Un onguent gras et blanc couvre le visage des femmes de l’aristocratie au dix-septième siècle. Sur leurs pommettes elles pulvérisent du rouge de carmin. « Avec leurs visages couleur de feu, dit une étrangère, les femmes françaises ressemblent à des moutons écorchés. » À ces fantômes rougeauds qui inspirent de vives passions, les religieuses de Port-Royal opposent la simplicité guerrière de leur habit — une croix écarlate sur une robe blanche — et leur visage fardé par la seule lumière de l’invisible.

*

Le vent traverse le pré comme un colporteur proposant les dernières nouvelles du ciel, des parfums de sureau, et de buis, et des papillons turquoise à la dernière mode.

 

Après les nuages, ce qu’il y a de plus beau au monde c’est un livre.

 

Chacun au fond du puits de son âme attend qu’un visage se penche à la margelle.

 

« Ma mère ne m’aimait point », dit Angélique Arnauld. Petite fille elle recherche la compagnie consolante de son grand-père à qui elle fait promettre de lui donner plus tard une abbaye. Tout Port-Royal s’est élevé sur cette carence de l’amour maternel.

 

Les plus purs châteaux sont bâtis sur un abîme.

 

« Enlevez-moi ça » : c’est ce que dit la mère de Callas à sa naissance, avant de reprendre sa fille quatre jours après. Le chant non humain de la diva monte de l’enfer de ces quatre jours.

 

Pascal a cru toute sa vie voir un abîme à son côté gauche. Cela lui donnait des vertiges et parfois il faisait mettre une chaise de ce côté pour se rassurer. Il savait son trouble imaginaire mais ne pouvait s’empêcher de le sentir.

 

La pensée est une chaise mise sur un gouffre.

 

L’évidente catastrophe où vit chacun de nous prépare des grâces inouïes.

*

La main de la mère relevant avec nonchalance une mèche de cheveux sur le front de son enfant lègue à celui-ci une douceur qu’une vie entière n’épuisera pas.

 

Au Moyen Âge dans les murs des hospices, on creusait un guichet où une mère affolée pouvait abandonner son nouveau-né. L’écriture est un guichet de papier où la vie nouvelle-née attend en confiance d’être adoptée.

*

Portant sa maison dans un sac-poubelle sur son épaule, vêtu d’un blouson de cuir goudronneux, d’un pantalon de survêtement gris sable et de mules de plastique noir, le clochard traversait le boulevard près de la gare du Nord. Personne ne lui prêtait attention. Il lançait ses jurons en anglais dans les airs où un ange titubait comme lui, portant les saintes lumières du jour sur ses épaules.

 

J’ai vu une fourmi monter sur une ortie, hésiter aux embranchements des feuilles, prendre un à un tous les chemins possibles, s’agripper quand le vent grondait, puis redescendre. Toutes les vies sont vécues par Dieu que rien n’épuise.

*

Quand j’écoute parler Jean Genet je vois une dentellière appliquée à son travail de pointe.

*

Comme des bougies qu’on souffle une à une, les derniers chants d’oiseaux s’éteignent puis c’est la nuit et l’âme commence sa veille, illuminée par ce qu’elle vient d’entendre.

 

Le ver luisant ressuscita en moi un enfant qui s’agenouilla dans l’herbe, adorant l’émeraude brûlante.

 

La mort nous prendra tous un par un, aussi innocemment qu’une petite fille cueillant une à une les fleurs d’un pré.