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Après avoir quitté les Bee Free, j’insistai pour visiter le Royal Botanic Gardens. Surpris par la présence des hommes en uniforme, le directeur nous accueillit à contrecœur. L’homme chargé de la sélection des variétés présenta les registres et assura que la Mandrava Rici Natura n’avait pas l’honneur d’y figurer. La plante, connue de leurs spécialistes pour sa dangerosité, ne pouvait pousser dans un endroit public. Les renommés jardins de Kew concentraient toutes les merveilles de la nature. Forêt amazonienne, savane africaine, cactées ou jardins japonais s’épanouissaient à l’ouest de Londres dans des serres monumentales. Je souhaitais les visiter toutes, avec une idée en tête. Je parcourus les dédales fleuris et arborés, accompagné de trois officiers et d’un botaniste. Une serre, créée en 1909, se nommait « Waterlily2 House ». Un spectacle digne de mes attentes. Le jardin aquatique, protégé du froid et de la pluie par un écrin de verre octogonal, présentait de multiples spécimens de lotus dont le blanc rappelait le velouté de la soie. Des fleurs identiques à celle de la fontaine de la rue du Moulin-Vert. Je retrouvai Brenson et lui glissai, en anglais, à l’oreille :

– Pourrait-on confronter la liste des employés du parc avec celle des Bee Free ? L’un d’eux se charge peut-être de l’entretien des lotus ?

Le capitaine envoya un de ses hommes se renseigner. Nous nous réunîmes pour un débriefing. Certaines questions restaient en suspens : de quelles sommes disposaient les Bee Free pour leurs opérations financières ? Le « Poison Garden » évoqué par le pharmacognoste et situé au nord de l’Angleterre proposait-il la Mandrava Rici Natura à la vue de tous ? On attendait le nom des employés. On savait désormais que ceux des jardins de Kew n’appartenaient pas à la secte. À 19 h 00, la police judiciaire anglaise reçut les chiffres. L’an passé, les Bee Free avaient déclaré une recette nette de deux cent quarante millions de livres sterling (trois cents millions d’euros). Une somme considérable, d’autant que l’organisation ne comptait aucun milliardaire en son sein. J’émis un sifflement. Les « doux dingues » s’avéraient doués pour les affaires. Expliquer l’origine de cette manne permettrait sans doute de mettre au jour d’autres activités. Nous devions retourner à Richmond au petit matin. Avec le commandant Ponstain nous partagions le même avis : Marcus Comte confirmait sa position de suspect numéro un. S’il ne pouvait sortir du centre, les finances de la secte l’autorisaient à payer un homme de main.

 

Le même jour, un peu plus tôt, l’histoire s’accéléra. Il y a dans cette notion de vitesse quelque chose d’irréversible. Une toile d’araignée, petit à petit, remplissait l’espace autour de moi. Je ne me doutais pas que ce serait si brutal. La vie allait se charger de me donner un cauchemar de plus. La vie ou, devrais-je dire, la mort.

Note

2. La maison des nymphéas.