Lentoine appréciait de traiter le cas Éliaz. L’homme l’intéressait. Il avait questionné Catherine Michelin à plusieurs reprises et la présence de l’enveloppe dans la boîte aux lettres, jeudi matin, l’avait soulagé. À 18 h 00 précises, l’anonyme prit contact avec lui pour la troisième fois.
« J’ai eu une nouvelle crise et vous n’y êtes pas étranger. »
« Pourquoi êtes-vous agressif ? On agresse toujours parce que l’on a peur. L’angoisse est le catalyseur de l’agressivité. De quoi avez-vous peur ? De vous être trompé sur l’origine de votre eczéma ? »
« Je ne me suis pas trompé, l’expression de ma maladie est réelle. Je ressens des angoisses de mort. Les symptômes physiques sont effrayants, mes bras se paralysent, mon cœur me fait souffrir atrocement, je ne peux plus respirer. Il m’est impossible de sortir de chez moi sans avoir le sentiment que je vais mourir. Et n’imaginez pas que je délire. Ce n’est pas une vue de l’esprit. Mon cœur s’emballe vraiment et, bien souvent, je manque de m’évanouir. Heureusement, je suis entouré. »
« Je connais ces symptômes et je sais qu’ils sont bien réels, mais vous savez sans doute que votre peur, ELLE, est irrationnelle. »
« Vous pensez que c’est une forme de névrose ? »
« Absolument. »
Cet homme a probablement déclenché son agoraphobie à la suite de l’eczéma, se dit Lentoine. Restait à savoir ce qui avait provoqué la crise.
« Aviez-vous ces problèmes de cœur et cette sensation de mourir avant d’avoir votre eczéma ? »
« Pas du tout. C’est arrivé d’un coup, il y a deux ans avec le document dont je vous ai parlé. »
« De quoi s’agit-il ? »
« C’est une prophétie. Son objectif est de me détruire. »
« Vous avez le droit de penser qu’elle veut vous détruire mais qu’est-ce qui vous fait penser qu’elle vous est destinée ? »
« Quelques jours après avoir découvert le document, j’ai perdu une très grosse somme d’argent. Un placement pourtant réputé sûr. Quelques semaines plus tard, ma femme m’a quitté. Ce sont des faits réels. La preuve de sa malfaisance. Il s’attaque à ma vie privée. »
« Vous perdez une forte somme, ainsi que votre femme… Vous ne croyez pas que ces faits suffisent à déclarer un eczéma ? »
Il y eut un peu de temps avant qu’Éliaz ne réponde, comme s’il y réfléchissait pour la première fois.
« Je crois sincèrement que vous vous égarez. Vous tombez dans son piège. La prophétie possède ce pouvoir. Elle vous éloigne d’elle, elle vous mène dans une mauvaise direction. C’est une preuve de plus. »
« Vous n’êtes pas dans la réalité. Vous êtes dans votre délire. Pouvez-vous me dire quel bénéfice vous en tirez ? »
« Je ne tire aucun bénéfice de cette situation. Vous voulez voir mon visage ? »
« À qui pensez-vous lorsque vous dites “il s’attaque à ma vie privée” ? »
« Tout ça va trop vite. J’ai besoin de réfléchir. Je préfère que nous finissions la séance maintenant. »
« La séance est terminée. À la semaine prochaine. »
Il n’y eut pas de réponse. Le docteur imprima leur échange et resta pensif. Éliaz était en plein déni de la réalité. Il raisonnait juste sur des prémisses fausses. Le principe même de la paranoïa. Il nota : « Perte d’argent + rupture amoureuse → Eczéma → Défiguré → Agoraphobie sévère → Délire paranoïaque. »
Cet homme pouvait se révéler dangereux. Lentoine prit ses lunettes à monture jaune, la couleur de la volonté – dont il manquait singulièrement le vendredi – et fixa les montures vertes, soulagé de partir en week-end.
De mon côté, je reçus un nouveau rapport détourné par Emmanuelle. La Crim’ privilégiait la piste de l’attaque bactériologique, mais leur conclusion éclairait l’affaire sous un nouvel angle. Je pestai contre moi. Jane l’avait constaté dès sa première intervention, il y avait trop d’enfants parmi les victimes. Avec un point commun : dans chaque famille, un gamin de six ans. J’attrapai fébrilement le rapport sur l’affaire de la Montagne-Sainte-Geneviève, trouvai l’information, puis de rage jetai le dossier au milieu de la pièce.
Vanessa Luzignan avait six ans.