CHAPITRE II

Rachel Dangley les vit disparaître avec soulagement. Il était temps. Elle étouffait depuis des heures à l’arrière de la camionnette, dissimulée sous une bâche infâme gorgée d’eau. Elle osa enfin pointer le nez dehors et respira à pleins poumons l’air vif, brassé par le vent du large. Elle laissa aussi la pluie rouler sur son visage avec délice. Le spectre de la syncope s’éloigna. Elle avait vraiment mis trop de zèle à s’enfouir là-dessous.

Enfin, cette affreuse balade avait pris fin.

Elle regarda autour d’elle. Elle ne distinguait que le tracé d’une côte battue par la tempête, bordée alentour de collines rocheuses, et un phare courageux cerné par l’écume, qui bataillait seul contre les éléments. Elle n’osa affirmer l’identité de cette région sauvage. Peut-être une de ces entailles obscures creusées au fil des temps par l’océan dans la terre grise de Nouvelle-Angleterre. La dernière fois que Rachel avait pu s’orienter remontait à cet arrêt dans la station-service, juste après Boston, où les deux hommes avaient fait le plein.

La jeune femme enjamba le hayon et sauta. Elle dut mettre une main en visière pour se protéger des embruns. Le vent soufflait avec une force démoniaque. Elle porta à nouveau les yeux sur le phare. Pourquoi ces types étranges s’étaient-ils arrêtés ici ? Que cherchaient-ils ? Devaient-ils rencontrer quelqu’un ?

Elle fut envahie par un mauvais pressentiment. Depuis le début, elle soupçonnait que les motifs de cette expédition hâtive n’étaient pas catholiques. Maintenant, pour un peu, elle aurait regretté d’avoir vu juste. Dans le feu de l’action, elle n’avait pas trop songé aux risques, mais à présent, le doute ébranlait sa belle détermination. Que se passerait-il s’ils la découvraient ? Rien de bon, certainement. Ils n’avaient pas l’air d’être gens à tolérer les voyeurs.

Toutefois, Rachel se ressaisit promptement.

Elle n’était pas du genre à lâcher prise. Au contraire, elle se voulait professionnelle jusqu’au bout des ongles. Et ce reportage, elle l’avait voulu. Elle avait trimé pour saisir cette occasion, n’avait économisé ni son temps, ni ses relations.

Non, pas question de laisser tomber.

Elle grimaça tout en étirant ses membres ankylosés. La pluie avait déjà trempé son blouson, dont le tissu moulait sa poitrine de façon provocante. La jeune femme se frictionna afin de réactiver sa circulation. Elle avait la nuque et les reins en compote. Elle éprouvait une furieuse envie de café chaud, de lit douillet. Elle chassa ces fantasmes irréalisables d’un battement de cils. L’heure était au pragmatisme. Lorsqu’elle vérifia le bon fonctionnement de son matériel photo, elle constata que, par chance, il ne semblait par avoir souffert des ballottements. Elle passa son Nikkon en bandoulière.

Sa décision était prise et partit à l’assaut de la jetée dévorée par les vagues.