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Jonnie plongeait son regard dans l'abîme. A l'est, l'aube n'était qu'une ligne pâle et ténue dans le ciel.
Il n'y avait plus la moindre trace d'or dans la veine de quartz d'un blanc immaculé. On ne voyait qu'elle.
Lorsque le drone repasserait au-dessus d'eux, Terl aurait une vue du site. Et loin, très loin en dessous, encore invisible pour l'heure dans les ombres de la nuit, l'avalanche de rochers lui apprendrait la vérité.
Il essaya de s'imaginer quelle serait la réaction de Terl. Difficile à dire, car le Psychlo, sans le moindre doute, était au bord de la folie.
Jonnie ne disposait que de quelques heures avant le passage du drone.
Tout était d'un calme incroyable. Le vent du matin ne s'était pas encore levé et, alentour, les pics majestueux reflétaient la clarté du ciel.
Jonnie sortit de son immobilité, gagna une plate-forme volante et fit signe à un pilote de venir le rejoindre. Il se mit aux commandes, vola jusqu'au bord de la crevasse, puis lança l'appareil vers le fond comme une fusée. Il redressa brusquement au ras de la rivière et survola l'éboulis. Des blocs avaient roulé jusque dans le lit du torrent et la glace avait cédé sous leur poids. D'autres s'étaient accumulés pour former une nouvelle berge. Le projecteur de la plate-forme révélait l'énorme entassement.
Avec un vague espoir, Jonnie cherchait la plus infime trace de blanc qui aurait pu lui indiquer où trouver ce qui subsistait de la veine.
Mais il ne vit rien !
Ils avaient eu peut-être une tonne d'or à leur portée. Et, désormais, le métal précieux était pris sous l'avalanche de rochers, il se trouvait peut-être même tout au fond de la rivière.
Les arêtes des blocs étaient tellement aiguës et l'éboulis si chaotique qu'il était hors de question de se poser. Jonnie caressa un bref instant l'idée de dégager un espace plan. Mais, pour cela, il leur faudrait des heures de travail et le vent ne tarderait pas à souffler dans le canyon.
Non, il devait se résigner à cette idée : l'or avait bel et bien disparu.
Le vent du matin se levait. Il ne pouvait s'attarder plus longtemps ici. Il pourrait profiter de la prochaine période de calme matinal mais, pour cette fois, ils avaient atteint le délai.
En sifflant, la plate-forme remonta vers le sommet de la falaise. Déjà, elle était secouée par les premières turbulences. Jonnie se posa rapidement.
- Il faut renvoyer ces hommes en ville, dit-il à Robert le Renard.
Puis il se mit à marcher de long en large et le pasteur lui adressa un regard de sympathie.
- Mon garçon, tout n'est pas fini.
Mais, dans le regard de tous les hommes qui les entouraient, on lisait une déception immense.
Robert le Renard fixait Jonnie. Les rescapés de la mine embarquaient dans l'avion et deux pilotes étaient déjà installés devant les contrôles. On amena Dunneldeen avec beaucoup de ménagement.
- J'y arriverai ! dit soudain Jonnie, d'un ton décidé.
Robert le Renard et le pasteur s'approchèrent.
- Terl ignore que cette galerie était si près du filon. Il ne sait pas non
plus que nous n'avions pas encore atteint le filon. Quand il va voir tout ce quartz, il comprendra que nous n'avons pas réussi à l'atteindre avant le glissement de terrain. Thor ! A quelle distance étiez-vous de la fissure ?
Avec l'aide de son chef d'équipe, Thor se livra à quelques calculs rapides.
- A moins de deux mètres ! cria-t-il finalement depuis l'avion.
- Je vais tout faire sauter, alors ! décida Jonnie. Maintenant, ça n'a plus d'importance. Comme ça, la galerie aura l'air d'avoir été percée jusqu'au bout ! Ramenez-moi cet avion en vitesse avec des explosifs et un pistolet à forer !
Tandis que l'avion vibrait, prêt à décoller, il cria la liste des explosifs dont il avait besoin.
- Et surtout ramenez une autre équipe ! Il nous reste peu de temps avant le prochain passage du drone. Ne perdez pas de temps !
Il faisait grand jour à présent et Jonnie savait qu'ils pourraient voler à toute allure. l’avion décolla dans un grondement.
Jonnie se mit au travail sans perdre une minute. Il redescendit au fond du puits avec quelques outils et se fraya un passage par-dessus l'éboulis jusque dans la galerie.
Le matériel était resté sur place, ainsi que les lampes. Jonnie prit une foreuse et entreprit de percer des trous d'une quinzaine de centimètres de profondeur dans la paroi de quartz. Les deux Ecossais qui venaient de le rejoindre comprirent qu'il préparait les emplacements pour les charges d'explosif et l'imitèrent.
Pendant ce temps, les autres membres de l'équipe de secours extrayaient le reste du matériel de la galerie pour le ramener à la surface. Ils ne devaient rien gaspiller. La seule perte réelle avait été la radio, écrasée dans l'éboulement. Jamais plus cette galerie ne serait utilisée et il n'en resterait sans doute plus rien après l'explosion.
Jonnie fut surpris de voir revenir l'avion aussi vite. Il avait gardé le contact radio permanent avec la surface et il transmit la liste de ce qu'on devait lui amener.
Les explosifs arrivèrent quelques minutes après. Dans chaque trou, il introduisit du plastic et plaça sur chaque charge un gros détonateur à percussion. Il recouvrit le tout de boue et de terre bien tassées. Tout avait été prévu pour que l'explosion exerce sa pression vers le versant de la falaise.
Jonnie retourna à la surface tout en donnant ses ultimes instructions par radio tandis qu'on le hissait. On lui avait déjà préparé un harnais, et un câble avait été installé sur un treuil, au bord de la falaise.
Il se démena pour passer le harnais autour de ses épaules, sourd aux protestations de Robert le Renard qui voulait que quelqu'un d'autre le remplace. Il dit qu'il était le seul à bien connaître le maniement des explosifs, et le nombre de charges qu'ils avaient placées dans la galerie n'était pas si grand que cela, après tout.
Il s'aperçut que la descente était plus facile, à présent que la falaise était légèrement inclinée. Il tira sur un filin pour signaler qu'il était arrivé en face de la veine et, là-haut, les hommes bloquèrent le treuil.
De l'intérieur de la galerie, avec un foret très fin, il avait percé un trou vers l'extérieur. Il se mit à le chercher en se balançant devant la paroi, bloquant ses mocassins sur la roche à chaque bond.
Ça y est ! Il le tenait ! Le petit trou marquait le centre exact du cercle d'explosifs.
Le pistolet-foret qu'il avait demandé arriva en se balançant à l'extrémité d'un câble. Maintenant, la partie la plus risquée allait commencer.
Avec le pistolet-foret, il risquait de déclencher les détonateurs si l'impact était trop fort, et la paroi de la falaise lui exploserait alors au visage. Mais il n'avait pas le temps de se remettre à percer.
Il noua du cordon explosif en tresse, puis régla le pistolet-foret à la puissance minimale et fit des trous très fins dans la roche. Il y enfonça ensuite des pointes. Suspendu à près de trois cents mètres au-dessus du fond du canyon, en faisant manœuvrer le treuil, il parvint à enrouler le cordon autour des pointes. Bientôt, il eut formé un grand cercle sur la veine.
Il mit en place un câble de mise à feu électrique et le laissa se dérouler pendant qu'on le remontait.
Le temps pressait. Il ne devait plus lui rester qu'une demi-heure avant le passage du drone et il faudrait que la fumée de l'explosion soit dissipée avant.
Le dispositif de mise à feu fut placé dans l'avion. Ils montèrent tous à bord, y compris Jonnie, au cas où la falaise s'effondrerait dans l'explosion.
— Tenez-vous prêts ! lança Jonnie.
Il appuya sur le bouton de mise à feu.
Des flammes et de la fumée jaillirent du flanc de la falaise. Des blocs de quartz blanc et de roche furent projetés vers l'autre paroi du canyon.
Le sol trembla.
Mais la falaise demeura en place.
Jonnie fit monter l'avion et le plaça à la hauteur à laquelle se trouverait le drone de reconnaissance.
Il y avait à présent un trou noir dans la falaise. Comme si la galerie avait enfin atteint la veine.
Ils se posèrent très vite et s'activèrent autour du matériel. Il fallait qu'ils aient l'air de travailler. La fumée se dissipait rapidement dans le vent des montagnes.
Le bourdonnement du drone s'éleva dans le lointain.