainsi que Dagobert.
— C’est curieux qu’il n’ait pas aboyé ! s’étonna Mick. Il ne nous a sans doute pas entendus ! Bon, on y va ? »
Ils rampèrent en se cachant derrière les buissons, puis François frappa doucement à la fenêtre. Il faisait trop sombre à l’intérieur, on ne distinguait rien.
« Claude, murmura-t-il, Claude, es-tu là ? »