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Avant de remplir la mission que le Blanc venait de lui confier, Théodore alla s’acheter une paire de baskets neuves, un T-shirt et des lunettes de soleil imitation Ray-Ban. Il s’examina ensuite à plusieurs reprises dans les vitrines des boutiques et son image lui donna satisfaction. Ainsi, il se trouvait bien meilleure allure pour aller interroger les commerçants. Un instant, il avait redouté que le vieux Blanc soit depso, homo comme le directeur du centre d’accueil où il avait passé six mois avant d’aller vivre dans la rue. Mais le type n’avait pas eu le moindre geste déplacé. Il n’avait pas posé sa main sur son genou ou sur sa cuisse quand il l’avait fait monter dans sa voiture et, surtout, il ne le regardait pas comme l’aurait fait un amateur de jeunes garçons. Théodore avait appris à identifier ces gens-là à des détails insignifiants. Une expression, un geste, un sourire, un regard. Il n’acceptait pas qu’on le touche et c’était la raison principale pour laquelle il avait fui la fondation. Dans la rue, la vie était très dure, mais il pouvait encore se défendre, tandis qu’au centre, s’opposer aux caprices d’un patron qui s’était fait une réputation de saint était impossible. Tout ce qu’il aurait gagné en le dénonçant ou en le frappant aurait été de s’attirer de graves ennuis, peut-être la prison où il aurait eu affaire à des malabars qui l’auraient violé et taillé en pièces. Quand il avait compris que le saint homme voulait en faire son nouveau protégé, il avait donc choisi de filer, de la même façon qu’il avait fui son oncle qui le tripotait et le battait. Il avait rempli un sac avec tout ce qui lui était tombé sous la main : vêtements, nourriture, bouteilles d’eau minérale et de coca, mais l’essentiel des provisions était sous clef, de même que la caisse qu’il n’avait pas réussi à forcer.
Dans la rue, il avait rejoint une bande qui traînait dans le centre, car il savait qu’on ne pouvait pas survivre seul. Pour se faire accepter il avait dû se soumettre à diverses épreuves d’initiation : crever les pneus d’un skinbender avec qui le clan avait un contentieux, voler une casquette dans une boutique et surtout participer à une bagarre contre un groupe rival – la cicatrice laissée sur sa cuisse gauche par un tesson de bouteille en attestait. Dans la rue, la nuit était synonyme de danger permanent. On pouvait se faire surprendre en plein sommeil par un autre gang, par des citoyens malintentionnés ou pire encore par les gendarmes qui faisaient facilement parler la kalachnikov. À l’aube, on retrouvait parfois des cadavres sur le trottoir. La bande à laquelle appartenait Théodore avait d’abord dormi dans le cimetière du Bois des singes où les mange-mille n’aimaient pas s’aventurer, puis elle avait eu la chance de trouver un abri un peu plus confortable dans le chantier d’une maison que son propriétaire avait abandonnée pour des raisons inconnues.
À la différence des gamins qui vivaient dehors depuis l’âge de huit ou dix ans, Théodore savait lire et écrire, car il avait tout de même passé plusieurs années sur les bancs du lycée de Maképé. Il n’ignorait donc pas, pour l’avoir lu dans Le Messager, que la durée de vie dans cet univers féroce ne dépassait pas quatre ans. Même s’il ne sniffait pas de colle, de peinture ou d’essence comme beaucoup de ses copains, il avait donc quatre ans devant lui avant de se faire tuer ou de devenir fayman[14]. Après avoir quitté Acquaviva, il éprouvait le sentiment confus que ce vieux White représentait la chance qu’il attendait. Il ne savait pas encore de quelle façon il devait l’exploiter, l’affaire demandait réflexion, mais il ne devait pas perdre de temps, car le type rentrerait bientôt dans son pays. Théodore n’avait pas la naïveté de croire qu’il l’emmènerait avec lui en France. Même une meuf canon n’aurait pas réussi à convaincre un type de ce genre de l’embarquer dans l’avion pour Paris. C’était mission impossible.
Le marché de New Bell est immense. Ses étals s’étendent autour de petites constructions de bois qui servent à la fois de stands et d’habitations à nombre de commerçants. Dans ce dédale, il est bien difficile de repérer un fuyard, quand celui-ci a réussi à franchir l’esplanade dégagée autour de la prison. À plusieurs reprises, des détenus évadés étaient parvenus à se fondre dans la foule. Obtenir des renseignements deux jours après l’émeute n’était pas une mince affaire. Théodore commença par observer les lieux. Il s’efforça d’imaginer comment un taulard en cavale pouvait se comporter. De deux choses l’une, ou bien des complices étaient venus le chercher en voiture, ou bien il avait fui à pied. Mais tous les points du marché n’étaient pas accessibles en voiture et les complices auraient pris beaucoup de risques en s’approchant de la prison, au moment où les gendarmes s’apprêtaient à réprimer l’émeute. Le fugitif avait donc nécessairement traversé une partie du marché. Dans ces conditions, la meilleure façon de passer inaperçu, c’est d’éviter de courir et de manifester des signes d’inquiétude en jetant sans arrêt des regards derrière soi. Il faut avoir l’air naturel, peut-être même se procurer un cabas ou un sac en plastique, acheter des fruits ou du poisson comme le ferait tout un chacun, ou du moins affecter de s’intéresser aux marchandises présentées sur les étals. Un marché comme celui de New Bell pullule de mouchards prêts à vendre père et mère et il faut éviter d’attirer leur attention par un comportement louche.
Il aborda d’abord une marchande de légumes enturbannée. Un portrait flatteur du président ondulait sur son opulente poitrine. Ce n’était pas une robe qu’elle portait, mais une véritable affiche électorale.
— Dis-moi, mother, t’as pas vu un type habillé en clergyman ?
La femme posa sur le gamin un regard rusé qui le désarçonna.
— Pourquoi tu me poses cette question, petit ? Et pourquoi tu mets des lunettes pour cacher tes yeux ?
— Un ami à moi le cherche.
— Eh bien qu’il le cherche tout seul ! Moi, j’ai des clients à servir. Si tu ne veux rien acheter, passe ton chemin, mougou[15].
Ses baskets et son T-shirt neufs n’avaient pas suffi à tromper la marchande qui avait identifié un gamin des rues à un détail quelconque. Les commerçants avaient l’œil et redoutaient les jeunes voleurs.
Il s’y prit de façon différente avec la suivante, une vieille tout édentée. Il commença par lui sourire et la complimenter sur sa marchandise.
— Ce n’est pas ici qu’il faut chercher des clergymen, mon garçon. Tu en trouveras plein les églises ! Tu n’as pas remarqué qu’on en ouvre une nouvelle tous les jours ?
Il changea plusieurs fois de tactique. Établir le contact, questionner ensuite. Il apprenait vite.
Les femmes lui avaient d’abord semblé des cibles plus faciles, il avait espéré éveiller leur instinct maternel ou les séduire, mais elles étaient plus retorses et souvent plus dures que les hommes. Il avisa un vieillard, assis en tailleur sur le sol, qui vendait des cigarettes, des boîtes d’allumettes et des objets hors d’usage disposés sur une natte. Il s’accroupit en face de lui, souleva ses lunettes, sourit, exposa son cas.
— Un akata[16] habillé comme un clergyman, c’est possible que j’en ai vu un, le jour de l’émeute. Tu travailles pour les m’bérés, ou quoi ?
— Pas du tout, grand-père, je n’ai rien à voir avec eux.
— Alors pourquoi cherches-tu cet homme ?
— Un ami veut le voir. Il lui doit de l’argent.
— Il te donne un gombo si tu le retrouves, c’est ça ?
— C’est un peu ça.
— Et moi, qu’est-ce que ça me rapporte ?
Le vieux cherchait peut-être à l’arnaquer. Comment être sûr qu’il avait vu le clergyman pour de bon ? De mauvaise grâce, Théodore glissa une pièce dans sa paume ridée.
— Je t’achète trois Marlboro.
Le vieux compta cérémonieusement trois cigarettes qu’il emballa dans un morceau de papier journal.
— Ton clergyman, si c’est bien celui-là, il est allé manger chez Marie-Jeanne.
Théodore empocha les cigarettes, salua le vieux et alla un peu plus loin demander où se trouvait la gargote de Marie-Jeanne. Une marchande de poisson ne fit aucune difficulté pour lui indiquer son chemin.
La fillette en minijupe dorée qui avait servi Assamoa l’invita à prendre place sur un banc. Il commanda une JPI et une portion de frites. La gamine minaudait et se déhanchait au rythme de la musique, toute fière de jouer à la patronne en l’absence de sa mère. Théodore souleva ses fausses Ray-Ban pour la fixer dans les yeux.
— Tes frites sont drôlement bonnes, petite sœur.
— Tu devrais goûter aussi le poulet.
— C’est un peu cher pour moi.
— Ta mère ne te fait pas à manger ?
— Je vis chez mon oncle et ma tante, mais ils sont tous les deux partis travailler.
— Et toi, qu’est-ce que tu fais ? Tu ne vas pas à l’école ?
— J’ai washé[17]. Aujourd’hui, je travaille pour une relation de mon oncle. Je dois retrouver quelqu’un. C’est mon futur métier, alors je m’entraîne. Plus tard, je serai détective privé, comme Derrick[18], improvisa-t-il.
— Derrick n’est pas détective privé. C’est un inspecteur, tu n’y connais rien !
— Je voulais seulement dire que je serai aussi habile que Derrick.
La gamine secoua la tête.
— Je ne te crois pas.
— Comment ça ? Tu ne crois pas que je recherche quelqu’un pour un ami de mon oncle ?
— Possible, mais je ne crois pas que tu deviendras détective privé. Je n’ai jamais entendu parler de détective privé chez nous.
— Tu n’es pas dans le coup. Quand un ministre ou un fayman pense que sa régulière se fait torpiller, à qui tu crois qu’il s’adresse ?
— Possible. Alors l’homme que tu cherches, c’est le chaud de ta tante ?
— Pas du tout. C’est business de fafio, pas de tabassa[19].
La jeune fille s’assit en face de lui, plaça ses poings sous son menton.
— Alors, à quoi il ressemble ce zombie ?
— À un clergyman en costume noir, avec un papa-j’ai-grandi[20], mais ce n’est pas un vrai clergyman.
Ses yeux s’arrondirent. Elle poussa un petit cri de surprise.
— Comment sais-tu qu’il est venu ici ?
— Parce que j’ai fait mon enquête.
— Ton client, alors c’est un Bosniaques[21] ?
— Mon client, c’est l’ami de mon oncle. Le clergyman, je le cherche seulement pour qu’il lui rende son argent.
— Qu’est-ce que tu veux savoir ?
— Tous les détails. Ce qu’il a mangé, ce qu’il a dit, comment il était habillé, combien de temps il est resté, dans quelle direction il est parti.
— Ça peut te servir ?
— Bien sûr, c’est ça le métier.
Cette fois, il constata avec satisfaction qu’il avait réussi à impressionner la jeune serveuse. Elle lui livra tous les détails qu’elle avait enregistrés.
— Tu ne te souviens de rien d’autre ?
— Il a demandé des journaux et il les a lus. Des vieux journaux qui servent à emballer. On aurait dit qu’il avait aussi faim de journaux que de poulet !
— Tu as parlé avec lui ?
— Seulement du poulet et de la musique. Il a dit qu’il connaissait la chanteuse Koko Ateba. Et toi, tu la connais ?
— Moi, mon truc c’est l’afro-cubain. Qu’est-ce qu’il a dit encore ?
Eh bien, il m’a demandé où se trouvait une société de télécom. J’ai pensé qu’il voulait acheter un portable et je lui ai indiqué une boutique, mais ce n’était pas ça. Il voulait connaître l’adresse du siège, mais moi je ne suis pas le bottin.
— Elle s’appelait comment, cette société ?
— Ça, je ne me souviens plus.
— Donc, il a lu les journaux et il a demandé l’adresse de cette boîte de télécom ? résuma Théodore.
— C’est ça, oui.
— Et c’était quoi, comme journaux ?
— Je te l’ai dit. Ce sont des vieux journaux qu’on récupère. Il y a de tout. En général, il manque plein de pages. Il n’y avait qu’un numéro de Divas qui était entier.
— Rien d’autre ?
— C’est déjà pas mal ! Avec tout ça, si tu es aussi fort que Derrick, tu dois le trouver, ce Bosniaque. Tu veux que je te fasse écouter Koko Ateba ?
— Un autre jour. Je dois aller faire mon rapport.
— Tu reviendras me voir ?
— Peut-être, mais il y a ma mission d’abord.
Il paya sa JPI et sa portion de frites en abandonnant une pièce de cent sur la table. Ce pourboire lui donna le sentiment d’avoir, l’espace d’un instant, changé de statut. Si cette fille avait su qu’il vivait dans la rue avec des loqueteux, elle ne se serait pas intéressée à lui. Dans sa bande, il n’y avait plus qu’une seule fille. Nadia, une vraie tigresse. Aucun des garçons n’avait réussi à se la faire. Elle avait toujours une lame sur elle et tous la respectaient. Parfois elle suçait des inconnus pour un peu d’argent, mais toujours quand elle l’avait décidé et elle n’allait jamais plus loin. Elle aussi avait fui une famille qui la traitait comme une esclave et un oncle qui la violait. Une nuit, alors qu’ils étaient allongés côte à côte dans le cimetière du Bois des singes, sans pouvoir trouver le sommeil, elle lui avait tout raconté. Il lui avait promis de l’emmener dans sa Mercedes, sans la toucher, quand il serait fayman. Elle avait rigolé. Son rire l’avait mortifié. Théodore n’avait réussi à s’envoyer qu’une seule fille de la bande, mais celle-là le faisait avec tout le monde pour cinq cents francs CFA. Elle avait disparu de la circulation depuis plusieurs mois. Les autres pensaient qu’elle était tombée sur un cinglé qui lui avait fait son affaire. Genre Jack l’éventreur. Théodore avait vu le film, du temps où il vivait chez son oncle. À la fondation, ils ne leur passaient que des histoires de Bondieu et des vieux westerns.
Le Blanc l’attendait devant la poste, comme convenu. Il sirotait une bière à côté d’une baraque business center équipée d’un vieux PC, d’une imprimante à aiguille particulièrement bruyante et d’une petite photocopieuse d’un modèle plus récent. Les clients du palais de justice, établi de l’autre côté de la place, faisaient la queue pour obtenir des copies de leurs documents. Acquaviva observait les manipulations habiles de la jolie patronne qui parvenait à faire fonctionner les trois appareils en même temps tout en répondant vertement aux critiques de ses clients, lesquels se plaignaient de la mauvaise qualité des tirages et des tarifs élevés.
— Tu as dix minutes de retard, Théodore.
— Je sais patron, mais j’ai des informations. Beaucoup d’informations.
Acquaviva l’entraîna dans une échoppe, du genre de celle qu’il venait de quitter.
— Tu as faim ?
Cette fois, il prit du mafé et une cuisse de poulet.
Acquaviva le regarda manger, sans le presser.
— D’abord, ton type, patron, c’est un Bosniaque. Tu m’avais pas dit.
L’expression était trop récente pour qu’Acquaviva la connaisse. Il écouta les explications de Théodore en hochant la tête.
— Un Bosniaque, pas mal, celle-là, je la ressortirai à l’occasion. Et, toi, au fait, tu es quoi ?
Avant, il y a des siècles, il se targuait d’identifier rapidement les différentes ethnies africaines, mais tout avait changé.
— Moi, patron, je suis du littoral. Mais dans la rue, ça n’a plus d’importance. On n’est rien du tout. Alors Bamiléké, Douala, Bassa, Ewondo, on est tous pareils dans la rue.
— Sans doute, acquiesça Acquaviva, vaguement déstabilisé par ce discours qui ne correspondait pas à sa vision de l’Afrique. Donc, le type que je recherche est en effet un Bamiléké, un Bosniaque.
Théodore lui rapporta fidèlement les propos de la serveuse.
— C’est bien. Tu t’es très bien débrouillé, mon garçon. Maintenant, il faut identifier cette compagnie de télécom. Ça ne doit pas être difficile, car il n’y en a certainement pas trente-six à Douala. Mais ce n’est pas tout, il faut essayer de savoir qui notre Bosniaque voulait contacter dans cette compagnie. Alors, comment allons-nous faire, à ton avis ?
Théodore essuya sa bouche qui dégoulinait de jus de poulet.
— C’est dans le journal qu’il a trouvé cette idée. La meuf du restaurant l’observait. Il lisait Divas juste avant de lui poser la question.
— Tout ça me confirme que tu es un garçon intelligent. Tu vas aller à la librairie de l’ADP[22] et acheter les six derniers numéros de ce canard.
— Et s’ils n’ont plus les anciens numéros ?
— L’ADP en garde toujours quelques exemplaires. S’ils ne veulent pas te les donner, tu leur proposes de les payer le double.
Il posa six billets de cinq mille sur la table.
— Ça suffira ?
— C’est trop, patron.
— Alors tu garderas la différence. Prends un taxi et va me les chercher avant que ça ferme.
Théodore ignorait bien entendu où se trouvait l’ADP. Il aborda un groupe de skinbenders qui attendaient le client au carrefour. La plupart n’avaient jamais entendu parler de cette librairie.
— OK, je sais où c’est, annonça l’un d’eux. Tu montes ?
Il grimpa sur la petite moto qui s’élança en pétaradant au milieu de la circulation. Le conducteur prenait plaisir à l’épater en se livrant à de dangereuses acrobaties. La sensation de vitesse était grisante. Décidément, cette rencontre avec le vieux Blanc avait fait de lui un autre homme.
Il arriva alors que la femme qui tenait la librairie s’apprêtait à baisser son rideau. De mauvaise grâce, elle accepta de lui vendre le dernier numéro de Divas.
— Il me faut les autres aussi, ma sœur. C’est pour mon patron. Si je ne lui rapporte pas, il va me tuer. Je te paye mille en plus, ça va ?
Elle réclama trois mille, ils transigèrent à deux mille.
— C’est qui ton patron, pour être si pressé de voir les photos des gens qui sont tous les jours à la télé ?
— Top secret, ma sœur.
Son paquet de journaux sous le bras, il remonta sur la bécane. Le skinbender le déposa dix minutes plus tard devant la poste. Compte tenu du coût de la course, Théodore calcula que l’opération lui avait rapporté dix-huit mille francs CFA. Pas loin de la moitié du salaire mensuel d’un professeur du lycée Maképé.
Il remit cérémonieusement les magazines à Acquaviva. Celui-ci les feuilleta attentivement un par un. C’est dans le troisième, dont la parution remontait à deux mois, qu’il découvrit la rubrique « Tapis rouge » consacrée à la réception donnée par le ministre des Télécommunications.
Il observa attentivement les photos, déchira la page, la plia en quatre et la rangea dans sa poche.
— C’est bien, j’ai trouvé ce que je cherchais. Tu peux faire ce que tu veux des journaux.
— Tu as encore besoin de moi, patron ?
— Pas ce soir. Il est trop tard. Nous reprendrons le travail demain matin.
Théodore se sentit d’un seul coup complètement désœuvré. Retrouver la bande dans la maison en construction n’était pas une perspective très enthousiasmante après une journée aussi excitante. Acquaviva lui donna une petite tape sur le bras, se leva, puis changea brusquement d’avis.
— Après tout, si, je vais encore avoir besoin de toi. Tu connais un endroit où on peut rigoler un peu le soir, dans cette ville pourrie ?
Le visage de Théodore s’illumina.
— Pour sûr, patron, il y a la rue de la Joie.
— Alors, va pour la rue de la Joie.