CHAPITRE X

Rachel avait toujours une question sur le bout de la langue. Elle déployait tout son art de la persuasion – qui était grand – pour obtenir des réponses, passant de la bouderie à la séduction sans transition dans l’espoir d’arriver à ses fins. En tout état de cause, elle parlait sans cesse. Impassible, son compagnon lui opposa une fin de non-recevoir durant tout le trajet, et elle finit par rendre les armes.

— Je n’ai jamais rencontré pareille tête de mule. Sauf un vieil Indien, une fois, qui faisait semblant de ne pas parler l’anglais et riait comme une andouille. Je n’ai pas pu en tirer un mot.

— Le silence est fils de la sagesse. À plus tard.

Graymes régla la course et s’éjecta du taxi, puis pénétra dans son immeuble d’un pas tranquille. Comme à son habitude, il négligea l’ascenseur et emprunta l’escalier. Il avait une sainte horreur des ascenseurs.

— Il est en panne ? entendit-il dans son dos.

Estomaqué, il fit volte-face. Rachel lui souriait d’un air faussement candide. Son bras se détendit avec la rapidité d’un cobra, ses doigts se refermèrent sur la gorge de la jeune femme.

— Mais vous êtes fou ! Qu’est-ce que vous faites ? s’écria-t-elle, à demi asphyxiée.

Il approcha son visage du sien, à portée de baiser. Mais sa physionomie n’exprimait aucune tendresse.

— Je crois que vous n’avez pas bien compris, petit oiseau : à plus tard.

Il la fixait droit dans les yeux, pour bien lui faire comprendre qu’il ne plaisantait pas. Puis, lentement, il relâcha son étreinte et reprit son ascension, sans un regard en arrière. Sa victime s’affaissa sur l’une des marches, le souffle coupé.

Rachel marmonna quelques imprécations à l’endroit des phallocrates et des refoulés, étouffant une quinte de toux nerveuse. Elle commençait à douter du bien-fondé de son entêtement. En admettant qu’elle puisse découvrir le fin mot de tous ces mystères, rien n’indiquait que cet étrange docteur lui laisserait publier son papier. Il évoluait dans un univers de hantises et de cauchemars, où les lois humaines ne semblaient pas avoir de prise, et il était capable de tuer sans remords, sans hésitation. L’ayant vu à l’œuvre, elle ne tenait pas à sentir le tranchant de son épée sur son cou.

Malgré tout, elle décida de continuer. Depuis la nuit dernière, son enquête avait pris un tournant trop inattendu. Elle n’arrivait pas à chasser l’affreuse vision de ces deux tueurs déguisés en moines qui tentaient de la jeter dans le vide ; ni celle de ce pauvre type, pris au piège de l’iceberg. Non, vraiment, elle ne pouvait abandonner. C’était à présent plus qu’un enjeu professionnel : une question d’orgueil.

Elle retourna à la voiture, optimiste quant à ses chances. Elle n’avait pas encore abattu toutes ses cartes, et une femme comme elle n’était jamais dénuée de ressources. Un miaulement aigu la fit sursauter. Elle avait oublié le chat et manqué l’écraser sous son postérieur. Saloperie de bestiole ! Elle l’attrapa, prête à la balancer sur le trottoir. Mais elle suspendit son geste.

Une idée venait de germer dans son esprit.