François Visaquet éduque les enfants du président Gobelin pendant quinze ans. Un jour ensoleillé de janvier 1645 il passe devant une croix de pierre dans la cour des jacobins de Paris : son grec et son latin s’effondrent, il ne croit plus qu’à l’incroyable et rejoint Port-Royal des Champs dont il ne sortira plus. Gobelin lui doit cent écus. Il ne les lui donne pas, jugeant Visaquet « hérétique ». Celui-ci ne se plaint pas de sa pauvreté nouvelle, ni de l’apoplexie qui le frappe et des douleurs nombreuses qui l’escortent jusqu’à sa mort. Le trait du soleil, ricochant sur la croix de pierre, avait pénétré son cœur. Du silence coulait de la blessure.

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La vérité est une ambiance : on ouvre un livre, on entre dans une pièce et on sait.

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« Il n’y a presque plus de gens comme vous qui cherchent de vieilles bibles, c’est fini, ça », me dit la marchande de livres anciens. Dehors, dans les rues pavoisées pour les fêtes une triste gaieté tombait des haut-parleurs comme de la cendre. La paix des âmes est hors de prix.

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Dans ce rêve une jeune aristocrate posait son pied joliment chaussé sur la première marche d’un échafaud. Je lui disais connaître un moyen pour empêcher la mort proche de la saisir : tous nos malheurs venant de ce qu’une part de notre âme errait dans le passé tandis que l’autre titubait dans l’avenir, il suffirait d’habiter l’instant présent dans sa plénitude pour que la mort ne trouve plus notre porte — la profonde conscience d’être vivants nous rendant éternels. Le rêve était parcouru d’autres pensées — comme un frisson parcourt une peau —, trop nombreuses pour que je les retienne toutes. C’était comme si j’avais plongé la main dans un sac de pièces d’or et que la plupart glissaient entre mes doigts. À la fin du rêve je revis la jeune aristocrate. Son pied ne s’était pas posé sur la deuxième marche de l’échafaud. La mort ne savait plus l’atteindre.

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Poussin, avant de commencer un tableau, fabriquait une maquette de bois où il installait des figurines de cire molle représentant ses sujets. Il les vêtait de toile de Cambrai mouillée pour étudier les plis de leurs vêtements et voir comment se répartiraient les ombres et la lumière. Ce n’est qu’après avoir joué à la poupée qu’il s’attelait à la peinture.

 

L’enfant est le maître du maître.

 

Une nuit de 1672 Poussin, une lanterne à la main, raccompagne un cardinal jusqu’à son carrosse. L’homme d’Église plaint le peintre de n’avoir pas de serviteurs. « Et moi, dit Poussin, je plains bien plus votre illustre seigneurie qui en a beaucoup. »

 

Quelque chose se tient constamment à nos côtés, prêt à nous aider.

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Il n’y a que les poètes et la mort qui savent lire l’heure.

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Dans le monastère d’Uchon deux moniales vêtues de noir. Leur sourire, traversant le visage des visiteurs, répond au sourire des sœurs de Port-Royal, quatre siècles plus tôt.

 

Les fresques avec l’or sur les manteaux des saints font de l’œil un enfant.

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Du temps de Vermeer les enfants font rouler leurs billes sur les allées à l’intérieur des églises de Delft, plus propices à ce jeu que les ruelles pavées. Le tintement des billes fait sursauter Dieu, le tirant du sommeil de ses rites.

 

Marie de Médicis croit que les grosses mouches qui volent dans une pièce colportent dans d’autres pièces les mots qu’elles ont entendus. Dès qu’elle voit une mouche chercher son chemin entre les atomes de l’air, elle ne dit plus rien de secret.

 

Il faut chercher en tout l’innocence — on finira par l’y trouver.

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À chaque instant, à deux doigts d’un miracle.

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Un panier d’anges et de démons.

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Nous sommes des aveugles dans un palais de lumières. Des serviteurs dont nous ignorons le nom se précipitent devant nous, écartant les meubles pour nous éviter toute blessure grave.

 

Un camion de trente tonnes roule sur des pâquerettes qui se redressent juste après.