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Gaz

WANDLITZ, RDA

SCÉNARIO 6

Météo printemps-été (humidité et température modérées ; vents ouest et sud-ouest de 10 à 30 km/h au niveau du sol, indexés pour altitude ; emploi d’agents hautement persistants contre communications nexi, sites, bases aériennes, entrepôts provisions et armement nucléaire POMCUS (pour taux erreurs normales informatiques, voir Appendice F de l’Annexe 1).

Le secrétaire général du Parti communiste de la République démocratique allemande continua de lire jusqu’au bout, malgré sa nausée.

Comme pour les scénarios 1, 3, 4 et 5, tout avertissement de plus de 15 minutes assurera protection complète virtuelle MOPP-4 de personnel alerté combat et soutien. Reste problème des pertes civiles, puisque plus de cent objectifs des catégories citées ci-dessus sont proches d’agglomérations majeures. La biodégradation d’agents persistants tel GD (qui serait probablement choisi par les Soviétiques ; pour analyse littérature soviétique à ce sujet voir Appendice C Annexe 2) sera ralentie par des températures généralement douces et une action climatiquement réduite de l’action photochimique du soleil. Cela permettra aux agents aérosols de dériver sur les courants aériens. Étant donné les concentrations minimales à la source de 2 mg par mètre cube, les gradients prévus de températures verticales et les inputs de larges nuages, nous voyons que le danger de vapeur toxique sera sous le vent, dans de vastes régions de la RFA et de la RDA, approximativement 0,3 fois (plus ou moins 50 %, compte tenu des impuretés attendues et de la désagrégation chimique des munitions chimiques) aussi important que dans les zones d’objectifs elles-mêmes.

Comme la littérature soviétique publiée exige des concentrations de source (c.-à-d. d’objectif) dépassant de loin la dose mortelle moyenne (LCT-50), nous constatons que toute la population civile allemande court le plus grand risque. Les représailles alliées attendues à de telles attaques chimiques seraient principalement d’une nature psychologique ; l’emploi des seules munitions soviétiques contaminera la majorité de la Grande Allemagne ; aucune région de l’Allemagne à l’est du Rhin ne pourra être jugée sûre pour le personnel non protégé, à partir de 12 heures après le tir des premières munitions. Des effets similaires peuvent être attendus dans certaines parties de la Tchécoslovaquie et même de la Pologne occidentale, selon la direction et la vitesse des vents. De plus, il est prévisible que cette contamination sera au moins 1,5 fois plus persistante que les agents utilisés.

Tel est le dernier (et le plus statistiquement vraisemblable) des scénarios inspirés par les spécifications du contrat.

SECTION VIII : RÉSUMÉ EXÉCUTIF

Comme le lecteur l’appréciera, bien qu’ayant reçu un avertissement tactique de quelques minutes seulement, les formations militaires alertées devraient subir peu de pertes (bien qu’avec une dégradation d’efficacité de combat de 30-50 % ; dégradation devant cependant être égale des deux côtés) ; les pertes prévues chez les civils seront en réalité plus grandes que celles attendues d’un échange au niveau-2 d’armes nucléaires tactiques (200 ogives (a) < 100 kt ; voir Appendice A de l’Annexe 1) sur un mélange d’objectifs industriels civils et militaires. Ainsi, en dépit du fait que les munitions chimiques ne sont pas par elles-mêmes dommageables pour les installations industrielles, on doit s’attendre à de sérieux effets à court et long terme sur l’économie. Même l’emploi d’agents non persistants sur la FEBA (Forward Edge of the Battle Area, ou frange avancée de la zone de bataille) ne peut avoir qu’un impact majeur sur la population civile, en raison du caractère lourdement urbanisé de la campagne allemande et de l’incapacité notoire de tout gouvernement à fournir une protection adéquate à sa population civile.

Pour ce qui est des effets immédiats, les + 10000000 du chiffre plafond des pertes du scénario 2 représentent un problème de santé publique plus grave que celui qui a suivi la catastrophe du cyclone du Bangladesh de 1970 et peuvent comporter des effets synergiques allant bien au-delà de cette étude. (Les spécifications du contrat excluaient spécifiquement toute enquête sur les effets bio-écologiques d’un échange chimique majeur, étant donné la difficulté inhérente à un examen en profondeur de ce sujet. Le lecteur est averti que de tels effets à longue portée sont plus faciles à combattre qu’à étudier. Il serait peut-être nécessaire, par exemple, d’importer des tonnes de larves avant que les récoltes alimentaires les plus simples puissent de nouveau pousser en Europe occidentale.) Pour le moment, la possibilité pour des armées, même organisées, d’avoir à se débarrasser de millions de cadavres de civils dans des stades de décomposition avancés ne peut être prise à la légère. Et les civils nécessaires pour le rétablissement de la production industrielle (selon des estimations certainement optimistes) auront été au moins décimés, dans le sens littéral et classique.

Une analyse sur les effets de la guerre
chimique sur le théâtre d’opérations européen
Prédiction Lawrence-Livermore National Laboratories
LLNL 88-2504 CR 8305(89)178
SIGMA 2
Distribution externe spécifiée seulement
SECRET

Johannes Bitner ne jeta pas le rapport dans sa corbeille à papier. Il avait envie de se laver les mains. Encore un point commun entre l’Est et l’Ouest, pensa-t-il froidement. Leurs rapports officiels sont rédigés par des ordinateurs pour être lus par des calculateurs. Tout comme les nôtres. Tout comme les nôtres.

— Herr Generaloberst.

Le chef du Parti communiste de la RDA leva les yeux vers son commandant en chef. Cet officier et un autre étaient venus ce matin-là de très bonne heure – en civil – le voir dans sa luxueuse résidence personnelle de Wandlitz, l’enclave de l’élite du Parti en dehors de Berlin. Ils avaient apporté ce document, obtenu il y avait à peine deux jours par un agent est-allemand occupant un poste important au ministère de la Défense d’Allemagne fédérale.

— À quel point ce document est-il exact ?

— Nous ne pouvons vérifier leurs logiciels, naturellement, camarade secrétaire, mais leurs formules, leurs estimations sur la persistance des armes chimiques soviétiques, leurs schémas météorologiques, c’est-à-dire toute l’information servant en principe de base à cette étude, ont été examinés par nos services de renseignement et vérifiés par certains membres choisis de l’université de Leipzig. Il n’y a aucune raison de supposer que ce n’est pas authentique.

— En fait, intervint le colonel Mellethin, directeur de l’Analyse des opérations étrangères, un homme maigre, austère dont les yeux révélaient qu’il n’avait pas dormi depuis plusieurs jours, les Américains sous-estiment le total des munitions employées, parce qu’ils surestiment toujours la précision du tir russe.

Les deux autres hommes notèrent immédiatement que « russe » avait remplacé « soviétique ».

— Il y a autre chose que vous souhaitez dire, Mellethin ? demanda vivement Bitner.

— Camarade secrétaire, du point de vue russe, quel est l’objectif de cette guerre ?

— La neutralisation de l’OTAN et l’accès à de plus importants capitaux économiques. Dites ce que vous avez à dire, camarade colonel, ordonna Bitner.

— Un succès du pacte de Varsovie, camarade, ferait une Allemagne unie. Je vous ferai observer qu’une Allemagne unie, même une Allemagne socialiste unie, serait considérée par l’Union soviétique comme une menace stratégique. Après tout, nous sommes de meilleurs socialistes qu’eux, nicht wahr ?

Mellethin respira profondément avant de continuer. Risquait-il sa vie ? Était-ce important ? Son nom de famille avait été von Mellethin et la loyauté inconditionnelle à l’État n’avait pas été apprise à sa lignée de soldats professionnels par le communisme.

— Camarade secrétaire du Parti, un succès soviétique dans cette opération laissera l’Allemagne, socialiste et capitaliste, aussi aride que la surface de la lune, un minimum de dix à trente pour cent de notre population morte, notre terre empoisonnée, même sans représailles chimiques de l’Occident. Nous avons appris aujourd’hui, camarade, que les Américains ont commencé à transporter par pont aérien des bombes aériennes chimiques « Bigeye » à leur base de Ramstein. Si nos « alliés » emploient leurs armes chimiques et si l’OTAN riposte de la même manière, il est tout à fait possible que notre pays, que la culture allemande elle-même, cesse totalement d’exister. Un tel objectif est militairement défendable, mais je pense, camarade, que cela pourrait être un objectif supplémentaire politique du plan russe.

L’expression de Bitner ne changea pas et ses visiteurs ne purent voir le froid soudain qui envahissait leur dirigeant national. La réunion à laquelle il avait assisté la semaine précédente à Varsovie avait été assez inquiétante, mais à présent la raison des onctueuses et rassurantes paroles du gouvernement soviétique ne paraissait que trop claire.

— Il n’y a aucun moyen de protéger notre population civile ? demanda-t-il.

— Camarade ! soupira le général. Il n’est même pas besoin de respirer ces agents persistants. Ils agissent aussi par la peau. Si on touche une surface contaminée, on est empoisonné. Même si nous ordonnons aux gens de rester chez eux, portes et fenêtres fermées, les maisons et les immeubles ne sont pas imperméables à l’air. Et les gens doivent manger. Les ouvriers de certaines industries essentielles doivent se rendre à leur travail. Le personnel médical, la police, les agents de la sécurité intérieure, certains de nos citoyens les plus précieux seront le plus gravement exposés. Ces aérosols traverseront notre pays de manière invisible, pratiquement indétectables. Mais ils laisseront une pellicule toxique sur nos pelouses, nos arbres, nos clôtures, nos murs, nos véhicules... sur presque tout. La pluie en éliminera beaucoup, mais des expériences faites il y a des années montrent que certains de ces poisons – ceux qui se trouveront sur le dessous des clôtures, par exemple, persisteront pendant des semaines, des mois. Nous aurions besoin de milliers d’équipes de décontamination avant que notre pays soit seulement assez sûr pour que nos compatriotes aillent faire leur marché. Le colonel Mellethin a raison. Si les Russes utilisent leurs gaz et si les Américains ripostent de même, nous aurons de la chance si la moitié de notre population est encore en vie six mois après. En réalité, c’est plus facile de la protéger des armes nucléaires que des gaz, et les effets du nucléaire durent bien moins.

— Du lieber Gott !

MOSCOU, RSFSR

— Ils disent quoi ? glapit le ministre de la Défense.

— Nos camarades socialistes fraternels de la République démocratique allemande nous ont informés qu’ils considèrent l’emploi de munitions chimiques à l’intérieur de leur territoire comme une très grave menace nationale, répondit le ministre des Affaires étrangères. De plus, ils nous ont fait suivre des rapports de SR qui montrent clairement que l’utilisation de telles armes ne servirait qu’à endurcir la résolution de l’OTAN et à ouvrir peut-être la porte à d’autres armes de destruction massive.

— Mais elles font partie du plan !

— Camarades, intervint Sergetov, nous savons tous que l’emploi de munitions chimiques aura des effets catastrophiques sur les civils, alors est-ce que ça ne compromettrait pas notre maskirovka politique ? Notre querelle n’est-elle pas avec le gouvernement ouest-allemand ? Quelle impression auront-ils si, le tout premier jour de la guerre, nous exterminons froidement des milliers de civils ?

Combien d’autres innocents allons-nous massacrer ? se demanda-t-il.

— Et il y a une autre question, dit Bromkovskiy.

Tout vieux et frêle qu’il fût, c’était quand même un homme qui avait vécu la dernière guerre contre les Allemands et son opinion sur les questions de défense inspirait toujours le respect.

— Si nous utilisons ces armes contre les armées de l’OTAN – et comment pourrions-nous les restreindre aux formations allemandes ? —, l’Amérique et la France ont bien déclaré qu’elles considèrent les gaz comme une arme de destruction massive à laquelle elles riposteront de la même façon.

— L’arsenal chimique américain est une plaisanterie ! répliqua le ministre de la Défense.

— J’ai vu des études de notre ministère qui suggèrent le contraire, rétorqua Bromkovskiy. Et peut-être allez-vous rire de leurs armes nucléaires ? Si nous tuons plusieurs milliers de civils allemands, leur gouvernement exigera le recours aux armes atomiques contre notre territoire. Si nos gaz tuent des milliers de soldats américains, croyez-vous que le président des États-Unis hésitera à employer ses propres armes de destruction massive ? Nous avons déjà discuté de tout cela, camarades. Cette guerre contre l’OTAN est une opération politique, n’est-ce pas ? Allons-nous rejeter notre camouflage politique en utilisant une arme pareille ? Nous sommes maintenant assurés qu’un pays de l’OTAN au moins ne participera pas à une guerre russo-allemande. C’est une grande victoire de notre politique. L’utilisation des armes chimiques réduirait à néant cet avantage et créerait des dangers politiques dans plus d’une direction.

Je pense que nous devons conserver le contrôle de ces armes au Politburo. Est-ce que selon vous, camarade ministre de la Défense, nous ne pouvons gagner qu’en ayant recours aux armes de destruction massive ? Est-ce que la situation a changé ? Avez-vous oublié ce que vous nous avez dit ? que si la surprise stratégique nous échappait, il serait possible de rappeler nos armées. Avons-nous perdu notre effet de surprise ?

L’expression du ministre de la Défense resta un moment figée, glaciale.

— L’armée soviétique est prête et capable d’accomplir sa mission. Il est maintenant trop tard pour battre en retraite. C’est aussi une question politique, Petya.

— L’OTAN mobilise, fit observer Sergetov.

— Trop tard et à contrecoeur, déclara le directeur du KGB. Nous avons détaché un pays de l’alliance de l’OTAN. Nous travaillons à en détacher d’autres et nous consacrons nos efforts, en Europe et en Amérique, à la désinformation sur l’attentat à la bombe. Les populations des pays de l’OTAN ne voudront pas se battre pour des assassins allemands et leurs dirigeants politiques devront trouver un moyen de se dissocier du conflit.

— Pas si nous massacrons des civils avec des gaz, déclara le ministre des Affaires étrangères. Petya et le jeune Sergetov ont raison. Le prix politique de ces armes est trop élevé.

WASHINGTON, D.C., USA

— Mais pourquoi ? Pourquoi font-ils celà ? demanda le président.

— Nous n’en savons rien, monsieur le président, répondit le directeur de la CIA, visiblement embarrassé par cette question. Seulement que cette histoire de complot et de bombe du Kremlin était une totale falsification...

— Est-ce que vous avez lu le Post ce matin ? La presse prétend que ce Falken sent à plein nez la CIA ou son équivalent allemand.

— Monsieur le président, la vérité c’est que Falken était presque certainement une taupe dormante soviétique sous le contrôle du KGB. Les Allemands ont été incapables de découvrir des renseignements sur lui. C’est comme s’il était brusquement venu au monde il y a treize ans, et depuis douze ans il dirigeait tranquillement sa petite affaire d’import-export. Tout indique, à notre connaissance, que les Soviétiques se sont préparés à une attaque contre l’OTAN. Par exemple, ils n’ont pas renvoyé leurs conscrits dans leurs foyers à la fin de leur service militaire. Et maintenant nous avons ce commandant du Spetznaz que les Allemands détiennent. Il s’est infiltré en République fédérale avant l’attentat à la bombe, avec l’ordre d’attaquer une base de communication de l’OTAN. Quant à savoir pourquoi... Nous ne pouvons que décrire ce que font les Russes, monsieur le président, mais pas leurs raisons.

— J’ai dit hier soir à la nation que nous serions capables de résoudre cette situation par des moyens diplomatiques...

— C’est encore possible. Il nous faut communiquer directement avec les Soviétiques, expliqua le conseiller de la sécurité nationale. Tant qu’ils n’auront pas répondu positivement, toutefois, nous devons démontrer que nous ne nous laisserons pas marcher sur les pieds. Monsieur le président, un nouveau rappel des réservistes est nécessaire.

ATLANTIQUE NORD

Le Julins Fucik roulait de dix degrés avec des vents par le travers. Cela rendait la vie dure aux soldats, remarqua le capitaine Kherov, mais ils se comportaient bien, pour des terriens. Ses hommes d’équipage étaient suspendus contre le bordé avec des pistolets à peinture, pour repeindre les marques du navire et les remplacer par l’emblème de la Lykes Line. Les soldats abattaient des parties des superstructures pour imiter la silhouette du Doctor Lykes, un Seabee de transport battant pavillon américain, remarquablement semblable au Fucik. Le navire soviétique avait été construit des années auparavant au chantier naval de Valmer, en Finlande, d’après des plans achetés aux Américains. À l’arrière, la région du treuil du monte-charge avait été entièrement peinte en noir, pour correspondre aux couleurs de la compagnie maritime américaine, et un losange noir ornait maintenant les deux bords de la superstructure. Des équipes changeaient la forme et les couleurs des deux cheminées, avec des pièces préfabriquées. Le plus dur restait à faire, la peinture de la coque. Les marques originelles étaient composées de caractères de six mètres. Pour les remplacer, il fallait utiliser des patrons en toile et les lettres devaient être bien nettes et exactes. Le pire, c’était qu’il n’y avait pas moyen de vérifier le travail à moins de mettre un canot à la mer, ce qu’ils n’avaient ni le temps ni l’envie de faire.

— Combien de temps, camarade capitaine ?

— Quatre heures au moins. Le travail avance bien.

Kherov ne pouvait dissimuler son inquiétude. Ils étaient là en plein Atlantique, loin des voies maritimes habituelles, mais on ne savait jamais...

— Et si nous sommes repérés par un avion ou un navire américain ? demanda le général Andreyev.

— Alors nous pourrons juger de l’efficacité de nos exercices de contrôle des avaries... et notre mission sera un échec.

Kherov passa une main sur la lisse de teck poli. Il commandait ce bateau depuis six ans et il l’avait emmené dans tous les ports de l’Atlantique Nord et Sud.

— Nous nous en tirerons. Ce bateau naviguera mieux de l’avant.

MOSCOU, RSFSR

— Quand comptes-tu partir ? demanda Flynn à Calloway.

— Bientôt, Patrick. J’espère que tu viendras avec moi.

Les enfants des deux journalistes étaient à l’université et ils avaient tous deux renvoyé leur femme à l’ouest la veille.

— Je ne sais pas. Je ne me suis encore jamais enfui, dit Flynn en regardant d’un air sombre la scène vide. On me paie pour rapporter les nouvelles.

— Qu’est-ce que tu rapporteras du fond de la prison de Lefortovo, mon vieux ? Est-ce qu’un prix Pulitzer ne te suffit pas ?

— Je croyais que personne d’autre que moi ne s’en souvenait, dit Flynn en riant. Qu’est-ce que tu sais que je ne sais pas, Willie ?

— Je sais que je ne partirais pas si je n’avais pas une sacrée bonne raison. Et si elle est assez bonne pour moi, mon vieux, elle devrait l’être aussi pour toi.

La veille au soir, il avait appris qu’une solution pacifique de cette crise offrait maintenant moins de 50 % de probabilité. Pour la centième fois, le correspondant de Reuters bénit sa décision de collaborer avec le SIS.

— Nous y voilà.

Flynn prit son bloc-notes.

Le ministre des Affaires étrangères entra par le côté habituel et s’avança vers le lutrin. Il avait une allure inhabituellement dépenaillée, le costume fripé, le col de la chemise douteux, comme s’il était resté debout toute la nuit à tenter de résoudre la crise allemande par des moyens diplomatiques. Quand il se redressa, ses yeux papillotèrent derrière ses lunettes.

— Mesdames et messieurs, cette année qui a si bien commencé pour les relations Est-Ouest a maintenant un goût de cendres. Les États-Unis, l’Union soviétique et les autres nations qui ont accepté notre invitation à Vienne sont à quelques semaines d’un accord général sur le contrôle des armes stratégiques nucléaires. L’Amérique et l’Union soviétique se sont entendues et ont conclu un marché de vente de céréales avec une rapidité sans précédent et, alors même que nous parlons, des livraisons sont en cours à Odessa, sur la mer Noire. Le tourisme occidental en Union soviétique n’a jamais été aussi florissant et c’est peut-être le plus juste reflet de l’esprit de détente. Aujourd’hui, nos deux peuples commencent à se fier l’un à l’autre. Tous ces efforts, les efforts de l’Est et de l’Ouest pour créer une paix juste et durable, ont été réduits à néant par une poignée de revanchards qui n’ont pas compris les leçons de la Seconde Guerre mondiale.

Mesdames et messieurs, l’Union soviétique a reçu la preuve irréfutable que le gouvernement de la République fédérale allemande a fait exploser une bombe dans le Kremlin, selon un complot destiné à imposer par la force la réunification de l’Allemagne. Nous avons en notre possession des documents secrets allemands prouvant que le gouvernement fédéral a l’intention de renverser le gouvernement soviétique et de mettre à profit la période de confusion intérieure qui en résulterait pour réaliser son rêve de refaire de l’Allemagne la principale puissance continentale d’Europe. Tous les Européens savent ce que cela signifierait, pour la paix internationale.

Au cours de ce siècle, l’Allemagne a envahi deux fois mon pays. Plus de quarante millions de citoyens soviétiques sont morts en repoussant ces deux invasions et nous n’oublions pas les millions d’autres Européens victimes aussi du nationalisme allemand, Polonais, Belges, Hollandais, Français, Anglais et Américains, des hommes et des femmes qui se sont battus à nos côtés pour sauvegarder la paix en Europe. Après la Seconde Guerre mondiale, nous avons tous pensé que ce problème était complètement terminé. Telle était la base des traités qui ont divisé l’Allemagne et l’Europe en sphères d’influence – n’oubliez pas que ces sphères ont été ratifiées par les accords d’Helsinki en 1975 – dont l’équilibre servirait à rendre impossible une guerre européenne.

Nous savons que le réarmement de l’Allemagne par l’Occident, en principe une mesure défensive contre la menace imaginaire de l’Est – en dépit du fait que le pacte de Varsovie ait été formé bien après l’OTAN –, représentait le premier pas de l’Ouest vers une réunification de l’Allemagne pour contrebalancer l’Union soviétique. Il est maintenant manifeste que c’était une politique stupide et inutile. Qui en Europe tient réellement à une Allemagne unie ? Les pays de l’OTAN eux-mêmes ont cessé de s’agiter pour cet objectif depuis des années. À part, bien entendu, quelques Allemands qui se rappellent le temps de la puissance allemande sous un jour différent de ceux d’entre nous qui en étions les victimes.

La République fédérale allemande s’est ostensiblement retournée contre ses alliés occidentaux, mais veut utiliser l’alliance de l’OTAN comme un bouclier derrière lequel elle pourra lancer ses propres opérations offensives. Son objectif ne peut que bouleverser l’équilibre des pouvoirs qui sauvegarde la paix européenne depuis deux générations. Bien que nous puissions reprocher à l’Occident d’avoir créé cette situation, le gouvernement de l’Union soviétique se refuse je répète, se refuse – à en rendre responsable l’Amérique ou ses alliés de l’OTAN.

L’Union soviétique ne souhaite pas anéantir les progrès spectaculaires accomplis cette année dans les relations entre l’Est et l’Ouest... Mais l’Union soviétique ne peut ignorer, ne peut négliger le fait qu’un acte délibéré d’agression a été commis contre l’Union soviétique, sur le sol soviétique.

Le gouvernement soviétique transmettra aujourd’hui une note au gouvernement de Bonn. Pour prix de notre tolérance, et pour préserver la paix, nous exigeons que le gouvernement de Bonn démobilise immédiatement son armée. Nous lui demandons également d’avouer son action agressive, de se dissoudre et de procéder à de nouvelles élections, pour que le peuple allemand lui-même juge comment il a été servi. Enfin, nous exigeons que le gouvernement de l’Union soviétique et les familles de ceux qui ont été si lâchement assassinés par les nationalistes revanchards allemands soient indemnisés pour leurs pertes. Si l’Allemagne ne répondait pas à ces exigences, cela aurait les conséquences les plus graves possibles.

Comme je l’ai déjà dit, nous n’avons aucune raison de penser qu’une autre nation occidentale ait participé à cet acte de terrorisme international. Cette crise, par conséquent, est une affaire entre le gouvernement de l’Union soviétique et le gouvernement de Bonn. Nous espérons qu’elle sera résolue par des moyens diplomatiques. Nous en appelons au gouvernement de Bonn pour qu’il réfléchisse aux conséquences de ses actes et agisse pour la préservation de la paix. C’est tout ce que j’avais à dire.

Le ministre des Affaires étrangères rassembla ses papiers et s’en alla. Les journalistes rassemblés ne tentèrent même pas de poser une question.

Flynn remit son carnet dans sa poche et recapuchonna son stylo. Correspondant de l’AP, il était resté un des derniers à Phnom Penh pour assister à l’arrivée des Khmers rouges, et cela avait failli lui coûter la vie. Il avait couvert des guerres, des révolutions, des émeutes, il avait été blessé deux fois dans l’exercice de sa profession. Mais maintenant, couvrir des guerres, c’était bon pour les jeunes.

— Quand dois-tu partir ?

— Mercredi au plus tard. J’ai déjà ma réservation SAS jusqu’à Stockholm, répondit Calloway.

— Je vais câbler à New York de fermer le bureau de Moscou demain. Je vais rester jusqu’à ce que tu partes, mais tu as raison, Willie, il est temps de se tirer. Si je continue de couvrir cette histoire, ce sera d’un endroit plus sûr.

— Combien de guerres as-tu suivies, Patrick ?

— La Corée, c’était ma première. Je n’en ai pas raté une depuis. J’ai bien failli crever en perdant tout mon sang dans un patelin appelé Con Thien. J’ai pris deux éclats de mortier au Sinaï en 73.

USS PHARRIS

DEFCON-2, RÈGLES ENGAGEMENT OPTION BRAVO MAINTENANT EN VIGUEUR. CE MESSAGE DOIT ÊTRE COMPRIS COMME UNE ALERTE DE GUERRE, lut Morris dans l’intimité de sa cabine, LES HOSTILITÉS ENTRE L’OTAN ET LE PACTE DE VARSOVIE DOIVENT MAINTENANT ÊTRE JUGÉES VRAISEMBLABLES. PRENEZ TOUTES MESURES CONFORMES À LA SÉCURITÉ DE VOTRE COMMANDEMENT. LES HOSTILITÉS POURRAIENT ÉCLATER SANS JE RÉPÈTE SANS AVERTISSEMENT.

Ed Morris décrocha son téléphone.

— Je veux voir le commandant en second chez moi. Il fut là en moins d’une minute.

— Il paraît que vous avez reçu un message chaud, commandant ?

— DEFCON-2 ROE Option Bravo, dit Morris en tendant le message. Nous allons commencer à maintenir la Condition-Trois. Tout de suite. Les tubes d’ASROC et de torpilles doivent être servis en permanence.

— Qu’est-ce que nous disons aux hommes ?

— Je veux d’abord discuter de ça au carré des officiers. Ensuite, je parlerai à l’équipage. Nous n’avons pas encore d’ordres spécifiques d’opérations. Je suppose que nous nous dirigerons vers Norfolk ou New York, pour escorte de convois.

USS NIMITZ

— OK, Toland, je vous écoute, dit Baker en se carrant dans son fauteuil.

— Amiral, l’OTAN a haussé son stade d’alerte. Le président a autorisé DEFCON-2. La flotte de défense réserviste est mobilisée. Reforger commencera à 0100 Zoulou. Les jets commerciaux sont déjà incorporés au service militaire. Les Brits ont mis en vigueur l’Ordre Deux de la Reine. Des tas d’aéroports vont être débordés, en Allemagne.

— Combien de temps pour compléter Reforger ?

— Huit à douze jours, amiral.

— Nous n’aurons peut-être pas ce temps.

— Oui, amiral.

— Parlez-moi de leur reconnaissance par satellite.

— Ils ont actuellement un satellite radar de reconnaissance océan en l’air, le Kosmos 1801. Il est jumelé avec le Kosmos 1813, un oiseau de renseignements électronique. 1801 est l’oiseau-radar à énergie nucléaire, et nous pensons qu’il a une capacité photographique pour renforcer le système radar.

— Je n’ai jamais entendu parler de ça.

— La NSA a détecté il y a plusieurs mois des indications d’un signal vidéo, mais cette information n’a jamais été transmise à la Marine parce qu’elle n’était pas confirmée.

Toland dit qu’il avait estimé, à ce moment-là, que la Marine n’avait pas besoin de le savoir. Maintenant, si, pensait-il. Je suis ici, à présent.

— J’imagine que les Russes ont un autre de leurs satellites radar prêt au lancement et probablement quelques autres à l’écurie. Ils ont lancé un nombre inhabituel de leurs oiseaux de communication à basse altitude, plus un tas de satellites de renseignement électroniques. Normalement, ils en ont six ou sept en l’air, mais en ce moment, il y en a dix. Ça leur offre une excellente couverture ELINT. Si nous faisons un bruit électronique, ils l’entendront.

— Et nous ne pouvons rien y faire !

— Pas avant un moment, amiral. L’Air Force a ses missiles antisatellites, six ou sept si j’ai bonne mémoire, mais ils n’ont été essayés qu’une fois contre un véritable satellite et il y a eu un moratoire sur les essais ASAT l’année dernière. L’Air Force peut probablement les épousseter et essayer de réactiver le programme, mais ça prendra quelques semaines. Leur principale priorité est les satellites radar, conclut Toland.

— Très bien. Nos ordres sont de rejoindre le Saratoga aux Açores et d’escorter notre unité amphibie des marines en Islande. Je suppose que les Russes vont nous observer d’un bout à l’autre ! Espérons que lorsque nous arriverons le gouvernement islandais nous permettra de les débarquer. Je viens d’apprendre que ce gouvernement n’arrive pas à savoir si cette crise est authentique ou pas. Bon dieu, je me demande si l’OTAN ne va pas se désagréger.

— En principe, nous avons la preuve que toute l’affaire est un coup monté, mais le problème, c’est que beaucoup de pays croient à cette comédie, du moins publiquement.

— Ouais, j’adore ça. Je veux que vous me révisiez continuellement votre estimation de la menace des sous-marins et de l’aviation soviétiques. Je veux être informé du plus petit changement dans ce que nous avons en mer, à l’instant même où vous recevez le renseignement.