CHAPITRE XXV
Tout va bien
IL FAISAIT nuit lorsque le bateau de Claude entra dans la baie de Kernach. Les enfants étaient si fatigués, qu’ils avaient l’impression d’être partis depuis un mois. Les filles avaient ramé pour relayer les garçons. Dagobert remontait le moral de chacun par ses joyeux aboiements, et ses gentilles caresses.
« Il n’a pas cessé de remuer la queue pendant tout le voyage. Il doit vraiment être content de se sentir guéri ! » dit Claude.
Une mince silhouette apparut sur la plage, dans l’ombre. C’était Annie. Elle les appela d’une voix tremblante :
« C’est vous ? Je vous ai attendus toute la journée. Tout va bien ?
— Oui, nous ramenons Claude et Dagobert », cria Mick d’une voix triomphante tandis que le bateau abordait.
Ils sautèrent tous sur le sable ; Annie aida à tirer l’embarcation sur la plage.
« Je ne resterai plus jamais toute seule à vous attendre, dit-elle, j’aime encore mieux avoir peur près de vous.
— Ouah… » dit Dago, en remuant la queue. Lui non plus ne voulait pas qu’on le laissât seul.
Il souhaitait partager toutes les aventures des enfants.
Ils rentrèrent, marchant lentement, ils étaient très fatigués. Maria les attendait sur le seuil et pleura de joie lorsqu’elle vit Claude.
« Claude ! Vous me ramenez ma petite Claude, enfin ! Oh ! méchants enfants ! Vous êtes partis toute la journée et je ne savais même pas où vous étiez ! Je me suis fait du souci tout le temps ! Claude, comment te sens-tu ?
— Très bien ! dit Claude qui tombait de sommeil. Je vais manger un peu et aller me coucher.
— Mais où avez-vous été toute la journée ? Qu’avez-vous fait ? demanda Maria en mettant la table. J’étais si inquiète, que je me suis rendue à la gendarmerie. Je me sentais si bête. Je ne pouvais pas dire où vous vous trouviez ! Tout ce que j’ai pu raconter c’est que vous étiez partis à la recherche d’un homme appelé « Rouge » et que vous aviez pris le bateau de Claude. Les gendarmes ont longé la côte dans un canot automobile et ils ne vous ont pas vus !
— Non, notre bateau était bien caché, dit Mick ; nous aussi, d’ailleurs ! Si bien cachés, que nous aurions pu rester là-bas toute notre vie ! »
Le téléphone sonna. François sursauta.
« Oh ! la ligne est rétablie ? Je téléphonerai à la police lorsque vous aurez répondu, Maria. »
Mais c’était justement la police qui appelait.
« Nous serons là dans un quart d’heure », dit le brigadier, heureux d’apprendre que les enfants étaient revenus sains et saufs.
Un peu plus tard, les cinq enfants et Dagobert dévoraient un excellent repas.
« Continuez ! dit le brigadier en entrant. Nous allons bavarder, tandis que vous mangez. »
Chacun expliqua ce qu’il savait. D’abord, Claude, puis Jo, puis Mick et François.
Le brigadier d’abord surpris, rassembla enfin toutes ces informations ; il commençait à y voir clair.
« Est-ce que mon père ira en prison ? demanda Jo.
— Je le crains ! répondit le gendarme.
— Pauvre Jo ! soupira Mick.
— Cela m’est égal, répondit celle-ci. Je suis bien plus heureuse quand il n’est pas là ; je n’ai pas à faire les vilaines choses qu’il me commande.
— Nous allons voir si nous pouvons te caser dans une bonne maison, dit un gendarme, avec bonté. Tu as eu une vie bien rude, ma petite Jo, il faut qu’on s’occupe un peu de toi.
— Je ne veux pas aller dans une maison de correction, répondit la gitane, affolée.
— Je ne le permettrai pas, décréta Mick. Tu es l’une des plus chic filles que j’aie connues. Nous trouverons quelqu’un qui s’occupera de toi, quelqu’un de très bon comme… comme…
— Comme moi », dit Maria qui écoutait.
Elle passa un bras autour des épaules de la gitane et lui sourit.
« J’aimerais bien vivre avec quelqu’un comme vous, dit Jo. Je ne serais pas méchante ; je voudrais aussi voir Mick et vous tous de temps en temps.
— Bien sûr, si tu es gentille, répondit Mick en souriant, mais fais attention : si j’apprends que tu passes par les fenêtres pour entrer chez les gens, je ne te reverrai jamais ! »
Jo rit ; elle était heureuse, elle se souvint de ce qu’il y avait dans son panier, y plongea la main, en sortit une grosse clef.
« Voilà pour vous, dit-elle au brigadier. C’est la clef de la tour, j’espère que les bandits sont toujours enfermés, vous n’aurez qu’à les cueillir. Ils vont avoir une drôle de surprise lorsqu’ils vous verront entrer !
— Beaucoup de gens auront des surprises ! dit le brigadier qui sortait un bloc-notes et un stylo. Mademoiselle Claude, vous avez de la chance de n’avoir subi aucun mal, vous et votre chien ! Nous avons été mis en rapport avec un ami de votre père, tandis que nous recherchions les documents volés. Le savant lui avait confié son carnet de notes sur l’Amérique avant de partir en voyage, Mesnil-le-Rouge n’a donc aucun papier de valeur. Tous ses méfaits auront été inutiles.
— Que savez-vous de ce Mesnil-le-Rouge ? demanda François ; il m’a semblé fou !
— Si cet homme est bien celui que nous recherchons depuis longtemps, il est en effet un peu fou. Nous serons contents de l’avoir sous les verrous, ainsi que Markhoff, qui n’est pas aussi intelligent que Mesnil-le-Rouge, mais qui est très dangereux.
— J’espère qu’il ne s’est pas échappé en hélicoptère, dit Mick. Il devait partir ce soir !
— Nous serons là-bas dans une heure ou deux, dit le brigadier. Je vais téléphoner, si vous le permettez. »
Toute cette aventure allait se terminer cette nuit-même. Les voitures des gendarmes stoppèrent devant la maison de Mesnil-le-Rouge ; on défonça la grille, puisque personne ne venait ouvrir. L’hélicoptère était toujours dans la cour ; il semblait avoir subi des dommages. Markhoff et les deux mécaniciens avaient essayé de partir, mais ils avaient eu un ennui mécanique, l’appareil était retombé au sol après avoir décollé.
La vieille servante soignait les trois hommes. Markhoff était blessé à la tête et semblait fiévreux.
« Et Mesnil-Le-Rouge ? demanda le brigadier à Markhoff, est-il toujours enfermé ?
— Oui, répondit Markhoff. Et tant mieux ! Il vous faudra briser la porte si vous voulez l’ouvrir, car elle résiste à tout !
— Inutile », répondit le brigadier, et il montra la clef.
Markhoff le regarda furieux.
« Maudite gosse ! Elle m’avait donné la clef de la cuisine ! Lorsque je la retrouverai, elle me le paiera cher !
— Vous ne la retrouverez pas avant bien longtemps, Markhoff, dit le brigadier. Je vous arrête. »
Mesnil-le-Rouge, Manolo et Antonio, toujours enfermés écumaient de colère. Mais leur vilain jeu était fini, et il ne fallut pas longtemps pour les embarquer dans la voiture de la police.
« Nous avons fait un beau butin, dit un gendarme : trois bandits, soigneusement mis sous clef, pour que nous n’ayons plus qu’à les arrêter.
— Qu’adviendra-t-il de la petite gitane ? demanda un autre. Elle n’a pas eu beaucoup de chance dans la vie et elle semble tellement intelligente !
— Jo aura sa chance maintenant ! répondit le brigadier. Elle a sans doute quelques défauts, mais on l’éduquera bien et elle deviendra une gentille jeune fille. »
Jo dormait dans la chambre de Maria, les autres étaient dans leurs lits. Mais ils ne semblaient pas avoir sommeil. Dagobert courait d’une chambre à l’autre, frétillant de bonheur !
« Dago, si tu sautes encore sur mon lit, je te mets à la porte ! » gronda Claude.
Mais, naturellement elle n’en fit rien ; elle était bien trop heureuse d’avoir retrouvé son chien.
Soudain les enfants entendirent la sonnerie du téléphone et sursautèrent :
« Qu’est-ce que cela peut bien être encore ! »
François se précipita pour répondre.
Une voix dit : « Kernach 011 ? un télégramme pour vous, réponse payée. Je vous en donne lecture.
— J’écoute, dit François.
— Texte : « Voici notre adresse : Hôtel Cristina— Séville— Espagne. Répondez par télégramme pour donner nouvelles. Oncle Henri. »
Les enfants se pressaient autour de François qui leur répéta le message.
« Qu’allons-nous répondre ? demanda-t-il. Beaucoup d’aventures bien terminées ? Non, n’est-ce pas ? Nous n’allons pas inquiéter notre oncle et notre tante maintenant que tout est fini.
— Dis ce que tu veux… Quelque chose de gentil… répliqua Mick.
— Bien. »
François reprit le téléphone.
« Allô ! Voici la réponse au télégramme, je vous donne le texte : « Vacances amusantes, beaucoup de bonheur, tout va bien, François. »
— Tout va bien, répéta Annie, alors qu’ils montaient se coucher tous ensemble, voilà ce que j’aime entendre à la fin d’une aventure : tout va bien. »
FIN