— Faisons donc une petite promenade aujourd’hui, Mikhail Eduardovitch. Ainsi, nous pourrons causer.
Le sang de Sergetov se glaça, mais il n’en montra rien. Le chef du KGB pouvait-il ne pas avoir l’air sinistre ? Natif de Leningrad comme Sergetov, Kosov était un homme petit et rond qui avait repris le KGB après avoir dirigé le « Département général » obscur du Comité central. Il avait un bon rire jovial quand il le voulait et, autrement, il faisait penser au Grand-Père Hiver, la version pour les Soviétiques du Père Noël.
— Certainement, Boris Georgyevitch, répondit Sergetov, et il désigna son chauffeur. Vous pouvez parler librement. Vitaly est un homme sûr.
— Je sais. Il travaille pour nous depuis dix ans.
Sergetov n’eut qu’à regarder la nuque de son chauffeur pour savoir que Kosov disait vrai.
— Alors, de quoi parlons-nous ?
Le directeur du KGB fouilla dans sa serviette et en retira un petit appareil de la taille d’un livre de poche. Il appuya sur un bouton et l’objet émit un bourdonnement désagréable.
— Un nouveau petit instrument commode fabriqué aux Pays-Bas, expliqua-t-il. Il émet un bruit qui rend les micros inopérants. Une question d’harmonique, paraît-il.
Tout à coup, il changea complètement de ton :
— Mikhail Eduardovitch, connaissez-vous la signification de l’attaque américaine contre nos bases ?
— Un incident inquiétant, c’est certain...
— Je ne crois pas. Plusieurs convois de l’OTAN sont en mer. Un en particulier, très important, a quitté New York il y a plusieurs jours. Il transporte deux millions de tonnes de matériel de guerre essentiel, plus une division américaine complète, à destination de l’Europe. En détruisant un certain nombre de nos bombardiers, l’OTAN a sérieusement réduit nos capacités d’action contre les convois. Elle a aussi dégagé la voie pour des attaques directes contre le territoire soviétique.
— Mais l’Islande...
— A été neutralisée.
Kosov expliqua ce qui était arrivé aux chasseurs soviétiques à Keflavik.
— Vous me dites, en somme, que la guerre tourne mal ? Alors pourquoi l’Allemagne procède-t-elle à des ouvertures de paix ?
— C’est une très bonne question.
— Si vous avez des soupçons, camarade directeur, vous ne devriez pas me les confier à moi !
— Je vais vous raconter une histoire. En janvier, j’ai été opéré du coeur et le contrôle quotidien du KGB est passé entre les mains du premier directeur adjoint, Josef Larionov. Vous connaissez le petit Josef ?
— Non, il n’a jamais pris votre place aux réunions du Politburo... Et le Conseil de la défense ? Il ne vous a pas consulté ?
— J’ai été très malade pendant quinze jours. Il m’a fallu encore un mois avant que je puisse de nouveau travailler à plein temps. Les membres du Conseil de la défense n’avaient aucune envie de compromettre ma guérison ; alors le jeune et ambitieux Josef a été appelé pour me remplacer. Comme vous vous en doutez, nous avons plusieurs écoles de pensée dans les services de renseignement, ce n’est pas comme votre précieuse ingénierie où tout est bien proprement classé et catalogué avec des chiffres et des graphiques. Le KGB procède à ce que nous appelons une estimation stratégique : c’est un document mis à jour quotidiennement, qui donne notre évaluation de la force politique et militaire de nos adversaires. Étant donné la nature de notre travail, et comme de graves erreurs ont été commises dans le passé, nous avons trois équipes d’évaluation qui rédigent les estimations : meilleur cas, pire des cas, cas moyen. Les termes s’expliquent d’eux-mêmes, n’est-ce pas ? Quand nous faisons une présentation au Politburo, nous nous basons généralement sur le cas moyen, et pour des raisons évidentes nous annotons nos estimations avec des données des deux autres cas envisagés.
— Donc, quand il a été amené à présenter son estimation au Politburo...
— Précisément. Le jeune et ambitieux Josef, qui vise ma place, a eu l’astuce d’apporter avec lui les trois cas. Quand il a vu ce qu’on voulait, il a donné ce qu’on voulait.
— Mais à votre retour, pourquoi n’avez-vous pas remis les choses au point ?
Kosov adressa à son compagnon un sourire ironique.
— Micha, Micha, parfois vous êtes d’une charmante naïveté ! J’aurais dû tuer ce petit salaud, mais ce n’était pas possible. Le moment n’est pas bien choisi... Le KGB est divisé en plusieurs factions. Josef en contrôle une, moi une autre. La mienne est plus importante, mais pas d’une manière décisive. Il a l’oreille du secrétaire général et du ministre de la Défense. Je suis un vieil homme malade... ils me l’ont dit. Sans la guerre, j’aurais déjà été remplacé.
— Mais il a menti au Politburo ! s’exclama Sergetov.
— Pas du tout. Vous croyez Josef fou ? Il a remis une authentique estimation du KGB rédigée sous ma présidence, par mes chefs de départements...
Pourquoi me raconte-t-il tout ça ? se demanda Sergetov. Il a peur de perdre son poste, et il recherche le soutien d’autres membres du Politburo. Mais est-ce tout ?
— Vous me dites que tout cela est une erreur ?
— Exactement. De la malchance et des fautes de jugement dans notre industrie pétrolière, pas de votre faute, naturellement. La peur au coeur de la hiérarchie de notre parti, l’ambition d’un de mes subordonnés, le sentiment d’importance du ministre de la Défense et la stupidité flagrante de l’Occident... Et voilà où nous en sommes aujourd’hui.
— Alors, selon vous, qu’est-ce que nous devons faire ?
— Rien. Je vous demande seulement de garder présent à l’esprit le fait que la semaine prochaine décidera probablement de l’issue de la guerre. Ah ! s’exclama Kosov : regardez, ma voiture a été réparée. Vous pouvez vous arrêter ici, Vitaly. Merci pour la promenade, Micha. Bonne journée !
Il reprit son appareil brouilleur et descendit de la voiture.
Mikhail Eduardovitch Sergetov regarda la limousine du KGB démarrer et disparaître au coin de la rue. Il avait disputé bien des parties de poker, dans sa vie. Son ascension dans le Parti avait exigé plus que de l’efficacité. Des hommes s’étaient trouvés sur son chemin, qu’il avait fallu écarter. Des carrières prometteuses avaient été brisées pour qu’il fût assis dans cette Zil. Mais jamais le jeu n’avait été aussi dangereux. Il n’en connaissait pas les règles, il n’était pas sûr de ce que faisait vraiment Kosov. Son histoire était-elle seulement vraie ? Est-ce qu’il ne cherchait pas à se couvrir pour des erreurs qu’il aurait commises et à rejeter tout le blâme sur Josef Larionov ? Sergetov ne se souvenait pas d’avoir rencontré le premier directeur adjoint.
— Au bureau, Vitaly, ordonna-t-il, trop profondément plongé dans ses pensées pour s’inquiéter des autres activités de son chauffeur.
Toland examina avec un grand intérêt les photos prises par satellite. Le KH-11 était passé au-dessus de Kirovsk quatre heures après l’attaque des missiles et les signaux envoyés par liaison instantanée au centre de commandement de l’OTAN. Il y avait trois clichés de chacune des bases de Backfires. L’officier de renseignement prit un bloc-notes et commença ses calculs, en s’ordonnant la prudence : les seuls appareils qu’il classait détruits étaient ceux qui étaient vraiment en miettes ou calcinés.
— Sur environ quatre-vingts appareils, on dirait que vingt et un ont été totalement détruits et une trentaine d’autres endommagés. Les bases elles-mêmes ont réellement souffert. Les Backfires vont rester hors de combat pendant au moins une semaine. Il leur reste les Badgers mais ces oiseaux-là ont les pattes plus courtes, ils sont bien plus faciles à abattre.
L’amiral Sir Charles Beattie sourit.
BASE AÉRIENNE DE LANGLEY, VIRGINIE, USA
L’intercepteur F-15 survola la piste à une altitude de cent pieds, à une allure de fusée. En passant la tour, le commandant Nakamura vira sur l’aile pour amorcer un atterrissage moins téméraire. Elle était un As ! Trois bombardiers Badger et deux satellites ! La première As féminine dans l’histoire de l’US Air Force ! Le premier As spatial !
Elle roula et s’arrêta devant le hangar, sauta de l’échelle et courut vers le comité d’accueil. Le commandant adjoint du Tactical Air Command était écarlate de fureur.
— Commandant ! Ne recommencez jamais un truc pareil, sinon je vous botte le cul !
— Oui, mon général. Je vous demande pardon, mon général. On ne devient As qu’une fois, mon général. Ça ne se reproduira plus.
— Les renseignements disent que les Russes ont un autre RORSAT prêt à être utilisé. Ils vont probablement réfléchir à deux fois avant de le lancer, dit le général, quelque peu calmé.
— Est-ce qu’on a monté d’autres oiseaux ? demanda Buns.
— On travaille sur deux et nous pourrions les avoir avant la fin de la semaine. Si nous les recevons, votre prochain objectif sera leur satellite de reconnaissance photo en temps réel. Jusqu’alors, les RORSAT ont la haute priorité, expliqua le général puis, avec un bref sourire : N’oubliez pas de peindre cette cinquième étoile sur l’oiseau, commandant.
Ils seraient partis quand même. La destruction du RORSAT soviétique rendait simplement le voyage plus sûr. En tête, il y avait les destroyers et les frégates qui se déployaient, cherchant des sous-marins sous un parapluie de patrouilles aériennes. Ensuite, c’était les croiseurs et les porte-avions et, en dernier, les navires de Little Creek : le Tarawa, le Guam, le Nassau, l’Inchon et vingt autres. Soixante bâtiments en tout, formés en trois groupes filant vingt noeuds cap nord-est. La traversée durerait six jours.
Même à trois noeuds, il tenait mal la mer. Le navire avait juste soixante mètres de long et réagissait à chaque vague. Son équipage était mélangé : des civils dirigeaient le bateau, des marins s’occupaient du matériel électronique. Le plus ahurissant, tout le monde le reconnaissait, c’était d’être encore en vie.
Le Prevail était un chalutier adapté. Au lieu d’un chalut, il traînait une sorte d’antenne sonar au bout d’un câble de dix-huit cents mètres bourré de senseurs sonar. Les signaux reçus étaient prétraités par les ordinateurs du bord et transmis par satellite à Norfolk à la cadence de trente-deux mille bribes de données à la seconde. Le bâtiment avait des moteurs électriques silencieux et sa coque avait été équipée d’un Prairie-Masker pour éliminer le rayonnement du moindre petit bruit des machines. Les superstructures étaient en fibre de verre pour réduire la signature radar. C’était, dans un sens très réel, un des premiers navires « furtifs » ; bien qu’il n’eût pour tout armement qu’un fusil contre les requins, c’était la plus dangereuse plate-forme anti-sous-marins jamais construite. Le Prevail et trois de ses semblables croisaient dans l’Atlantique Nord sur la grande route maritime entre Terre-Neuve et l’Irlande, en guettant tout bruit révélateur de sous-marin en transit. Chacun bénéficiait du soutien constant d’un Orion de patrouille. Par deux fois des sous-marins soviétiques avaient eu la malchance de s’approcher de l’un d’eux. Mais leur mission n’était pas de couler des sous-marins. Elle était de mettre en garde leurs adversaires en les avertissant de loin.
Dans le centre d’opérations du Prevail, une équipe d’océanographes observaient une rangée d’écrans de type télévision alors que d’autres calculaient les routes de tout ce qui pouvait être assez près pour constituer une menace directe. Un officier marinier passa le doigt le long d’une ligne floue, sur l’écran.
— Ça doit être le convoi de New York.
— Ouais, dit le technicien à côté de lui. Et voilà les types qui veulent le rencontrer.
— Au moins nous ne serons pas tout seuls, dit O’Malley.
— Vous avez toujours une attitude aussi positive ? demanda Frank Ernst.
— Nos amis russes doivent avoir d’excellents services de renseignement. Parce que, tout de même, vos gens de l’Air Force ont bien détruit leur satellite.
Le commandant Perrin posa sa tasse de café. Les cinq officiers étaient réunis dans la chambre de Morris. Perrin était venu par hélicoptère du Battleaxe.
— Ouais, reconnut Morris. Et ils vont vouloir nous régler notre compte.
Le message de Norfolk annonçait, en bref jargon naval, qu’au moins six sous-marins soviétiques se dirigeaient vers le convoi. Quatre devaient être au nord. C’était dans la zone de responsabilité du groupe.
— Nous devrions recevoir des infos de la queue sonar d’une minute à l’autre, dit Morris. Jerry, vous vous sentez d’attaque pour trois jours d’opération continue ?
O’Malley s’esclaffa.
— Si je dis non, ce sera grave ?
— Je crois que nous devrions rester bien ensemble, estima Perrin. Cinq milles d’écart au plus. Le plus ardu, ce sera de synchroniser nos sprints. Le convoi veut naviguer le plus possible en ligne droite, n’est-ce pas ?
— Oui. On ne peut en vouloir au commodore. Faire zigzaguer tous ces navires, ça provoquerait presque autant de chaos qu’une véritable attaque.
— Oui, mais, dites donc, fit observer O’Malley, la bonne nouvelle, c’est qu’on est débarrassé des Backfires pour un moment. Nous en sommes revenus à la menace unidimensionnelle.
Le mouvement du navire changea alors que la vitesse était réduite. La frégate achevait un sprint à vingt-huit noeuds et allait maintenant filer tranquillement cinq noeuds pour permettre à son sonar passif de fonctionner.
— Contact sonar, trois-quatre-six !
Sept cents milles jusqu’à la banquise, pensa McCafferty en allant à l’avant. À cinq noeuds !
Ils étaient en eau profonde. C’était un coup de dés, mais un bon, de fuir la côte à quinze noeuds malgré le tintamarre du Providence. Ils avaient mis quatre heures à atteindre la courbe des cent brasses, dans un état de tension perpétuel, en s’inquiétant de la réaction russe à l’attaque des missiles. Avant tout, les Russes avaient envoyé des avions de patrouille anti-sous-marins, les éternels Bears, pour lâcher des bouées, mais les Américains avaient pu les éviter. Le Providence avait encore presque tous ses systèmes sonar en état de marche et, s’il ne pouvait se défendre, il était au moins capable d’entendre venir le danger. Le Boston et le Chicago naviguaient à trois milles de chaque côté du sous-marin blessé. Sept cents milles à cinq noeuds, pensa encore McCafferty. Presque six jours...
— Alors, qu’est-ce que nous avons là, chef ?
— C’est venu lentement, commandant, alors c’est probablement une trajectoire directe. Nous avons un changement de relèvement lent. À mon avis, ça pourrait être un diesel sur batteries, et tout près.
Le chef du sonar ne manifestait aucune émotion. Le commandant recula dans le centre d’attaque.
— Venez à droite au zéro-deux-cinq.
L’homme de barre déplaça le gouvernail de cinq dégrés, amenant le sous-marin vers le nord-est. À cinq noeuds, le Chicago était « un vide dans l’océan » qui ne faisait pour ainsi dire pas de bruit du tout, mais le contact qu’il relevait était également silencieux. Pendant plusieurs minutes, McCafferty regarda son image changer de forme sur l’écran.
— Bon, nous avons une variation de relèvement du contact. Il est maintenant au trois-quatre-un.
— Joe ? demanda McCafferty à son second.
— Distance calculée huit mille mètres, environ. Il vient vers nous à environ quatre noeuds.
Trop près, pensa le commandant. Mais il ne doit pas encore nous entendre.
— On va se le faire !
La torpille Mark-48, réglée à sa plus faible vitesse, tourna de quarante degrés sur la gauche à sa sortie du tube puis se dirigea vers le contact, ses fils de guidage traînant derrière elle jusqu’au sous-marin. Les hommes du sonar la dirigèrent sur son objectif pendant que le Chicago s’éloignait lentement du point de lancement. Tout à coup, le chef du sonar se redressa.
— Il l’a entendue ! Il vient de pousser ses moteurs à fond. J’ai un compte des tours d’hélice. C’est un Foxtrot...
La torpille accéléra et mit en marche son sonar chercheur. Le Foxtrot se savait découvert et son commandant réagissait automatiquement en augmentant sa vitesse et en ordonnant un changement de cap brutal sur la droite ; puis il lança une torpille chercheuse vers son assaillant. Finalement, il augmenta son immersion dans l’espoir de semer la Mark-48.
Le virage sec à gauche du Soviétique avait créé un tourbillon qui dérouta brièvement la Mark-48, mais la torpille le traversa et, en débouchant dans une eau moins turbulente, elle retrouva son objectif. Le missile vert fonça à la poursuite du Foxtrot et le trouva à une profondeur de cent vingt mètres.
— Touché ! s’écria le chef du sonar. L’objectif est touché !
L’explosion se répercuta dans la coque d’acier comme un lointain coup de tonnerre. McCafferty brancha ses écouteurs juste à temps pour entendre les efforts frénétiques du Foxtrot en vue de remonter en surface et le grincement de métal tandis que ses cloisons intérieures cédaient. Il ne perçut pas le dernier geste du commandant, qui fut de déployer la bouée de sauvetage située à l’arrière. Elle s’éleva et flotta à la surface en émettant un message continu. Tous les hommes à bord du Foxtrot étaient déjà morts, mais la bouée signalait au quartier général de la flotte rouge la position où ils étaient morts et plusieurs sous-marins et bâtiments de surface se dirigèrent immédiatement vers elle.
— Beagle, vous avez tous mangé et vous vous êtes reposés ? demanda Chenil.
— Plus ou moins, oui.
Edwards s’y attendait, mais, maintenant, cela lui parut plutôt menaçant.
— Nous voulons que vous alliez patrouiller sur la côte sud du Hvammsfjördur et que vous nous fassiez part de toute l’activité russe que vous percevrez. Nous sommes particulièrement intéressés par la ville de Stykkisholmur. C’est un petit port à environ soixante kilomètres à l’ouest de votre position. Comme auparavant, vos ordres sont d’éviter, d’observer et de rapporter. Vous avez bien reçu ?
— Bien reçu. Combien de temps avons-nous ?
— Je ne peux pas vous le dire, Beagle. Je ne sais pas. Mais vous devez vous mettre en route tout de suite.
— D’accord, nous partirons dans dix minutes.
Edwards démonta l’antenne et rangea la radio dans le sac à dos.
— Mes amis, il est temps de dire adieu à cette retraite montagnarde. Sergent Nichols ?
— Oui, mon lieutenant ?
Nichols et Smith s’avancèrent ensemble.
— Est-ce que vous avez été mis au courant de ce que nous sommes censés faire ?
— Non, mon lieutenant. Nos ordres étaient de relayer votre groupe et d’attendre de nouvelles instructions.
Edwards avait déjà vu l’étui à cartes du sergent. Il prit une carte d’état-major et traça leur route vers l’ouest. Le but de leur reconnaissance côtière était assez clair.
— Bien, nous allons marcher par deux. Sergent Smith, prenez la tête avec un de nos nouveaux amis. Nichols, emmenez Rodgers et couvrez nos arrières. Vous avez tous les deux une radio et je prendrai la troisième, en gardant le reste du groupe avec moi. Nous devons rester en vue les uns des autres. La première route goudronnée que nous trouverons est à quinze kilomètres à l’ouest. Si vous voyez quelque chose, vous vous jetez à terre et vous me faites un rapport. Nous devons éviter tout contact, d’accord ? Bien. Nous partons dans dix minutes.
Edwards commença à rassembler son matériel.
— Où allons-nous, Michael ? demanda Vigdis.
— A Stykkisholmur. Ça va ?
— Je peux marcher avec vous, oui. Et quand nous arriverons à Stykkisholmur, quoi ?
Mike sourit.
— On ne me l’a pas dit.
— Pourquoi est-ce qu’on ne vous dit jamais rien ?
— La sécurité, ça s’appelle. Moins nous en savons, mieux ça vaut pour nous.
— Stupide, dit-elle.
Edwards ne sut comment expliquer qu’elle avait à la fois tort et raison.
— Je crois que lorsque nous arriverons là-bas, nous pourrons recommencer à penser à une vie normale.
La bataille pour Hameln et celle pour Hanovre étaient devenues en quelque sorte la même opération. Deux heures plus tôt, les forces de l’OTAN s’étaient repliées vers l’ouest, permettant aux Russes de raccourcir leurs lignes et de se consolider. Les unités soviétiques avançaient avec précaution, soupçonnant une nouvelle ruse allemande. Alexeyev et le commandant en chef Ouest se penchaient sur leurs cartes pour tenter d’analyser les conséquences du repli de l’OTAN.
— Ça leur permet de mettre en réserve une brigade au moins, peut-être deux, jugea Alexeyev. Ils peuvent utiliser la route 217 pour déplacer rapidement leurs troupes d’un secteur à l’autre.
— Combien de fois les Allemands ont-il cédé volontairement du terrain ? rétorqua son supérieur. Leurs lignes sont exagérément déployées. Leurs unités sont décimées.
— Les nôtres aussi. Les unités de catégorie B que nous engageons dans la bataille subissent presque trois fois plus de pertes que les unités A qu’elles remplacent. Nous payons cher notre avance, en ce moment.
— Nous avons déjà payé cher ! Si nous échouons maintenant, ç’aura été pour rien. Nous devons attaquer en force, Pacha. Tout ce secteur est prêt à s’écrouler.
— Ce n’est pas mon impression, camarade général. La résistance est vive. Le moral allemand reste haut malgré leurs pertes. Ils nous ont fait beaucoup de mal et ils le savent.
Il n’y avait que trois heures qu’Alexeyev était revenu du PC avancé de Fölziehausen.
— C’est très utile d’observer l’action des premières lignes, Pacha, mais ça empêche de voir clairement l’ensemble du tableau.
Alexeyev fronça les sourcils. « L’ensemble du tableau » était bien souvent une illusion. Son chef le lui avait dit lui-même assez fréquemment.
— Je veux que vous organisiez une offensive sur toute la ligne du front. Les formations de l’OTAN sont gravement épuisées. Leur ravitaillement a baissé, elles ont subi de très lourdes pertes. Une attaque vigoureuse, maintenant, percera leurs lignes sur un front de cinquante kilomètres.
— Nous n’avons pas assez d’unités A pour une attaque de cette envergure, objecta Alexeyev.
— Gardez-les en réserve pour exploiter la percée. Nous déclencherons l’offensive avec nos meilleures divisions de réserve de Hanovre au nord, à Rodenwerder au sud.
— Nous n’en avons pas la force et ça consommerait trop de carburant, avertit Alexeyev. Si nous devons attaquer, je suggère plutôt un assaut contre un front de deux divisions, ici au sud de Hameln. Les unités sont en place. Ce que vous proposez est trop ambitieux.
— Le moment n’est pas aux demi-mesures, Pacha ! hurla le commandant en chef Ouest.
Jamais il n’avait élevé la voix contre Alexeyev et ce dernier se demanda quelles pressions s’exerçaient sur son chef, qui se calmait un peu.
— Une attaque sur un seul axe provoque une contre-attaque sur un seul axe. De cette façon nous compliquerons énormément la tâche de l’ennemi. Il ne peut pas être fort partout. Nous découvrirons un point faible, nous percerons et nous pousserons nos unités A restantes jusqu’au Rhin.
— Parez à larguer les bouées, tout de suite ! glapit O’Malley.
Les huit bouées s’éjectèrent du flanc du Seahawk et le pilote ramena l’hélicoptère vers l’est.
Il y avait trois longues heures harassantes que O’Malley était en l’air, avec bien peu de résultats. Arrêt, plongée du sonar, écoute, arrêt, plongée, écoute. Il savait qu’il y avait un sous-marin là-dessous, mais chaque fois qu’il croyait avoir une indication, le foutu bâtiment s’esquivait.
Hatchet avait le même problème, à cette différence que son sous-marin lui avait fait demi-tour au nez et attaqué le Battleaxe. La turbulence du violent sillage de la frégate avait fait exploser la torpille russe sur l’arrière, mais il s’en était fallu de peu, de trop peu.
— Plongez le dôme !
Ils restèrent en station pendant une minute. Rien. Ça recommençait.
— Romeo, ici Marteau. Vous avez quelque chose ? À vous.
— Il vient de faiblir, Marteau. Notre dernier relevé était trois-quatre-un.
— Pas mal. Ce zèbre est à l’écoute de votre sprint et dès que vous ralentissez, il réduit sa puissance.
— Ça me paraît logique, dit Morris.
— J’ai un barrage à l’ouest, s’il va par là. Je crois qu’il navigue plein sud et nous plongeons le sonar pour lui en ce moment. Terminé.
O’Malley prit son micro intérieur.
— Tu as quelque chose, Willy ?
— Rien, chef.
— Pare à hisser le dôme.
Une minute plus tard, l’hélicoptère repartit. Ils plongèrent le sonar encore six fois en vingt minutes, sans rien entendre.
— Encore, Willy. Decends-le cette fois à... disons à deux cent cinquante mètres.
O’Malley se tortilla sur son siège. La température extérieure était modérée, mais le soleil tapant sur la bulle transformait l’hélicoptère en serre. Il se dit qu’il aurait bien besoin d’une douche en retournant à bord. L’officier marinier aussi avait chaud, mais il avait eu la prévoyance d’emporter de quoi boire.
— Commandant, je crois que j’ai quelque chose... Contact possible au un-huit-cinq.
— Hisse le dôme ! Romeo, Marteau. Nous avons un contact possible au sud de nous. Nous suivons.
— Nous n’avons rien près de vous, Marteau. Sachez que Bravo et Hatchet travaillent sur un contact. Deux torps ont été lancées sans résultats.
Personne n’a jamais dit que ce serait facile, pensa Jerry. Il se déplaça de trois mille mètres et mouilla encore une fois le sonar.
— Contact, pour de bon cette fois ! Type deux hélices au un-huit-trois.
O’Malley regarda sa jauge. Quarante minutes. Il devait avoir celui-là et en vitesse. Il fit remonter le dôme et vola vers le sud, à trois kilomètres. Ses épaules tirèrent sur les sangles du siège. Il lui sembla que le sonar mettait des heures à descendre.
— Le voilà encore, commandant, au nord de nous, zéro-un-trois. Relèvement change. Zéro-un-cinq, maintenant.
— Parez à lancer !
Trente minutes de carburant. Le temps était leur ennemi, à présent. Ralston tapa sur les boutons « armement » et « sélection ». Il régla la profondeur et le mode de recherche. O’Malley pressa son pouce sur la manette et lâcha la torpille.
Le sous-marin augmenta à toute allure et vira à gauche pour s’éloigner de l’hélicoptère, au moment où la torpille plongeait à deux cent cinquante mètres avant d’entamer sa recherche. O’Malley grommela qu’il avait tiré d’une mauvaise inclinaison mais il n’avait pas eu le temps de renvoyer le sonar pour un meilleur cap. Il resta stationnaire en écoutant par son casque le bruit sifflant de l’hélice de la torpille, tranchant sur le grondement palpitant des puissantes hélices du Charlie. Le sous-marin nucléaire manoeuvrait fébrilement et tentait de tourner en débordant la torpille.
— Ils sont au même relèvement, maintenant, annonça Willy. Je crois que le poisson le tient... Touché !
Mais le Charlie ne mourut pas. Ils entendirent un échappement d’air, un instant seulement. Une folle cacophonie de bruits mécaniques suivit, alors que le contact s’éloignait vers le nord, mais elle faiblit et disparut presque lorsque le sous-marin ralentit. O’Malley n’avait pas assez de carburant pour le poursuivre. Il vira vers l’ouest pour retourner au Reuben James.
— Marteau ? Romeo. Qu’est-ce qui s’est passé ?
— Nous l’avons touché, mais il est encore en vie. Bougez pas, Romeo, nous arrivons pour nous ravitailler. Dans cinq minutes.
— Bien reçu, nous serons parés. Nous enverrons un autre hélico sur le Charlie. Je veux que vous alliez rejoindre Hatchet.
— Comment ça se fait que nous ne l’ayons pas tué ? demanda Ralston.
— Presque tous les sous-marins russes ont une double coque et cette minable ogive de cent livres du Mark-46 ce n’est pas assez costaud pour vous donner une mise à mort à chaque coup. On cherche à attaquer par l’arrière, si on peut, mais cette fois nous ne pouvions pas. Si on les touche dans le cul, on fait sauter les barres et on inonde le compartiment des machines. Ça tuera n’importe qui, ça. On ne vous a pas appris à tirer sur l’arrière, à l’école ?
— Pas particulièrement.
— M’étonne pas, grogna O’Malley.
Il fut heureux de revoir le Reuben James. Il amena l’hélicoptère au-dessus du coin bâbord de l’arrière. Derrière lui, Willy ouvrit la porte coulissante et envoya un lance-amarres. L’équipage de la frégate attacha un tuyau de ravitaillement au bout et Willy le remonta, pour enfoncer la lance dans l’ouverture du réservoir. Pendant qu’O’Malley se débattait pour stabiliser son appareil dans la turbulence derrière la frégate, le carburant était pompé dans ses réservoirs pour lui donner encore quatre heures d’autonomie. Ralston gardait l’oeil sur les jauges.
— Le plein est fait, Willy. Fermons tout.
L’officier marinier abaissa le tuyau et récupéra son lance-amarres.
— Bravo, ici Marteau, où est-ce que vous nous voulez ? À vous.
— Marteau, Bravo. Venez sur tribord à un-trois-zéro et rendez-vous avec Hatchet à huit milles de Bravo.
— On y va !
O’Malley survola le Reuben James et piqua vers le sud-est.
— Marteau, Romeo, un Sea Sprite du Sims vient d’achever ce Charlie pour vous. Nous avons un « bien joué » du commandant de l’escorte pour cette exécution. À vous.
— Dites merci pour moi au commodore. Bravo ? Marteau. Qu’est-ce que nous chassons ? À vous.
— Nous pensions que c’était un sous-marin à deux hélices. Nous n’en sommes plus tellement sûrs, répondit Perrin. Nous avons lancé trois torpilles sur cet objectif, résultat nul. Il nous en a tiré une, elle a explosé dans notre sillage.
— Elle était près ?
— Cinquante mètres.
Aie ! pensa O’Malley.
— O.K., j’ai Hatchet en vue. C’est votre jeu, Bravo, où est-ce que vous me voulez maintenant ?
Le Seahawk d’O’Malley prit position à sept milles du Battleaxe pendant que Hatchet filait se ravitailler en carburant et en bouées. Et la routine de plongée et de remontée recommença.
— Rien, dit Willy.
— Bravo, Marteau. Pouvez-vous me donner une idée de ce que cet objectif a fait ?
— Nous avons failli l’avoir deux fois au-dessus de la couche. Dans l’ensemble, il navigue vers le sud.
— On dirait un lance-missiles.
— D’accord. Notre dernier relevé était à mille mètres de votre position. En ce moment, nous n’avons rien.
O’Malley examina les données transmises du Battleaxe. Comme presque toujours quand il s’agissait de pistes de sous-marins, c’était une collection de vagues opinions, de jugements mal assurés et de véritables rébus.
— Marteau, la seule chose qui ait le moindre petit bout de logique, c’est qu’il est très rapide.
— C’est vrai, Bravo.
O’Malley réfléchit en examinant de plus près l’écran tactique. Un Papa, peut-être ? se demanda-t-il. Deux hélices, missiles de croisière, souple comme un voleur.
— Marteau, Bravo. Si nous agissons en partant du principe qu’il est extrêmement rapide, je conseille que vous alliez à l’est jusqu’à ce que Romeo sorte de son sprint et vous donne une position.
— D’accord, Bravo.
Le Seahawk fit vingt milles vers l’est et trempa son sonar.
— Qu’est-ce que nous chassons, à votre avis, commandant ? demanda Ralston.
— Qu’est-ce que vous diriez d’un Papa ?
— Mais les Russes n’en ont qu’un !
— Et alors ? Ça ne veut pas dire qu’ils le gardent pour un musée, quoi !
— Toujours rien, chef, rapporta Willy.
Le Reuben James sortit de son sprint et mit cap au sud pour amener son sonar sur le dernier contact. Si seulement le Battleaxe avait encore sa queue sonar, pensait Morris, nous pourrions trianguler sur chaque contact et avec deux hélicos...
— Contact, évaluons sous-marin possible, zéro-huit-un... relèvement... change lentement, on dirait. Ouais, le relèvement change du nord vers le sud.
L’évaluation alla tout droit au Battleaxe et au commandant de l’escorte. Un autre hélicoptère vint participer à la chasse.
— Plongez le dôme !
C’était la trente-septième fois de la journée.
— J’ai le cul endormi, dit O’Malley.
— J’aimerais bien que le mien le soit, dit Ralston en riant jaune.
Ils ne détectèrent rien.
— Remontez le dôme ! ordonna O’Malley avant de brancher sa radio. Bravo ? Marteau. J’ai une idée pour vous.
— Nous écoutons, Marteau.
— Vous avez Hatchet qui mouille une ligne de bouées au sud de nous. Déployez une autre ligne à l’ouest. Et puis je commencerai à émettre. Nous pourrons peut-être pousser le type à faire quelque chose.
— Restez parés pendant que j’organise ça.
— Vous savez, ce mec-là est très culotté. Il ne peut pas ne pas savoir que nous sommes sur lui, mais il ne s’esquive pas. Il pense vraiment qu’il peut nous battre.
— C’est ce qu’il fait depuis quatre heures, patron, observa « Willy.
— Vous savez ce qu’il y a de plus important, au jeu ? C’est de savoir quand c’est le moment de laisser tomber.
O’Malley prit de l’altitude et mit son radar de recherche en route pour la première fois de la journée. Ce n’était pas très utile pour détecter un périscope, mais cela pouvait effrayer un sous-marin croisant près de la surface et le faire replonger sous la couche. Le soleil se couchait et O’Malley vit les deux autres hélicoptères travailler ce contact, avec leurs feux de vol allumés. Ils lâchaient deux lignes de bouées passives, de huit milles de long et à angle droit.
— Le cordon est en place, Marteau, annonça le commandant Perrin. Commencez.
— Willy ! Pilonne.
À près de deux cents mètres sous l’hélicoptère, le sonar martela l’eau de pulsations à haute fréquence. O’Malley fit cela pendant une minute, puis il remonta le sonar et vola vers le sud-est. L’affaire dura une demi-heure. Au bout de ce temps, il avait des crampes dans les jambes, ce qui gênait ses mouvements.
— Prenez la relève pendant quelques minutes.
Il ôta ses pieds des pédales, et remua les jambes pour rétablir la circulation.
— Marteau ! Bravo. Nous avons un contact, bouée six, ligne Écho. Signal faible, cette fois.
C’était la ligne est-ouest. La bouée numéro six était la troisième à partir de l’ouest où commençait la ligne « November », nord-sud. O’Malley reprit les commandes et piqua vers l’ouest tandis que les deux autres hélicoptères tournaient en rond derrière leurs lignes respectives.
— Doucement, doucement, murmura-t-il au micro. Ne l’effrayons pas.
Il choisit sa route avec soin, sans jamais aller directement sur le contact, sans jamais s’en éloigner. Une nouvelle demi-heure s’écoula, en égrenant lentement chaque seconde. Finalement ils eurent le contact filant dix noeuds vers l’est, très au-dessous de la couche.
— Nous le tenons maintenant sur trois bouées, annonça Perrin. Hatchet se met en position.
O’Malley observa les feux clignotants rouges, à environ trois milles. Hatchet largua une paire de bouées DIFAR directionnelles et attendit. L’image apparut sur l’écran d’O’Malley. Le contact passait juste entre les DIFAR.
— Feu ! cria Hatchet.
La Stingray noire tomba invisiblement dans l’eau, à un demi-mille devant le sous-marin. O’Malley se rapprocha et mouilla sa propre bouée pour écouter en planant.
Comme la torpille américaine Mark-48, la Stingray n’utilisait pas d’hélices conventionnelles, ce qui la rendait difficile à détecter au sonar, aussi bien pour O’Malley que pour le sous-marin. Soudain, on entendit un bruit de cavitation alors que le sous-marin augmentait à pleine puissance et virait. Puis ce fut de petites pétarades de coque quand il changea brusquement de profondeur pour semer le poisson. Cela ne réussit pas. Ensuite, il y eut le fracas métallique d’une explosion d’ogive.
— Touché ! signala Hatchet.
— Plongez le dôme !
Willy abaissa une dernière fois le transducteur sonar. Le sous-marin remontait.
— Encore ! s’exclama Ralston. Ça fait deux de suite !
— Armez ! Willy, on va le pilonner.
— Paré à lancer !
O’Malley lança aussitôt sa torpille.
— Remonte le dôme ! Bravo, la torp a touché, mais n’a pas tué l’objectif, nous venons d’en tirer une autre.
— Il essaie peut-être de refaire surface pour évacuer son personnel, supposa Ralston.
— Il peut vouloir aussi tirer ses missiles. Il aurait dû fuir quand il en avait l’occasion. C’est ce que j’aurais fait.
La seconde torpille acheva le sous-marin. O’Malley retourna tout droit au Reuben James. Il laissa Ralston poser l’hélicoptère. Dès que ses roues furent calées et enchaînées, il descendit et alla vers l’avant. Morris le rattrapa dans le passage entre les deux hangars d’hélicos.
— Beau boulot, Jerry !
— Merci, patron.
O’Malley avait laissé son casque dans l’appareil. Ses cheveux étaient collés à son front par la sueur.
— Je voudrais discuter de deux ou trois trucs.
— Est-ce que qu’on pourrait faire ça pendant que je prends une douche et que je me change, commandant ?
O’Malley traversa le carré vers sa cabine. En moins d’une minute, il se débarrassa de sa combinaison de vol et se dépêcha de mettre le cap sur les douches.
— Vous perdez combien de kilos par une journée pareille ? demanda Morris.
— Beaucoup.
Le pilote appuya sur le bouton et ferma les yeux sous le jet d’eau froide.
— Vous savez, ça fait dix ans que je répète que la 46 a besoin d’une plus grosse tête. J’espère que ce coup-ci les gars des munitions vont m’écouter !
— Le second, qu’est-ce que c’était ?
— Ma tête à couper que c’était un Papa. Un boulot épatant des gars du sonar. Les indications que vous m’avez données étaient super.
O’Malley appuya encore sur le bouton pour une nouvelle douche froide. Une minute plus tard il émergea, l’air plus humain.
— Le commodore vous recommande pour quelque chose. Votre troisième citation aérienne, je suppose.
O’Malley médita brièvement. Ses deux premières décorations, il les avait obtenues pour des sauvetages, pas pour avoir tué des hommes.
— Quand serez-vous prêt à retourner là-haut ?
— La semaine prochaine, ça vous irait ?
— Habillez-vous. Nous causerons au carré.
Le pilote se donna un coup de peigne et s’habilla de linge propre. Il se souvint que sa femme lui répétait d’utiliser du talc de bébé pour protéger sa peau du frottement des vêtements serrés, trempés de sueur, suggestion qu’il rejetait avec mépris et jugeait indigne de son machisme d’aviateur. Malgré la douche, il avait encore quelques plaques rouges qui continuaient de le démanger.
Quand il arriva au carré, il trouva Morris qui l’attendait avec un pot de jus de fruits glacé.
— Vous avez eu un diesel et deux lance-missiles. Comment opéraient-ils ? Quelque chose d’insolite ?
— Terriblement agressifs. Ce Papa aurait dû abandonner. Le Charlie a pris la bonne décision, mais il en voulait salement, lui aussi.
O’Malley réfléchit un moment, en vidant son premier verre.
— Vous avez raison. Ils poussent vraiment très fort.
— Plus fort que je ne m’y attendais. Ils prennent des risques qu’ils ne prennent pas normalement. Qu’est-ce que ça nous dit ?
— Ça nous dit que nous avons encore deux journées de sale boulot devant nous, probable. Excusez-moi, commandant, je suis un peu trop crevé en ce moment pour les pensées profondes.
— Allez vous reposer.