Lothaire venait souvent en visite aux Murmures pour faire sa cour à la recluse. Il écrivait désormais des poèmes qu’il me récitait à mi-voix, il apprenait même à chanter pour mieux charmer mon oreille. Je ressentais beaucoup de pitié pour ce méchant garçon qui disait ne plus dormir par ma faute et me quémandait des sourires, comme s’il s’en nourrissait.
« On m’a affirmé que tu ne déflorais plus les jeunes filles dans les bois, lui ai-je dit un jour.
— J’ai grandi. Tu as enfermé mon désir dans un carré de pierre en épousant le plus grand des seigneurs et je n’aspire plus qu’à te plaire. Mon cœur est encagé de ce côté du monde. Je souffre tant de ne pouvoir te rejoindre. Si ta main s’abaissait à me caresser le front, elle y imprimerait un bonheur fou.
— Mes mains sont mortes aux caresses, mais ce soir elles se joindront et prieront pour toi. Tu as vraiment une jolie voix.
— C’est que j’ai engagé un jongleur qui est bon professeur. Sais-tu que j’ai échangé la plus belle de mes épées contre une vièle ? Mais il n’est pas aisé d’en jouer quand on n’a jamais rien appris que l’art de la guerre.
— Que je suis un ridicule efféminé ! Il me dit pire encore que mon frère Amey, qui a tant souffert quand on a marié sa promise à un autre. Il s’étonne de mes sentiments pour toi, de mon manque de vigueur, et voudrait m’envoyer en croisade au côté de l’empereur qui partira bientôt avec la plus grande armée de tous les temps arracher le tombeau du Christ des mains de Saladin.
— Peut-être devrais-tu lui obéir.
— Je ne pourrais me priver de toi si longtemps. C’est ton siège que je ferai jusqu’à la mort et non celui de Jérusalem. Je sais bien que cette grille qui nous sépare ne tombera jamais, qu’aucune échelade n’y fera rien, mais je ne suis heureux qu’ici, dans ton souffle.
— Tu ne peux pas y rester plus longtemps. Nombreux sont ceux qui veulent me rencontrer, je me suis offerte au Christ pour aider les pécheurs et prier sans relâche.
— Je te laisse à ta tâche. Puis-je revenir bientôt ?
— Quand bon te semblera ! »
La douceur avait progressivement envahi le regard bleu cendré de Lothaire et, d’entretien en entretien, de chanson en chanson, je l’ai vu se changer en un homme que j’aurais pu aimer.