CHAPITRE X
 
La merveilleuse soirée de Jeannot

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JEANNOT, le marchand de journaux fut très étonné de se sentir happé par François. Et il fut encore plus surpris de sentir qu’on lui arrachait sa casquette et son sac de journaux.

« Eh là ! s’écria-t-il, qu’est-ce que vous faites ?

— Ne t’inquiète pas, Jeannot, dit François en le tenant fermement, c’est un jeu ! Une plaisanterie.

Jeannot détestait les plaisanteries. Il se débattit un peu, puis abandonna. François était grand et fort et semblait très résolu. Jeannot se retourna et s’aperçut que Mick avait mis sa casquette et emportait sa sacoche.

Il poussa un rugissement quand il vit le jeune garçon enfourcher sa bicyclette et s’en aller.

« Vous avez de drôles de jeux ! dit-il à François.

— Ne t’inquiète pas ! répondit François en le poussant dans un fauteuil. Quelqu’un a parié que Mick ne serait pas capable de distribuer les journaux !

— C’est ça ? demanda Jeannot.

— Tu as deviné ! s’exclama François. Mick a voulu gagner le pari.

— Bon, j’espère qu’il fera bien mon travail, de toute façon, il n’en a plus que deux à distribuer dans les fermes voisines. Quand va-t-il revenir ?

— Bientôt ! dit François. Veux-tu rester dîner avec nous ? »

Jeannot n’en croyait pas ses yeux. On l’invitait à dîner à la villa des Mouettes, lui le petit marchand de journaux !

« Comment ? Dîner avec vous ?… mais… enfin… cela me ferait plaisir, oui…

— Très bien. Je suis content que tu aies accepté tout de suite ! Assieds-toi et regarde ces livres. »

François lui tendait deux beaux livres illustrés qui appartenaient à Annie.

« Je vais dire à la cuisinière de nous faire un bon repas. »

Jeannot, très étonné obéit, feuilleta les albums et imagina la surprise de sa maman lorsqu’elle saurait comme il avait été bien reçu à la villa des Mouettes.

Pendant ce temps, François expliquait la vérité à Maria. Il fallait qu’elle les aide dans leur plan. Il avait l’air si grave que Maria s’écria :

« Mon Dieu ! qu’est-il arrivé ? »

François lui parla à voix basse et lui expliqua que Claude avait été enlevée ; il lui raconta le texte du message. Elle s’assit, car ses vieilles jambes commençaient à trembler.

« C’est exactement le genre de choses qu’on lit dans les journaux, monsieur François ! soupira-t-elle d’une voix brisée, Ah ! je n’aime pas ça !

— Nous non plus », répondit François.

Puis il exposa à la cuisinière ce qu’ils allaient faire. Elle ne put s’empêcher de sourire lorsqu’elle apprit que Mick s’était déguisé en marchand de journaux.

« Pauvre Jeannot, dit-elle, personne au village n’a jamais dû l’inviter à dîner. Il est un peu innocent ! Je vais lui faire un bon repas, n’ayez pas peur. Et puis je viendrai, je m’assiérai avec vous ce soir dans le salon ; nous jouerons aux cartes !

— Bonne idée, riposta François, qui se demandait comment il pourrait entretenir la conversation avec Jeannot durant toute une soirée.

— Nous jouerons avec le gamin et nous le laisserons gagner. »

Le petit marchand de journaux se montra ravi de cette soirée. Il avait trouvé le dîner délicieux et avait mangé à lui tout seul la moitié d’un énorme gâteau au chocolat.

« J’aime beaucoup le chocolat ! avait-il confié à Annie. Votre cuisinière le savait car elle bavarde souvent avec ma mère. »

Annie lui répondait en souriant. Elle le trouvait gentil et il l’amusait par sa naïveté, mais, tout au fond d’elle-même, elle demeurait inquiète.

Jeannot était un invité bien gentil. Il battait des mains, riait avec plaisir et remerciait tout le temps.

Après le dîner, il alla à la cuisine et proposa à Maria de l’aider à faire la vaisselle.

« J’aide toujours maman, dit-il et je ne casse jamais rien. »

Maria le laissa faire, Annie prit un torchon et essuya.

Jeannot eut l’air ennuyé lorsqu’on lui proposa de jouer aux cartes.

« Je ne sais jouer qu’à la bataille, dit-il.

— Eh bien, jouons à la bataille ! répondit François.

— Parfait ! La bataille, ça me connaît ! » Jeannot gagna et fut enchanté.

« Je n’ai jamais passé une soirée aussi formidable ! s’exclama-t-il. Vous êtes des amis ! de vrais amis ! J’espère que votre frère a bien distribué les journaux et qu’il va me rapporter ma bicyclette !

— Oh ! bien sûr ! » répondit François.

Ils étaient maintenant tous assis dans le salon brillamment éclairé. Si un inconnu surveillait la maison, il pouvait les voir facilement, mais personne ne devinerait que l’un des enfants était le marchand de journaux et non pas Mick.

À onze heures, François sortit avec le paquet qu’Annie avait préparé : un cahier de notes bien plié dans du papier d’emballage. François y avait glissé quelques mots : « Voici le carnet demandé, je vous prie de relâcher notre cousine immédiatement, vous vous attireriez de graves ennuis en la retenant encore. »

Il traversa le jardin, sa lampe électrique à la main. Il s’approcha de la grille du jardin, souleva facilement la dalle et glissa le paquet dans un trou qui semblait avoir été préparé à l’avance et regarda tout autour de lui prudemment, en se demandant si Mick était caché quelque part, mais il ne vit personne. Il revint dans la pièce éclairée où les autres jouaient toujours aux cartes. Il se remit à jouer, très mal, d’une part parce qu’il voulait laisser gagner Jeannot, d’autre part parce qu’il était inquiet pour son frère. Soudain, ils sursautèrent, ils venaient d’entendre le cri de la chouette. François sourit à Maria et à Annie ; ce signal leur annonçait que le paquet avait été trouvé et emporté.

Maria disparut et revint avec des tasses de chocolat et des brioches. Les yeux de Jeannot brillèrent. Décidément, tout était parfait.

On resta quelques instants encore à boire du chocolat et à écouter Jeannot.

« Ta maman doit commencer à s’inquiéter, dit François en regardant la pendule. Il est très tard.

— Où est ma bicyclette ? demanda Jeannot, réalisant avec tristesse que cette merveilleuse soirée s’achevait. Votre frère n’est pas encore revenu ? Eh bien, vous lui direz de déposer mon vélo chez moi demain matin, et ma casquette. J’aime beaucoup cette casquette-là et je ne veux pas la perdre.

— Mon frère te rapportera toutes tes affaires, sois tranquille. »

François se sentait maintenant très fatigué.

« Et maintenant écoute, Jeannot. Il est très tard, si tu rencontres sur la route des gens qui veulent te parler, ne leur réponds pas, marche le plus vite possible et ne t’arrête pas en chemin.

— Bon, je vais courir ! » approuva Jeannot.

Il leur serra la main à tous, de façon assez solennelle et partit en sifflotant pour se donner du courage. Au coin d’une rue, un gendarme l’appela ; le gamin sursauta.

« Eh bien ! jeune Jeannot, dit l’agent, que fais-tu dehors à cette heure ? »

Jeannot ne répondit pas et partit en courant, lorsqu’il arriva chez lui, il vit devant la porte sa bicyclette, sa casquette et sa sacoche. « C’est parfait », songea-t-il. Mais il fut un peu déçu de trouver la maison obscure ; sa maman était endormie, il lui faudrait attendre le lendemain matin pour lui raconter sa merveilleuse aventure à la villa des Mouettes.

Pendant ce temps-là, qu’était-il arrivé à Mick ? Il était parti de la maison sur la bicyclette de Jeannot, la casquette sur la tête. Il avait cru voir bouger les petites branches d’un buisson près du jardin et avait deviné que quelqu’un se cachait là. Délibérément, il s’était arrêté comme pour vérifier l’état de ses pneus. L’espion avait ainsi pu voir sa sacoche de journaux et le confondre avec Jeannot, le petit commissionnaire.

Mick s’était rendu à la ferme, avait distribué les deux quotidiens du soir ; puis il était allé au bourg afin de déposer les affaires de Jeannot devant sa porte. Ensuite, il ‘était entré dans un cinéma jusqu’à ce que la nuit tombe. L’obscurité venue, de retour à la villa des Mouettes, il avait hésité avant de se cacher. Si, en se glissant dans un buisson, il se heurtait à un espion ayant déjà choisi cette cachette, il était perdu !

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