Le lendemain matin, j’envoyai un mot à Rebecca Prescott avec un chèque pour la séance, en lui disant que j’avais décidé de m’en tenir là. Puis, avec le sentiment d’être idiote, j’appelai le numéro que m’avait donné Crispin. Quelqu’un décrocha, et répondit quelque chose d’inintelligible.
« Allô, puis-je parler au Dr Alexander Dermot-Brown, s’il vous plaît ? »
Nouvelle réponse inintelligible.
« Allô, est-ce que ton papa ou ta maman est là ? »
Là, au moins, j’obtins un « Pa-pa, Pa-pa » très compréhensible. Puis l’appareil fut apparemment ôté des mains de mon premier correspondant, qui poussa un hurlement aigu.
« Tais-toi, Jack. Allô, il y a quelqu’un ?
— Allô, je voudrais parler au Dr Alexander Dermot-Brown.
— C’est moi.
— Vous êtes thérapeute.
— Oui, je sais. » Je perçus un fracas à l’arrière-plan, et Dermot-Brown cria quelque chose. « Je suis navré, vous nous avez surpris au milieu du petit déjeuner.
— Excusez-moi. Je vais être brève. J’ai eu votre numéro par Crispin Pitt et Claire euh…
— Claire Swenson, oui.
— Pourrais-je venir m’entretenir avec vous ?
— Bien sûr. » Une pause. « Que diriez-vous de midi ?
— Vous voulez dire aujourd’hui ?
— Oui, quelqu’un est parti en vacances. Si l’heure ne vous convient pas, il faudra trouver un moment la semaine prochaine. Ou bien la semaine suivante.
— Non, midi sera parfait. »
Il me donna son adresse à Camden Town, près du marché. Mon Dieu, encore un chambardement au boulot. Non pas que cela eût beaucoup d’importance. Le « boulot », pour moi, c’était le bureau de CFM au dernier étage d’un vieil entrepôt de mollasse, surplombant le canal et le bassin d’Islington. Le C – Lewis Carew – était mort du sida en 1989. Il ne restait désormais plus que moi et le F, Duncan Fowler, et, après les années de récession, nous approchions tout juste du moment où il y aurait assez de travail pour nous deux. Tant que j’assistais à toutes les réunions concernant mon centre d’accueil, que je gardais la paperasserie à jour et que je passais régulièrement au bureau, il ne pouvait rien arriver de bien grave.
Je pris quand même mon vélo pour y passer. Je parcourus le courrier, bavardai avec Gina, notre assistante (en vérité, elle est notre secrétaire, mais nous l’appelons notre assistante pour compenser son maigre salaire). Duncan arriva à onze heures, l’air plus détendu que jamais. Duncan est petit mais corpulent ; il est presque chauve, le crâne entouré d’une couronne de frisottis roussâtres, mais il porte une barbe presque trop fournie. Je lui fis part des nouvelles complications pour le centre d’accueil, il me parla d’un projet d’immeuble d’habitation en copropriété qui nous rapporterait encore moins d’argent. Mais ce n’était pas très préoccupant. Je n’ai pas de crédit à rembourser, les enfants sont partis, et c’est Claude qui se charge de les entretenir. Quant à Duncan, il n’a pas non plus de crédit sur les épaules, et il est divorcé sans enfants à charge ni pension alimentaire à verser. Nous sommes propriétaires de notre bail. Comme le disait Duncan aux jours sombres du début des années quatre-vingt-dix, avant de pouvoir faire faillite, il aurait d’abord fallu qu’on nous donne du travail.
J’expliquai à Duncan que j’allais voir mon second thérapeute en deux jours. Il se mit à rire, m’embrassa affectueusement, et j’enfourchai mon vélo. Je me sentais prédisposée à apprécier Alexander Dermot-Brown, car je pouvais longer le canal pratiquement depuis mon bureau jusqu’à chez lui. J’avais juste à traverser Upper Street, et puis je traversais une zone de gazomètres et de voies ferrées, je passais devant le dépôt postal, après quoi je quittais le chemin de halage en arrivant à l’écluse de Camden Lock. Une centaine de mètres plus loin, j’enchaînai ma bicyclette à la grille d’une maison analogue à celles où vivent beaucoup d’entre nous, dans le nord de Londres.
Alexander Dermot-Brown était en jean et en tennis, avec un mince chandail usagé dont les trous aux coudes laissaient voir une chemise écossaise. Il avait une mâchoire anguleuse, presque comme celle de Clark Kent dans les vieilles bandes dessinées de Superman, des cheveux châtains souples où apparaissaient les premiers filaments gris, et des yeux très noirs.
« Dr Dermot-Brown, je suppose ? »
Il sourit et me tendit la main.
« Jane Martello ?
Nous échangeâmes une poignée de main, et il me fit signe de le suivre au sous-sol, dans la cuisine.
« Voulez-vous du café ?
— Parfait, mais est-ce que je ne suis pas plutôt censée aller dans un bureau m’étendre sur un divan ?
— Eh bien, si vous y tenez absolument, nous trouverons sans doute bien un divan quelque part dans la maison. Mais je pensais que nous devrions plutôt commencer par bavarder un peu pour voir ce que nous avons en tête. »
Avec son sol carrelé, ses lambris et son mobilier en bois teinté, la cuisine aurait sans doute paru élégante si elle avait été vide. Mais il y avait des jouets par terre, et les murs, couverts d’affiches, de cartes postales et de dessins d’enfants fixés au hasard par des épingles, des punaises et du papier collant, étaient à peine moins encombrés que le grand panneau d’affichage en liège qui surplombait l’une des surfaces de travail, sur lequel s’accumulaient plusieurs couches de documents : prospectus de livraison de plats tout préparés, invitations, circulaires de l’école, photos. Dermot-Brown me vit regarder autour de moi avec stupéfaction.
« Désolé. J’aurais dû ranger.
— C’est très bien ainsi. Mais je croyais que les analystes étaient censés travailler dans un environnement neutre.
— C’est tout ce qu’il y a de plus neutre, comparé à mon bureau. »
Il prit du café en grains dans le réfrigérateur, le moulut, le versa dans une grande cafetière et ajouta de l’eau bouillante. Puis il fouilla dans un placard.
« Je devrais vous offrir des biscuits, mais tout ce que je trouve, ce sont ces brioches. Si j’en garde une pour chaque enfant, cela nous en laisse une. Ça vous dit ?
— Non merci. Je prendrai juste un café. Noir, s’il vous plaît. »
Il versa le café dans deux grandes tasses et nous nous assîmes face à face, de part et d’autre de la table en pin. Un sourire errait sur son visage, comme s’il avait jugé cette rencontre plutôt comique, et qu’il eût seulement fait semblant d’être un adulte.
« Et maintenant, Jane… vous permettez que je vous appelle Jane ? Et il faut que vous m’appeliez Alex… pourquoi pensez-vous avoir besoin d’une thérapie ? »
Je bus une gorgée de café, et je sentis l’habituelle envie m’envahir.
« Je peux fumer ? »
Alex sourit à nouveau.
« Voyez-vous, Jane, une de mes idées sur la thérapie, c’est qu’il s’agit d’une sorte de jeu et, pour que cela marche, il faut que nous nous entendions sur quelques règles de base. L’une d’elles, c’est que vous ne fumez pas. J’ai des petits enfants dans cette maison. Ça veut dire que vous ne toucherez pas une cigarette pendant une heure, ça sera au moins ça de gagné, même si vous n’arrivez à rien d’autre. L’autre avantage de cette règle, c’est que je n’ai aucune difficulté à m’y plier, car je ne fume pas. Il y a donc de bonnes chances que je sois détendu et en situation de contrôle, tandis que vous souffrirez nerveusement de la privation de nicotine, et c’est excellent aussi, tout au moins pour moi.
— Très bien, je m’en passerai.
— Parfait. Et maintenant, parlez-moi de vous. »
J’inspirai profondément et lui exposai ma situation, là, en buvant mon café – il m’en resservit une tasse – dans cette cuisine, les coudes posés sur cette table poisseuse. Je lui racontai ma séparation et la découverte du cadavre de Natalie. Je parlai un peu de la famille Martello, ce merveilleux groupe très fermé auquel nous devions tous nous sentir privilégiés d’appartenir. Je décrivis ma vie de célibataire à Londres et ses déceptions, sans toutefois évoquer mon escapade sexuelle. Cela me prit un long moment et, lorsque j’eus terminé, Alex attendit un moment avant de répondre. Ses premiers mots furent pour m’offrir encore du café. Je me sentis un peu déçue.
« Non merci. Si j’en prends trop, j’ai la tremblote. »
Il caressait du doigt le bord de sa tasse d’une manière un peu nerveuse.
« Jane, vous n’avez pas répondu à ma question.
— Mais si. Je vous ai dit que je n’en voulais plus. » Alex rit.
« Non, je veux dire, pourquoi estimez-vous avoir besoin d’une thérapie ?
— C’est évident, non ?
— Pas pour moi. Écoutez, vous devez apprendre à vivre seule après, combien ? vingt et un ans de mariage. Aviez-vous déjà vécu seule ? »
Je secouai la tête.
« Bienvenue dans le monde des célibataires, déclara Alex d’une voix ironique. Figurez-vous que je rêve parfois de ce que serait ma vie, si je n’étais pas marié et si je n’avais pas eu d’enfants. Je pourrais brusquement décider, le soir, d’aller voir un film ou de prendre un verre dans un bar. Il m’arrive peut-être de temps en temps de rencontrer une femme dans une soirée et je me dis que, si j’étais seul, je pourrais avoir une aventure avec elle et ce serait très agréable. Mais si je me trouvais soudain seul, ce ne serait pas du tout comme ça. Je serais peut-être un peu euphorique au début. J’aurais peut-être même une ou deux expériences sexuelles. Mais toutes les choses auxquelles j’aurais été habitué, le réconfort de retrouver les gens que je connais en rentrant chez moi, tout cela aurait disparu. Ce serait très dur.
— Je croyais que c’était moi qui devais parler. »
Alex se remit à rire.
« Qui vous l’a dit ? Vous avez sans doute trop lu Freud. À votre place, je ne me fierais pas trop à un homme qui s’est psychanalysé en même temps que sa propre fille. Quoi qu’il en soit, non seulement vous avez à affronter tout cela, mais en plus vous avez là une tragédie familiale très nette. Vous avez parfaitement le droit d’être malheureuse pendant un certain temps. Souhaitez-vous que je vous en délivre d’un coup de baguette magique ?
— Ce serait tentant.
— Permettez-moi de vous proposer un diagnostic très général, Jane, et qui est offert par la maison. Je pense que vous êtes une femme solide et que vous n’aimez pas vous sentir impuissante, vous ne voulez pas que les gens aient pitié de vous. Voilà le problème. Et voici mon commentaire : la vie est dure. Autorisez-vous à accepter cela. Vous pourriez venir parler avec moi, bien sûr, mais vous pourriez aussi dépenser votre argent autrement. Vous pourriez vous faire masser une fois par semaine, aller vous régaler dans des petits bistrots, partir en vacances quelque part où il ferait chaud. »
Ce fut à mon tour de rire.
« Eh, voilà qui est vraiment tentant. »
Nous souriions tous deux, et un silence un peu embarrassant s’installa entre nous. C’était le genre de temps mort que, en d’autres circonstances, j’aurais envisagé de combler en embrassant Alex.
« Alex, je déteste dire “mais sérieusement”… Mais sérieusement, hier soir j’ai bavardé avec mon frère, qui, incidemment, s’est mis dans la tête l’idée délirante de faire un film sur la famille, de sorte que vous pourrez bientôt tout savoir de mes problèmes en regardant BBC2. Et Paul – c’est le nom de mon frère – parlait de notre enfance dorée. J’ai toujours eu, moi aussi, cette image de notre enfance dorée, mais, pendant qu’il en parlait avec nostalgie, quelque chose en moi disait non, non, non. Ces derniers jours, j’ai été préoccupée par une image. Sans doute est-ce parce qu’on a retrouvé Natalie. Mais je songeais à mon enfance dorée, dorée avec un trou noir au milieu, et je n’arrive pas à mettre le doigt dessus, je ne sais pas ce que c’est. C’est là, en quelque sorte, à la limite de mon champ de vision mais quand je me tourne pour regarder, ça s’en va, ça retourne se loger à l’extrême limite. Je suis désolée, c’est sans doute incohérent. Cela n’a même pas de sens pour moi. En un sens, je m’écoute parler dans l’espoir de comprendre. Ce que je vous demande, c’est peut-être de me faire confiance quand j’ai l’impression qu’il y a quelque chose qui mérite d’être creusé derrière tout cela. »
Pendant ce long discours incohérent, je gardai les yeux fixés sur la table et, à la fin, je les relevai, presque effrayée d’avoir à affronter le regard d’Alex. Il avait les sourcils froncés, avec une expression de concentration aiguë que je ne lui avais pas vue jusque-là.
« Vous avez peut-être raison », dit-il, presque dans un murmure.
Il prit ma tasse et la posa dans l’évier, avec la sienne. Au lieu de se rasseoir, il se mit à faire les cent pas. Je ne savais pas s’il fallait que je dise quelque chose, mais je m’abstins. Il finit par se rasseoir.
« Vous avez probablement des idées fausses sur la cure psychanalytique. Peut-être avez-vous vu des films où le problème psychologique de quelqu’un se trouve résolu d’une façon spectaculaire. Peut-être avez-vous des amis drogués à l’analyse, qui vous parlent du bonheur merveilleux qu’ils ont ressenti à mieux comprendre leurs problèmes. Ce n’est pas impossible, mais si vous y avez consacré trois heures par semaine pendant cinq ans et vingt mille livres sterling, c’est un gros investissement.
— Alors, pourquoi… ? »
Alex leva la main pour me faire taire.
« Votre cas m’intéresse, sérieusement. Je pense que nous pourrions parvenir à quelque chose. Mais je pense qu’il va falloir commencer par préciser certains points. La cure, ce n’est pas comme aller consulter un médecin à propos d’une infection ou d’une jambe cassée. Vous pourriez me demander si je vais vous apporter une amélioration, et nous pourrions soutenir une discussion philosophique très ennuyeuse pour déterminer si je vais vous être d’une aide quelconque, ou ce que nous entendons par amélioration.
— Je ne cherche pas de réponse facile.
— Je ne le pense pas, en effet. Aussi – et je vais être aussi clair que possible – laissez-moi vous expliquer ce qui peut se produire ou non. Et permettez-moi, à ce sujet, de vous mettre en garde. Peut-être avez-vous l’impression, comme beaucoup de gens, qu’il ne peut rien exister de plus agréable que de passer deux ou trois heures par semaine à parler de vos problèmes pour vous soulager. D’après mon expérience, ce n’est pratiquement jamais le cas. Une thérapie peut se révéler désagréable. Comment pourrais-je vous décrire ça ? »
Alex parcourut la cuisine des yeux et sourit.
« Le désordre de cette cuisine vous horrifie probablement. Moi, il me déprime, et il met ma femme hors d’elle. Alors pourquoi ne rangeons-nous pas ? Eh bien, il a beau être affreux, nous y sommes habitués, en vérité, et nous retrouvons très rapidement ce que nous cherchons. Si je commençais à ranger, cela reviendrait à aggraver encore le chantier pendant un certain temps, puisqu’il faudrait commencer par vider tous les placards. Il y aurait un moment où tout serait pire, avec le risque supplémentaire de perdre courage et de tout laisser dans cet état désastreux. Et cela continuerait à paraître pire jusqu’à l’ultime instant précédant la fin du rangement. Et même à ce moment-là, ce ne serait peut-être pas aussi confortable qu’avant. Même si en théorie le nouveau rangement devrait être plus fonctionnel, nous serions sans doute incapables dans la pratique de nous y retrouver mieux, car nous serions encore accoutumés à l’ancien désordre. Alors, vous voyez, je suis une publicité vivante pour ce qui est de laisser les choses en l’état.
« Il se peut même que vous n’arriviez à rien. Je ne prétends absolument pas qu’après, disons, six mois ou un an, vous soyez plus heureuse ou plus apte à affronter les problèmes pratiques de votre vie. Vous vivrez toujours dans un monde où les gens meurent et vivent des conflits insolubles. Mais je vous garantis au moins une chose. Votre vie en ce moment ressemble sans doute à un carnet rempli d’impressions et de notes décousues. Peut-être pourrai-je vous aider à en faire un récit que vous comprendrez. Cela peut vous aider à prendre votre vie en main et même, peut-être, à mieux la contrôler.
« C’est tout de même quelque chose, et c’est le moins que nous puissions espérer. Il y a aussi d’autres possibilités. Laissez-moi vous donner un exemple hypothétique. Je suis intrigué par la manière dont vous racontez que votre belle-sœur a été enterrée là, au cœur du paysage de votre enfance. C’est une image révélatrice. Certains d’entre nous ont des cadavres dans la tête, cachés, qui attendent d’être découverts.
— Comment cela ?
— Ne vous inquiétez pas, c’est juste une idée, une image.
— Et pour l’aspect pratique ? Comment procédons-nous ?
— Bien. Maintenant, c’est direct. Je veux vous voir deux fois par semaine pendant une heure, qui dure en vérité cinquante minutes. Mes honoraires s’élèvent à trente-huit livres par séance, payables d’avance au début de chaque semaine. Comme je vous l’ai dit, je comprendrais parfaitement que vous ne fassiez pas de thérapie du tout. Je peux vous assurer pratiquement à cent pour cent que, d’ici environ un an, vous vous sentirez beaucoup mieux, avec ou sans thérapie. La souffrance causée par la réapparition de votre belle-sœur se sera atténuée, et vous vous serez habituée à votre nouvelle vie. Mais si vous décidez de poursuivre, et j’espère que vous le ferez, il faut que vous preniez un engagement. J’entends par là que les séances sont sacrées, qu’il ne faut les manquer sous aucun prétexte : travail, maladie, circonstances sentimentales ou sexuelles, découragement, lassitude ou autre. Si vous vous cassez la jambe, profitez d’un déplacement pour venir. Naturellement, vous êtes parfaitement libre d’interrompre la thérapie quand vous le voulez, mais je pense que vous devriez personnellement prendre l’engagement de tenir un certain temps, au moins quatre ou cinq mois. Et aussi celui de donner une chance à la cure. En termes émotionnels et intellectuels. Je sais que vous êtes intelligente et que vous avez sans doute lu Freud plus récemment que moi. Si vous venez ici et que vous commencez à vouloir parler de transfert, auquel je ne crois pas du tout, nous perdrons tous les deux notre temps, et vous votre argent. Voilà. Est-ce que j’ai tout dit ?
— Ce sera comme maintenant ? demandai-je. Assis dans votre cuisine, à boire du café en bavardant ?
— Non. Comme vous le disiez, ceci est juste un entretien détendu, où nous fixons les règles. Quand nous commencerons, il va falloir aller sur le terrain et nous mettre à jouer sérieusement. À mon avis, pour que cela marche, il faut suivre un rituel, il faut que ce soit distinct de votre vie sociale habituelle. Et donc, si vous décidez de continuer, la prochaine fois que vous viendrez ce sera différent. Cela se déroulera dans la pièce réservée à la thérapie. »
Il employait ce mot « thérapie » comme s’il s’était agi d’un terme encombrant qu’on lui aurait imposé.
« Ce ne sera pas un rendez-vous mondain. Nous ne boirons pas de café, et nous ne bavarderons pas vraiment. Vous vous allongerez sur le divan, non pas parce qu’il s’agit d’un accessoire psychanalytique, mais précisément pour que ce ne soit pas comme aujourd’hui, confortable, sympathique, face à face. Maintenant, je vais vous demander de bien réfléchir à ce que vous voulez faire, et puis de me téléphoner.
— Je sais déjà ce que je veux faire. Je veux me lancer. Et si je ne suis pas contente de ce qui se passe, je vous promets que j’arrêterai. »
Alex sourit et me tendit la main.
« Je suppose que c’est l’engagement le plus net que je puisse obtenir de vous. Très bien, c’est entendu. »