14

Sanchez décapsula une cannette de bière et se laissa tomber dans le canapé. Josyane se planta en face de lui, les poings sur les hanches. Ainsi avachi, avec son col de chemise ouvert, sa chemise trempée de sueur, ses yeux brillants, Romain n’avait pas fière allure.

— Tu as l’air fatigué.

— Le patron nous fait tourner en bourrique. Réunion sur réunion. Rien de grave. Et j’ai une bonne nouvelle.

Josyane s’assit sur l’accoudoir du canapé, passa son bras autour de l’épaule de Sanchez puis s’en écarta.

— Tu devrais prendre une douche.

— Je me bois une petite mousse d’abord.

— Et cette nouvelle ?

Sanchez baissa la voix.

— Où est Jean-Christophe ?

Du menton, la jeune femme indiqua la cloison.

— Bon, je sais que sa présence te pèse…

— Il n’est pas méchant, mais je ne me sens plus chez moi avec ce type sur le dos. En plus, il me regarde d’une drôle de façon.

Sanchez se mit à rire.

— Comment ça ? Tu veux dire qu’il te drague ?

— Non, mais on dirait qu’il me juge. Ma façon de m’habiller… Tu vois ce que je veux dire ?

— Jean-Christophe a toujours été un peu moraliste. C’est ce qui lui vaut ses ennuis. Bon, je crois que j’ai trouvé une solution. Ferdinand va m’aider à lui obtenir un passeport.

Josyane changea d’expression.

— Ferdinand…

— Le fils du ministre N’Gaye qui travaille avec moi. Tu le connais. Tu l’as rencontré plusieurs fois.

— Oui, je vois qui c’est.

— Ferdinand va me faire rencontrer quelqu’un qui saura comment s’y prendre.

— Tu veux dire pour fabriquer des faux papiers ?

— Disons un vrai-faux passeport. C’est un employé de l’ambassade de Yaoundé qui s’en occupera, mais il faut passer par un intermédiaire.

— On ne risque pas d’avoir des ennuis ?

— Moins qu’en le gardant ici trop longtemps. Et c’est pour ça qu’il faut un intermédiaire. Je fais confiance à Ferdinand.

— Et ça va te coûter cher ?

— Ce n’est pas un problème. Je peux tout de même faire ça pour un vieux copain.

— Comme tu voudras. Sinon, ils ont livré le frigo. Tu veux le voir ?

— Je ne m’intéresse pas vraiment aux frigos.

— Tu l’as bien choisi. J’ai gardé le vieux pour l’offrir à ma cousine Noémie.

— Comment ça ? Je croyais que c’était toi qui l’avais commandé.

— Je n’ai rien commandé du tout.

— Bizarre. Il me semble que c’est ce qu’a dit le livreur qui s’est présenté à mon bureau. La réceptionniste a peut-être compris de travers. Mais il faut bien que quelqu’un l’ait commandé…

— En tout cas, il est parfait.

Renonçant à résoudre le mystère du frigo, Sanchez se leva et se dirigea vers la salle de bains. Il termina par une douche glacée qui le revigora. Enveloppé dans un peignoir à rayures rouges et blanches, les cheveux lissés sur le crâne, il retourna dans le salon. Josyane s’était éclipsée dans la cuisine, mais Assamoa s’était installé dans le canapé.

— Je sens que je trouble ton intimité.

— Tu ne vas pas recommencer !

— Je suis vraiment très gêné de t’imposer cette situation.

— Arrête, veux-tu ? Sinon, je vais me fâcher et te flanquer dehors pour de bon. Ainsi, tu retrouveras ta bonne conscience. Aujourd’hui, j’ai travaillé pour toi. Je crois t’avoir dit que, parmi mes collègues, il y a le fils du ministre N’Gaye. Il va me présenter quelqu’un qui t’obtiendra un passeport sous un autre nom.

— Tu lui as dit que j’étais bamiléké ?

— Mais non. Il s’en fout complètement. Il ne m’a demandé aucun détail.

— Tu ne lui as pas dit non plus ce que j’avais fait ?

— Moins on en dit, mieux ça vaut, non ?

Assamoa approuva d’un mouvement de tête.

— Certes, si tu penses que ce fils de ministre est fiable.

— Ce n’est pas à proprement parler un ami. Il attend un renvoi d’ascenseur. Quel intérêt aurait-il à nous trahir ?

— On ne sait jamais. N’Gaye n’appartient pas au clan du président, mais il est très bien avec lui. Sinon, il ne serait pas ministre.

— Sans vouloir te vexer, crois-tu que le président t’accorde autant d’importance ?

— Pas lui, mais sa femme. Et je ne sais pas qui sont ces gens qui veulent me tuer.

— Donc, plus tôt tu seras en France, mieux ça vaudra.

Josyane réapparut. Elle avait passé un tablier rouge portant une inscription calligraphiée en caractères chinois jaunes.

— Qu’est-ce que ça signifie ? demanda Assamoa.

— C’est un proverbe chinois. Ça veut dire quelque chose comme : « Si tu veux profiter d’une fleur, coupe une longue tige, mais ne coupe pas la main qui tient la tige. »

— Ça pourrait être un proverbe africain, non ? remarqua Sanchez.

— Nos proverbes sont plus simples, affirma Assamoa. Celui-ci est énigmatique. Mais il va falloir nous mettre au chinois, puisque les Chinois nous envahissent.

Josyane balança la tête.

— Bon, vous avez faim, messieurs les philosophes ?

Ils s’installèrent autour de la table de la cuisine où les attendait une énorme sole, dorée à point.

— Vous n’en avez pas des comme ça en France, dit Assamoa. Je les regretterai quand je serai à Paris.

— Tu ne vas pas me dire qu’on te servait des soles à New Bell.

— Je préfère ne plus y penser.

— Et ce n’est pas tout, annonça Sanchez, nous allons arroser la bonne nouvelle…

Il alla chercher une bouteille de vin dont il fit admirer l’étiquette à son ami.

— Avec la clim, je pense qu’elle est à peu près à la bonne température.

— Pouilly-fuissé, ce serait dommage de la gâcher, convint Assamoa. Tu n’as pas trouvé ça à Douala ?

— Le Grec m’en a offert une demi-douzaine. Nous sommes de bons clients. On traite pas mal d’affaires dans son restaurant. Le Grec a toutes sortes de combines pour se procurer des produits de luxe.

Sanchez commença par déboucher la bouteille et remplir les verres.

— Alors, trinquons à ton départ pour la France !

— Ils ne vont pas me refouler à Roissy ?

— Pas de risque, d’après ce que j’ai compris, ce seront des documents tout à fait officiels.

— Et ça va te coûter la peau des fesses, je suppose…

Sanchez échangea un regard avec Josyane qui lui avait posé la même question quelques instants plus tôt.

— J’imagine qu’ils vont me faire le tarif expat… Mais c’est encore dans mes moyens, ne t’inquiète pas pour ça.

— Je ne sais pas comment te remercier.

— Attends d’être en France. Et commençons par boire un coup !

Gombo
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