À l’entrée de l’immeuble, dans l’entrebâillement de la porte, Sybil, le cœur battant, suit des yeux chaque mouvement de sa grand-mère.
Celle-ci progresse, peu à peu, le long du chemin distendu.
Pas d’obstacles à contourner. Pas de bassin, pas de kiosque à longer. Pas d’arbres ni de banc sur ce terre-plein. Ni treillage, ni palissade, ni feuillage, ni talus. Rien qu’un tronçon d’asphalte, entouré de bâtisses, si rapprochées les unes des autres qu’on dirait un mur d’enceinte.
Une place. Un emplacement vide. Un plateau de théâtre à l’abandon, graduellement éclairé par ces feux de la rampe que sont les premières lueurs du soleil levant.
Rien qu’un espace imaginaire ? Une séquence de cinéma, où la scène cruciale, plusieurs fois reproduite, obsède comme une rengaine ? Son ralenti décomposant les images, les gestes, pour que ceux-ci impressionnent et se gravent dans l’esprit du spectateur. Un spot répété sur l’écran télévisuel, offert simultanément à des millions de gens.
Terrible, ce lieu, tragiquement prémonitoire, qui pourrait n’être qu’imaginé !
Pourtant il est là. Il existe. À chaque pas, Kalya éprouve la consistance du sol. Dans sa poitrine ne cesse de retentir le cri strident, réel, poussé par Ammal ou Myriam, par Myriam ou par Ammal.
C’est bien elle, Kalya, dans sa robe blanche, son tricot de coton aux points relâchés ; elle en reconnaît la texture, elle sent autour des cuisses et des genoux la flexibilité soyeuse de la jupe. Elle, Kalya, arrivée depuis peu avec sa petite-fille d’au-delà des mers. Soudain enfoncées, liées toutes les deux à cette histoire si lointaine et si proche à la fois.
Tout cela est vrai. C’est bien un pistolet qu’elle tient dans sa main, sa crosse rugueuse qu’elle serre sous sa paume. C’est bien le pontet, la détente dont elle a repoussé le cran de sûreté, qu’elle sent autour de son index.
Kalya trace, presque malgré elle, un fil indélébile qui va, vient, de Sybil jusqu’à elle, et plus avant jusqu’aux jeunes femmes si dangereusement à découvert…