2
Robert le Renard avait passé sa vieille cape par-dessus sa tenue de combat antiradiations. Ses cheveux grisonnants avaient été brûlés sur un côté. On lisait une trace d'inquiétude sur son visage, alors même qu'il s'efforçait de paraître impassible. Il serra le poignet de Jonnie et le secoua chaleureusement.
Le regard de Jonnie se posa sur ses cheveux brûlés.
- Quelles sont les pertes ?
- Légères, dit Robert le Renard. Et c'est surprenant. Ils ne veulent pas se montrer. Et cela contrarie leur tir. C'est comme de se battre sous une pluie battante. Attention, tu ne portes pas de tenue antiradiations...
- L'eau élimine les radiations au fur et à mesure que vous tirez. J'ai quelque chose à faire. Il n'y a pas de gaz respiratoire dans ce drone. Et je n'ai pas besoin de protection contre les radiations.
- Jonnie, est-ce que ce drone ne peut pas attendre jusqu'à ce que les autres exploitations minières aient été neutralisées ? Il lui faudra plus de dix-huit heures pour atteindre son but. On a réussi à déterminer sa route. Ou plutôt celle de l'avion d'escorte. Le drone a des annulateurs d'ondes.
Jonnie ouvrit la porte de l'avion. Tout semblait prêt. Il vit du pain et de la viande sur un siège. Une vieille femme surgit tout à coup devant lui avec une tasse de thé fumant qui dégageait un fort parfum de whisky. Il lui demanda ce qu'elle faisait là, dans une zone de combat.
- Tous ces hommes ne peuvent quand même pas se nourrir de balles ! rétorqua-t-elle.
Et elle émit un rire caquetant.
Robert retint Jonnie.
- Nous avons maintenu le silence radio, dit-il.
Ils s'étaient mis d'accord pour donner quatorze heures de silence radio absolu aux pilotes chargés des attaques contre les autres exploitations, dans le but de leur donner l'avantage de la surprise.
- C'est plus qu'il ne leur en faut, ajouta Robert. Nous pouvons interrompre le silence et ils convergeraient alors sur le drone et ils...
- Il se dirige droit sur l'Ecosse, dit Jonnie. C'est son premier objectif.
- Je sais.
Jonnie but son thé puis s'apprêta à grimper dans la cabine.
Une fois encore, Robert le retint.
- Il y a quelque chose que je dois te dire. (Jonnie s'immobilisa.) Il se pourrait que nous n'ayons pas touché Psychlo.
- Je sais.
- Cela signifie que nous risquons d'avoir besoin de tous les avions et de tout le matériel que nous pouvons avoir ici. Tout se trouve dans les hangars souterrains. Mais nous ne disposons pas de suffisamment d'hommes pour donner l'assaut et nous ne pouvons pas détruire ces hangars.
- Il faut voir ça avec Glencannon. Vous aurez un pilote dans moins d'une demi-heure. Vous pourrez frapper du haut des airs.
Une fois encore, il voulut monter à bord et, une fois encore, la main de Robert le Renard lui agrippa le bras.
- Il s'est passé une chose bizarre, dit-il, juste avant le coucher du soleil. Un tank s'est rendu !
Jonnie redescendit sans un mot. Il pouvait aussi bien passer les vêtements chauds dont il aurait besoin en altitude tout en écoutant ce que Robert avait à lui dire.
- Allez-y...
Robert inspira à fond mais, avant qu'il ait ouvert la bouche, un messager surgit pour lui apprendre que l'historien avait livré un nouveau stock de munitions de l'Académie. Robert le chargea de la distribution. Tout autour d'eux, des aiguilles de feu continuaient à trouer l'obscurité de la nuit.
- Le tank, dit enfin Robert, est du type « Cogneur » : « Cogne jusqu'à la Gloire ». Il est là-bas, à l'autre bout du ravin. Oh, ne t'inquiète pas. Il est bel et bien à nous. Il a surgi du garage et il s'est avancé droit sur nous. Nos bazookas l'ont touché, mais le blindage n'a même pas été égratigné. Il n'a pas riposté. Il est allé jusqu'au bout du ravin, là où il est. Ils ont passé un intercom par le sas atmosphérique et dit qu'ils voulaient parler au « chef hockner ». En échange de leur coopération, ils demandaient la vie sauve.
Jonnie enfila ses bottes.
- Oui. Continuez.
- Ça a été plutôt bizarre comme spectacle. Quand ils ont eu la garantie qu'on ne les toucherait pas, ils sont sortis du tank. Ils nous ont dit qu'ils étaient les frères Chamco. Alors, on les a interrogés. Ils ont dit qu'ils savaient que Terl les avait trahis. Il semble qu'un de leurs amis, un contremaître de la mine du nom de Char, ait été porté manquant au moment du transfert. Et ce Char aurait dit aux frères Chamco qu'un meurtre avait eu lieu. Que Terl avait assassiné le Directeur Planétaire afin d'en nommer un autre, un certain Ker. Et ce même Ker, ce soir, a refusé de les approvisionner en munitions pour leur tank. Les Chamco prétendent que Terl et Ker ont été achetés par une race qui s'appelle les « Hockners de Duraleb » et qu'ils ont lancé le drone pour anéantir les autres exploitations.
- Je suppose qu'ils ont en grande partie raison, dit Jonnie. Sauf en ce qui concerne les Hockners et le drone. Les Psychlos ont de nombreux ennemis mais, si l'on en croit leur Histoire, ils ont vaincu les Hockners il y a deux siècles. Maintenant, Sir Robert, en dépit de tout le respect que je vous dois, il me faut partir.
- Autre chose. Ils n'ont pas de carburant pour leurs tanks et leurs avions. Nous leur avons coupé les quatre issues qui mènent à la réserve. Mais il leur reste suffisamment de munitions pour les éclateurs. Quant à nous, nous manquons d'hommes...
- Quoi d'autre ? Ça me paraît plutôt de bonnes nouvelles...
- Il n'y a pas que ça. A ce qu'il semble, il existe seize niveaux souterrains là-dessous. Et chacun d'eux s'étend sur des kilomètres carrés. Avec des quartiers d'habitation, des dépôts, des garages, des bureaux, des ateliers, des hangars et des bibliothèques...
- J'ignorais que c'était aussi important, mais ça me semble également être une bonne nouvelle, non ?
- Attends. Si tout ça est touché par les radiations, notre force d'assaut sera réduite en miettes. Nous nous battons sur une véritable bombe. Si nous devons défendre la Terre, il faut absolument récupérer tout ce matériel et ces avions. Et nous en aurons besoin pour la reconstruction si nous avons réussi à faire sauter Psychlo.
- Vous aurez bientôt un appui aérien. Vous pourrez vous replier et...
- Ecoute. Les deux Chamco nous ont dit qu'ils savaient ce qui allait se passer. Ils croient que nous allons inonder tout ça avec de l'air ! Ils disent que c'est comme ça que les « Hockners », c'est-à-dire nous, en l'occurrence, ont repris le système de Duraleb. Selon eux, il n'y a pas assez de gaz et de masques là-dessous, mais le système de recyclage est bien alimenté. Ils sont ingénieurs en conception et maintenance pour ce camp et ils s'engagent à nous aider moyennant paiement. Ils disent que tous les mineurs de la planète ne reçoivent plus que la moitié de leur salaire et aucune prime. Et ils n'ont pas envie de mourir dans une « inondation d'air », comme ils disent...
Jonnie venait de manger un sandwich au pain d'avoine et au gibier séché.
- Sir Robert, dès que vous aurez votre appui aérien, vous pourrez concocter un nouveau plan d'attaque...
- A en croire les deux Chamco, le système de recyclage est extérieur et refroidi par air. Ils ont fini par admettre, en se piégeant eux-mêmes, qu'il suffit de crever les canalisations d'arrivée à partir du dispositif de refroidissement pour que les pompes aspirent l'air ambiant et l'envoient dans tout le camp.
- Alors le problème est résolu, dit Jonnie.
- Oui, mais il faut attaquer les canalisations de loin par les airs.
- Ça ne devrait pas prendre longtemps. Dès que Glencannon sera ici...
- Moi, je pense que c'est toi qui dois t'en charger. Ce n'est pas très dangereux et si tu tires à environ mille mètres...
- Oui, je peux faire ça dès que j'aurai décollé.
- Mais il faudra que tu reviennes pour vérifier...
Jonnie comprit soudain ce que Robert le Renard avait en tête. Il essayait de le retarder jusqu'à ce que tous les avions aient réussi à converger sur le drone bombardier. Et là, il prenait un très gros risque. Car les avions qui devaient attaquer les autres exploitations pouvaient très bien être en difficulté eux aussi.
- Sir Robert, essaieriez-vous de m'empêcher d'attaquer seul ce drone ?...
Le vétéran leva les mains.
- Jonnie, mon gars, tu en as déjà trop fait pour te faire tuer maintenant ! Il avait soudain un regard implorant.
Jonnie monta à bord.
- Alors, je vais avec toi !
-- Vous allez rester ici et continuer de diriger l'attaque !
A cet instant, un véhicule s'arrêta au fond du ravin et le conducteur sauta à terre avec une carabine d'assaut. Tandis qu'il courait rejoindre la ligne de feu, Glencannon s'approcha d'eux en boitant.
- Bon sang de bon sang ! lança Robert le Renard.
- Qu'est-ce qu'il y a ? fit Glencannon, quelque peu déconcerté par l'accueil. Je tiens debout. Si quelqu'un me recolle un peu les côtes et mets quelque chose autour de ma cheville, je pourrai piloter.
Robert le Renard passa un bras autour de ses épaules.
- Ce n'est pas à toi que je m'adressais, mon garçon. Je suis heureux de te voir de retour. On a du travail pour toi. Beaucoup, en vérité. Il y a des canardeurs cachés dans les anciens quartiers chinkos...
- Au revoir, Sir Robert ! lança Jonnie en refermant la porte de l'appareil.
- Bonne chance, Jonnie, dit tristement Robert.
Il savait que Jonnie irait jusqu'à se jeter sur le drone avec son avion si tout échouait. Il avait le sentiment que jamais plus il ne le reverrait. Puis il se détourna et lança des ordres à deux agents de liaison qui attendaient et qu'il avait du mal à distinguer : ses yeux étaient embués.
Jonnie lança l'avion vers le ciel à pleine vitesse pour éviter d'être repéré et abattu. Il était parti pour une mission dans laquelle l'ensemble des forces militaires de la Terre avait échoué. Tout seul.
Attendre les autres avions ?... Oui, mais le drone ne serait plus alors qu'à cinq heures de l'Ecosse. Ce serait un peu juste. A supposer qu'ils parviennent à le faire sauter, les bonbonnes de gaz exploseraient et des vents toxiques risquaient de balayer l'Ecosse et même la Suède. On pouvait évidemment pencher pour une attaque en force. Mais, même là, le succès n'était nullement garanti. Et personne n'avait jamais tenté de percuter un drone avec un avion de combat psychlo lancé à pleins gaz, faisant feu de tous ses canons. En dernier recours, cela pourrait bien tout détruire. Ou presque. Jonnie, bien entendu, n'avait pas évoqué cette tactique finale devant Sir Robert. Et il était persuadé que le vétéran n'y avait pas pensé un instant.