– Docteur, j’ai un patient en ligne pour une consultation Internet.
– Un problème ? interrogea le médecin.
– Il veut rester anonyme et refuse la visite préalable.
Pour entamer une thérapie par Internet, la déontologie imposait une première rencontre entre le thérapeute et le patient. Un moyen d’analyser rapidement l’état psychologique et moral de la personne. Sauf cas exceptionnels – pour lesquels il se déplaçait –, Yves Lentoine fixait ce rendez-vous à son cabinet médical avant de poursuivre les entretiens sur le réseau, en toute confidentialité.
– Passez-le-moi, dit-il en saisissant son agenda.
– Il ne veut pas vous parler, juste savoir si vous acceptez le principe.
– Insistez.
Catherine Michelin, l’assistante d’Yves Lentoine, une rouquine toute en rondeurs, courut vers le téléphone. Elle s’adressa au patient, prit quelques notes puis raccrocha avant de se diriger vers la boîte aux lettres encastrée dans la porte d’entrée. Une enveloppe plastifiée s’y trouvait. Elle la remit au docteur.
– Il n’a rien voulu entendre. J’ai fixé un rendez-vous dans deux semaines, vendredi à dix-huit heures. Je lui ai donné votre e-mail, ajouta-t-elle d’un air satisfait.
Catherine n’avait que dix-neuf ans et compensait son manque d’expérience par un sens de l’initiative que Lentoine encourageait.
– C’est pour vous, ajouta-t-elle en pointant le doigt vers l’enveloppe.
Le thérapeute considéra la lettre non affranchie, vierge de toute annotation.
– Qu’est-ce que c’est ?
– L’argent de ce monsieur.
Une dizaine de billets de vingt euros retenus par une épingle dissimulait un bristol non signé où couraient des lettres minuscules : « Pour le paiement des deux premières consultations ».
– Il était sûr que j’allais accepter, c’est un peu fort ! lança le médecin en reposant l’argent. Préparez un dossier et inscrivez les requêtes du patient.
– À quel nom ?
– Celui que vous voulez, c’est provisoire. Même les anonymes éprouvent le besoin de signer.
D’abord médecin généraliste, Yves Lentoine estimait que ses patients connaissaient la cause de leurs maux. Une maladie est la manifestation de quelque chose que l’on a du « mal-à-dire », se plaisait-il à répéter. Le docteur s’était alors formé à la psychothérapie, devenue son activité principale. Sa clientèle fortunée, hommes politiques et notables, prétendait aller chez le médecin. Un rendez-vous plus facile à admettre dans une société où les problèmes d’ordre psychologique sont encore synonymes de faiblesse. Et pour ceux qui refusaient de se déplacer, il y avait Internet.
Lentoine alluma l’ordinateur et consulta ses messages, l’un d’eux avait pour objet : Enveloppe. Il cliqua sur l’en-tête.
« Bonjour, monsieur Lentoine,
Votre secrétaire m’a informé de la possibilité d’un rendez-vous en ligne à 18 h 00, vendredi en quinze. J’y serai. Merci de ne pas me répondre. Cordialement. »
Le message était signé « Éliaz ». Un pseudo, songea Lentoine en écrivant quelques lignes sur une page blanche : « Ne m’appelle pas docteur, se sent mon égal. Profession libérale ? Écrit “rendez-vous”, au lieu de “consultation”, a probablement du mal à admettre son problème. A mis “enveloppe” pour objet et non la raison pour laquelle il consulte. Aime maîtriser les situations. Souhaite rester anonyme : pourquoi ? »
Il déposa la feuille dans le dossier contenant l’enveloppe plastifiée. Sur la page de garde, Catherine avait écrit : « Zorro ». En souriant, Lentoine ajouta une flèche au bout de laquelle il nota : « Éliaz ». Il se leva, prit ses petites lunettes dont il changeait la couleur des montures selon son humeur – aujourd’hui elles étaient bleues, couleur à laquelle il prêtait des vertus analytiques – et accueillit la patiente suivante.