À cinq ans Louis XIV joue avec la fille d’une servante. Il lui sert de page, « la roulant dans une chaise et tenant le flambeau devant elle », abdiquant sa royauté pour le rire d’une fillette.

 

Les rois au dix-septième siècle vivent comme des gitans : leurs châteaux de province sont vides et, quand ils s’y rendent, ils font voyager leurs meubles avec eux.

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Son père qui exerçait le métier méprisé de ferrailleur vient de mourir. « Je n’arriverai jamais à sa hauteur », dit le fils stupéfait de chagrin.

 

Les morts sont des penseurs qui ne supportent que le vrai.

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Les contemplatifs de Port-Royal sont séduits par la nouvelle philosophie de Descartes pour qui le soleil est un amas de rognures, et les bêtes des automates insensibles à la douleur. La sagesse est un parapluie troué : personne n’est à l’abri de la mode.

 

Le peintre Vermeer a quinze enfants, presque autant que de grains de raisin dans une grappe. Aucun n’apparaît dans sa peinture.

 

Dans les ancêtres de Vermeer il y avait un faux-monnayeur. Il faut beaucoup de générations pour faire un saint. Chacun est nécessaire et travaille à son insu pour le ciel — même le faux-monnayeur.

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On vole d’erreur en erreur jusqu’à la vérité finale.

 

Les oiseaux dans le jardin ignorent l’existence du mal.

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Dix mètres en avant, un sanglier fuyait, droit sorti du seau à charbon de l’enfer, noir de boue, musclé comme dix mille gardes du corps, lancé sur le chemin comme une pensée dans la tête, impossible à arrêter.

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Jean-Sébastien Bach masse ma cervelle avec ses mains en or.

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Pascal enfant veut toujours connaître les raisons des choses. Sa sœur raconte comment, un invité ayant heurté à table avec son couteau une assiette de faïence, cela donna un son qui cessa dès qu’il mit la main sur l’assiette : l’enfant voulut sans délai comprendre la cause de ce son, et celle de sa disparition. L’écriture est le vaisselier de l’éternel : le bruit de l’assiette de faïence résonne quatre siècles après dans la tête du lecteur.

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La sainteté c’est juste de ne pas faire vivre le mal qu’on a en soi.

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À deux ans la vue de l’eau, ainsi que celle de ses parents quand ils se tiennent trop près l’un de l’autre, met Pascal en transe. Une femme avoue avoir jeté un sort à l’enfant pour se venger du père, officier de justice. La malédiction, dit-elle, amènera la mort sauf si on détourne le sort sur un animal. Un chat fera l’affaire. Pascal est tenu pour mort toute une soirée, puis sa petite âme remonte des abîmes. Il ne craint plus l’eau ni le couple parental. Seul désormais l’inquiète cet autre monde dont rien de solide ne nous sépare.

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Les mousses le long du chemin forestier qui mène à la boîte aux lettres sont si lumineuses qu’elles me coupent sans arrêt la parole.

 

L’aiguille de Dieu est enfoncée dans toutes sortes de tissus dont je ne me lasse pas d’admirer la richesse.

 

Agrippé au radeau de la beauté.

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Pascal a trois ans quand sa mère meurt. La pensée la remplace aussitôt. Elle fait le même travail impossible de rassurance.

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Il y a toujours dans un livre, même mauvais, une phrase qui bondit au visage du lecteur comme si elle n’attendait que lui.

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Un ange retourne le ciel à coups de pelle, faisant apparaître un bleu qui attire tous les oiseaux de l’âme.

 

Le rose maculé de gris des nuages me clouait le bec comme font les grands maîtres avec leurs disciples pressés.

 

Sans penser à rien je me suis trouvé au paradis. J’avais dû pousser une porte sans la voir.