ÉPILOGUE

« La dépression qui ces derniers jours nous avait apporté du vent froid et de la neige en provenance de Terre-Neuve semble à présent retourner vers sa région d’origine. Les températures vont remonter sur l’ensemble de la côte nord-est pour rejoindre leur normale saisonnière. Fausse alerte à l’hiver en… »

Rachel éteignit son autoradio. Le temps s’était radouci depuis la veille. Un soleil encore timide perçait les nuages résiduels. Les congères fondaient un peu partout, au grand soulagement des New-Yorkais. Skis, luges et raquettes retournaient provisoirement au fond des placards.

La jeune journaliste claqua la portière et fourra ses mains dans les poches de son cardigan. Son regard parcourut la plage. Elle aperçut la longue silhouette de Graymes, immobile face à l’océan, environné de mouettes braillardes. Il avait l’air d’un voyageur égaré, attendant un bateau qui n’accosterait jamais.

Il dut sentir sa présence, car il se tourna vers elle. Son chapeau à large bord masquait la moitié supérieure de son visage, comme la première fois où ils s’étaient rencontrés, au sommet du phare de Little Point. Elle se hâta vers lui. Elle ne pouvait s’empêcher d’avoir la gorge nouée.

— Désolée de troubler votre promenade, s’excusa-t-elle en préambule. C’est votre ami Single qui m’a dit que vous seriez ici…

— Vous ne me dérangez nullement. J’ai pris l’habitude de vous voir arriver à l’improviste, ces derniers temps…

Il souriait, attendant comme à son habitude qu’elle découvre son jeu.

— Oui, je m’en doute… Single est furieux, vous savez.

— Il n’a pas retrouvé autant de cadavres qu’il l’escomptait ?

— Il n’en a retrouvé aucun. Le nettoyage a été bien fait. À mon avis, vous n’avez pas fini d’entendre parler des adorateurs du Roi de Glace. Ils sont puissants et bien organisés. J’en parle, dans mon article. Je vous ai apporté les épreuves, si ça vous chante…

— Inutile, je vous fais entièrement confiance.

— Je n’ai que très peu parlé de vous, ainsi que vous me l’aviez demandé. Honnêtement, vous méritiez un papier à vous seul. Une autre fois ?

— Peut-être. Rien n’est immuable, dès lors qu’un fleuve peut changer sa route…

Elle ne comprit pas ce qu’il entendait par cette métaphore.

— Je vous dois une fière chandelle. Le magazine est tellement content qu’on m’envoie en Inde, figurez-vous ! Je pars demain…

— Je connais bien. C’est un beau pays, d’une grande sagesse. Il y fait plus chaud qu’ici, en tout cas.

— Vous pourriez m’accompagner…

Il secoua la tête.

— Nos chemins se séparent ici, et vous le savez.

Elle se hissa sur la pointe des pieds pour déposer un baiser furtif sur ses lèvres.

— Vous gagnez vraiment à être connu, Commandeur. À un de ces jours, j’espère…

Elle pivota et retourna à pas lents à son véhicule. Un détail lui revint soudain à l’esprit.

— Qu’avez-vous fait du chat ? lança-t-elle.

Il eut un petit rire.

— Je suis un compagnon trop sinistre pour ces petites bêtes. Je l’ai offert à mon vieil ami Jonas. Il sort bientôt de l’hôpital, ça lui fera une compagnie pendant ses livraisons.

Elle rit à son tour. Sans joie.

Elle remonta dans sa voiture et mit le contact.

Quand elle regarda de nouveau en direction de la plage, il n’y avait plus personne…

FIN.