Mardi 18 novembre à 9 h 20
Marc Honfleur entra dans le bureau avec une assurance que je ne lui connaissais pas.
– J’ai un type au téléphone. Un psy. Il était en vacances. C’est pour ça que je n’arrivais pas à le joindre.
– Viens-en au fait sinon on y est encore à Noël…, lançai-je.
– Il s’appelle Yves Lentoine et pense qu’il a été en rapport avec l’auteur des meurtres suicides…
– Balance-le sur ma ligne !
Honfleur partit en courant et revint aussitôt. Le téléphone sonna. Je claquai des doigts en désignant Berckman qui accourut suivi de Jane. Je posai mon index sur ma bouche et branchai le haut-parleur.
– Major Clivel à l’appareil…
– Bonjour, Yves Lentoine, je suis médecin et psychothérapeute.
– Vous possédez des éléments sur le meurtrier dont parlent les journaux ?
– S’il existe des corrélations entre la prophétie et le meurtrier tel que décrit dans Le Monde, il a été mon patient.
– Expliquez-vous.
– Il m’a évoqué une prophétie qui l’obsédait.
Lentoine nous communiqua son adresse.
– Je suis tellement nerveux qu’il vaut mieux que tu conduises, dis-je à Berckman en lui lançant mes clefs.
Rejoindre le Pont-Neuf de l’avenue du Maine nous prit six minutes. Le docteur présenta ses conclusions : l’homme qui avait été son patient présentait les symptômes d’une agoraphobie sévère. Une névrose qui empêche de sortir de chez soi, provoquée dans son cas par un eczéma facial purulent, suite à son divorce. Il soupçonnait aussi une forme de paranoïa.
– En d’autres termes, précisa le docteur Lentoine, il imagine des choses de manière à ce que les événements de tous les jours lui confirment qu’il est victime de machinations. Il se croit au centre d’un complot. Il ne ment pas, mais s’arrange avec la réalité.
– Vous avez d’autres coordonnées que ces e-mails, une adresse ? demanda Berckman.
– Je recevais ses euros sous enveloppes anonymes et il changeait d’adresse mail à chaque fois. Les anciennes ne fonctionnent plus.
– Il utilise certainement une adresse IP flottante. C’est la méthode utilisée par les hackers pour rester anonymes, lança Honfleur.
L’opération consistait en la multiplication de serveurs en relais. Le nom de l’utilisateur n’apparaissait pas, à moins de remonter la filière des réseaux et d’y passer beaucoup de temps.
– Avez-vous gardé les enveloppes ? demandai-je.
Lentoine appuya sur une touche du téléphone et demanda à son assistante qui répondit par la négative.
– Quels éléments pourraient nous aider à le confondre ?
– C’est un homme. Mon assistante l’a entendu s’exprimer et se souvient d’une voix grave. La cinquantaine, d’après elle, mais je ne garantis rien.
– Comment se présente un eczéma au visage ? demanda Jane.
– Il n’est pas forcément défiguré. Il l’a été, c’est certain puisque c’est la raison de son agoraphobie. Mais il se peut que l’eczéma ait disparu et qu’il se convainque du contraire. Un des spécialistes l’avait estimé sorti d’affaire… Plus que des marques sur le visage, je chercherais quelqu’un d’apparence normale ayant consulté des spécialistes. Des dermatologues, par exemple.
– Vous avez précisé qu’il était divorcé, ajouta Christian.
Lentoine reprit ses notes et continua :
– Depuis deux ans environ. Il est fils unique. L’homme se dit très entouré mais ne sort pas de chez lui. Je pencherais pour quelqu’un vivant sur son lieu de travail. Un chef d’entreprise. Il ne rend des comptes à personne.
– Vous êtes sûr qu’il est incapable de sortir de chez lui ? demandai-je.
– Ses symptômes sont sévères et même dans le cas, extrêmement rare, d’une dissociation de la personnalité, il est incapable de franchir la porte de son domicile.
– OK. Instigateur mais pas acteur. Il paie un homme de main, conclut Berckman.
– Je précise qu’il a une très haute estime de lui-même. Il n’a jamais consulté pour son agoraphobie ou sa paranoïa dont il n’a pas conscience, seulement pour son eczéma, conclut le médecin.
Nous nous réunîmes. Un fait supplémentaire nous permettait de croire que nous tenions une piste sérieuse. Le meurtrier avait développé un eczéma. Or d’après Lauran Saléni, la manipulation de la Mandrava Rici Natura était très allergisante et pouvait provoquer ce type de manifestation. Il existait trop de professions ne nécessitant pas de sortir de chez soi pour que ce soit un critère de recherche. Nous allions devoir solliciter tous les dermatologues d’Île-de-France en les appelant un à un. Nous cherchions un homme qui avait présenté un eczéma au visage deux ans plus tôt. Deux noms seraient en priorité soumis aux spécialistes : Véraneau, le patron de Pharmacop, qui ne quittait pas ses appartements. La Crim’ suivait chacun de ses faits et gestes, notre équipe se contentait de leurs rapports pour connaître ses agissements. Le deuxième restait Marcus Comte. Fils unique, fortuné et incapable de sortir des locaux de la secte, il correspondait parfaitement aux critères énoncés par le thérapeute. On pouvait supposer qu’il avait camouflé sa maladie de peau en s’inventant une affliction aux yeux.
Je reprenais espoir. Grâce au docteur Lentoine, nous possédions des éléments tangibles : l’agoraphobie, l’eczéma et la paranoïa du meurtrier. Si l’assassin visait le lauréat du concours, les résultats publiés le premier du mois nous laissaient douze jours pour le confondre. Plus de temps qu’il n’en fallait pour conclure l’enquête une bonne fois pour toutes.