7

Terl se dirigeait droit vers le nord, suivant une ancienne autoroute envahie par les herbes. Il était exubérant mais réfléchissait intensément. A propos des moyens de pression et de la peur. On pouvait toujours utiliser la peur lorsqu'on manquait de moyens de pression. Et il avait le sentiment qu'il était déjà parvenu à quelque chose par ce moyen : l'animal avait semblé très impressionné par le spectacle de la tranchée. Mais Terl sentait aussi qu'il était loin du compte et qu'il lui faudrait davantage employer la peur et trouver de nombreux moyens de pression pour asservir complètement l’animal.

- Ça va ? demanda Terl.

Jonnie fut arraché à sa rêverie et instantanément sur la défensive. Ce n'était pas le Terl qui lui était familier. Il était trop désinvolte. Bavard. Amical.

- Où est-ce que nous allons ? demanda-t-il.

- On fait un tour, c'est tout. C'est un tank flambant neuf. Tu ne trouves pas qu'il marche bien ?

Oui, Jonnie trouvait que le tank était plutôt bien. Sur le tableau de commandes, la plaque annonçait : Tank Mark III à usage général. Réservé aux cadres. « L'ennemi est mort ». Compagnie Minière Intergalactique. Numéro de série ET-5364724354-7. Utiliser exclusivement les cartouches et réserves de gaz FARO. « FARO, c'est le Souffle et la Vie ».

- Est-ce que « FARO » appartient à l'Intergalactique ? demanda Jonnie. Terl, un bref instant, se détourna de la conduite et le regarda d'un air soupçonneux. Puis il eut un haussement d'épaules.

- Ne surmène pas ta petite cervelle de rat à propos de l'Intergalactique et de son importance, animal. C'est un monopole et son pouvoir s'étend à toutes les galaxies. Ses dimensions sont telles qu'il te faudrait bien un millier de cervelles de rat comme la tienne pour comprendre.

- Mais tout est dirigé à partir d'une unique planète, non ?...

- Pourquoi pas ? Tu es contre ?

- Non, dit Jonnie, non... Mais ça fait peut-être beaucoup pour une seule planète.

- Le pouvoir des Psychlos n'est pas limité à ça. Il existe des dizaines de sociétés comparables à l'Intergalactique, et les Psychlos les contrôlent toutes.

- Cette planète doit être très grande, remarqua Jonnie.

- Très grande et très puissante, dit Terl, en songeant qu'un supplément de crainte n'était pas inutile. Les Psychlos ont écrasé toutes les résistances qu'ils ont rencontrées dans le passé. Il suffit d'une signature de l'Empereur, et pffuit ! Toute une race disparaît.

- Comme les Chinkos ? demanda Jonnie.

- Oui, admit Terl, qui commençait à se lasser de la discussion.

- Et comme la race humaine ?

- Exactement, et comme cet animal à cervelle de rat s'il ne se tait pas immédiatement ! fit Terl, brusquement irrité.

- Merci, dit simplement Jonnie.

- Voilà qui est mieux. On dirait même que tu deviens poli ! fit Terl. Sa bonne humeur revint, mais il en eût été autrement s'il avait su que Jonnie l'avait remercié pour un renseignement vital.

Tout à coup, ils se retrouvèrent aux franges de la cité.

- Où sommes-nous ? demanda Jonnie.

- Cet endroit s'appelait « Denver ».

Aha ! songea Jonnie. Le Grand Village s'était appelé Denver. Donc, s'il avait eu un nom, cela signifiait qu'il y avait eu d'autres villages. Il s'empara du guide Chinko et il en était au chapitre concernant la bibliothèque quand le véhicule s'arrêta brusquement.

- Où est-ce que nous sommes ? demanda Jonnie en regardant autour de lui.

En fait, ils étaient dans les faubourgs, au sud-est de la ville.

- Je savais bien que tu avais une cervelle de rat ! s'exclama Terl. C'est ici que... (Il éclata de rire et parut sur le point de s'étrangler.) C'est ici que tu as attaqué un tank !

Jonnie examinait les lieux. Oui, c'était bien ici que ça s'était passé.

- Pourquoi sommes-nous ici ? demanda-t-il enfin.

Terl lui décocha ce qui, selon lui, devait être le sourire le plus amical dont il fût capable.

- Mais nous cherchons ton cheval, animal ! Tu ne trouves pas ça bien ?

Jonnie réfléchit à toute allure. Il y avait autre chose. Et il fallait qu'il garde son calme. Il ne voyait aucune trace d'os, mais cela ne signifiait rien avec tous les animaux sauvages qui devaient rôder dans les parages. Il regarda Terl et prit conscience que la brute croyait qu'un cheval attendait son maître. Mais il était probable que Fend-le-Vent les avait suivis quelque temps avant de reprendre le chemin des montagnes.

- Dans cette région, il y a d'innombrables animaux, dit-il enfin. Pour retrouver ces deux chevaux...

- Cervelle de rat, tu ne comprends rien aux machines. Regarde.

Terl se tourna vers un large écran serti dans le tableau de commandes et sur lequel apparaissait le paysage alentour. Il tourna un bouton et le point de vue changea au fur et à mesure.

Puis il appuya sur un bouton et il y eut un bruit mat en haut du véhicule, comme une petite explosion. En regardant par la meurtrière avant, Jonnie vit un objet qui s'élevait dans l'air en tournoyant, à plus de trente mètres de hauteur. Terl joua sur un levier et l'objet s'éleva encore, puis redescendit. C'était ce que l'objet observait qui apparaissait sur l’écran.

- Voilà pourquoi tu ne peux pas t'enfuir, dit Terl. Regarde.

Il appuya sur un autre levier et le champ de l’image fut élargi. Il appuya sur une touche marquée « Poursuite thermique » et l'écran ainsi que l'engin qui tournait dans le ciel furent placés en détection automatique.

Jonnie observa divers groupes d'animaux. L'objet plongeait sur eux, l'image était agrandie, puis réduite... Chaque animal était examiné de près.

- Contente-toi de regarder et de me dire si tu vois ton cheval, dit Terl. (Il rit.) Le chef de la sécurité dirigeant le bureau des objets perdus... Tout ça parce qu'un animal a perdu un autre animal...

Cette plaisanterie déchaîna son hilarité.

Sans cesse, l'image montrait des troupeaux de bétail. Mais aussi des loups - de petits loups venus des montagnes proches, mais aussi de grandes bêtes descendues du Nord. Elle montra également des coyotes et même un serpent à sonnette. Mais pas le moindre cheval.

- Bien, déclara Terl. Nous allons faire route vers le sud. Ouvre bien les yeux, animal, et tu récupéreras ton cheval.

Ils allaient à petite vitesse et Jonnie ne quittait pas l'écran des yeux. Le temps passait et il ne voyait toujours aucun cheval.

Terl, peu à peu, fut gagné par l'irritation. Vraiment, il n'avait pas de chance. Il lui fallait absolument un moyen de pression !

- Je ne vois pas le moindre cheval, dit enfui Jonnie. Mais il savait parfaitement qu'il n'aurait pas dit un mot s'il avait aperçu la silhouette de Fend-le-Vent.

Terl se pencha sur l'écran. Droit devant eux, il y avait une petite colline entourée d'arbres sombres, couronnée de rochers. Et juste derrière, au nord, un troupeau paissait. Certaines bêtes avaient de longues cornes. La peur, se dit Terl. Employons la peur. Comme ça, la journée n'aura pas été complètement perdue. Il dirigea le tank droit sur le petit bosquet et s'arrêta.

- Sors, ordonna-t-il à Jonnie.

Il mit son masque facial et ouvrit la porte. Il lâcha la laisse, puis sortit un fusil-éclateur et un sac de grenades du compartiment placé sous son siège.

Jonnie put enfin ôter son masque. Il intervertit les bouteilles d'air avant de déposer son équipement respiratoire sur le siège. Le trajet avait été long.

Terl avait pris position à la lisière des arbres, face à la plaine, adossé aux rochers.

- Viens ici, animal ! lança-t-il.

Jonnie obéit. Sa laisse traînait derrière lui. Il n'avait pas l'intention de donner au monstre une chance de l'abattre.

- Je vais t'offrir une petite démonstration, annonça le Psychlo. J'étais le meilleur tireur de mon école. Est-ce que tu as jamais remarqué que les rats que je t'apportais avaient été tués proprement ? Parfois à plus de cinquante pas de distance. Tu ne m'écoutes pas, animal.

Non, Jonnie ne l’écoutait pas. Il avait entendu un mouvement derrière lui. Il se retourna et discerna une ouverture dans les roches. Une grotte ? A nouveau, quelque chose bougea.

Terl se pencha et tira sur la laisse. Jonnie faillit perdre l'équilibre. Mais il ne quitta pas l'orifice des yeux et porta la main à son bâton-à-tuer.

D'un geste adroit, Terl planta une grenade à l'extrémité de son fusil-éclateur.

- Regarde, dit-il.

A moins de quatre-vingts pas de là, une demi-douzaine de ruminants broutaient paisiblement l'herbe de la plaine. Il y avait deux vieux mâles redoutables, à longues cornes, et quatre vaches.

Terl leva le fusil et fit feu. La grenade décrivit un arc au-dessus du petit troupeau et éclata plus loin dans un éclair vert. L'une des vaches s'effondra, touchée par un fragment.

Les autres ruminants se mirent à courir..Ils fonçaient droit sur Terl. Il ajusta posément son tir et dit à l'adresse de Jonnie :

- Elle sont en pleine course. Comme ça, tu ne pourras pas dire que j'ai eu de la chance.

Tête baissée, les deux taureaux approchaient à toute allure, suivis de près par les vaches. Le sol résonnait sous leurs sabots. Bientôt, les bêtes furent à portée de tir.

Terl ouvrit le feu, tirant rapidement plusieurs coups successifs.

Il atteignit les vaches aux pattes et elles s'écroulèrent en meuglant.

Puis il brisa la patte avant droite du deuxième taureau. L'autre était déjà pratiquement sur eux.

Un dernier tir et le deuxième taureau tomba à moins de trois mètres dans un concert de meuglements douloureux.

Avec un sourire de triomphe, Terl regarda le troupeau. Jonnie le dévisageait avec une expression d'horreur. Derrière son masque, le Psychlo avait l’air absolument ravi. Et Jonnie eut un sursaut de répulsion. Terl lui apparaissait soudain comme... Non, il n'y avait pas de terme psychlo pour « cruel ». Il reporta son attention sur le troupeau.

A l'instant où il s'avançait en brandissant son bâton-à-tuer avec l'intention de mettre un terme aux souffrances des animaux, il perçut un son nouveau, un bruissement sourd.

Il pivota et aperçut, émergeant de l'ouverture dans les roches, le plus gigantesque grizzly qu'il eût jamais vu. L'ours monstrueux, rendu furieux par le tapage, chargeait droit sur le dos de Terl.

- Attention derrière ! hurla Jonnie.

Mais sa voix fut noyée dans le concert de meuglements des ruminants et Terl ne fit pas un geste. Il demeurait sur place, souriant férocement.

L'ours gronda.

C'est seulement alors que Terl l'entendit. Il voulut se retourner, mais il était trop tard.

Le grizzly le frappa dans le dos avec une violence telle qu'une onde de choc fit frémir l’air.

Le fusil-éclateur, brutalement éjecté des pattes du Psychlo, fut projeté vers Jonnie. Il le cueillit prestement de la main gauche.

Mais pour lui, ce ne fut qu'un bâton de plus. Il avait déjà levé son bâton-à-tuer et frappa de toutes ses forces avant que l'ours ait pu porter une nouvelle attaque. Il l’atteignit en plein sur le crâne et la bête s'arrêta net, étourdie.

Jonnie frappa une deuxième fois.

Le grizzly riposta d'un large coup de son énorme patte. Jonnie esquiva et lança encore une fois son bâton sur le crâne de la bête.

L'ours recula et happa le bâton à l'instant précis où Jonnie s'apprêtait à frapper encore, et la lanière céda avec un claquement. Jonnie saisit le fusil par le canon.

L'ours se rua sur lui, la gueule béante. Jonnie lui fracassa les crocs. Puis il leva à nouveau son bâton improvisé et rabattit sur le crâne de la bête.

Dans un grondement déchirant, le grizzly s'effondra avec une dernière convulsion.

Jonnie prit quelques pas de recul. Terl était étendu sur le côté. Il n'avait pas perdu connaissance. Derrière son masque, il avait le regard fixe et les yeux grands ouverts. Jonnie recula encore un peu. Dieu merci, sa laisse ne s'était pas accrochée pendant le combat et il n'avait pas trébuché. Il examina le fusil-éclateur : la sécurité n'était pas mise et il y avait une charge en place. L'arme portait quelques éraflures, mais elle n'était pas endommagée.

Jonnie se tourna vers Terl et le Psychlo lui rendit son regard. Il attendait, tout en faisant jouer ses griffes. Il était certain que l’animal allait lever l'arme sur lui et l'abattre. Il porta la patte à sa ceinture pour prendre son éclateur.

Si Jonnie vit le mouvement, il l’ignora. Tournant le dos à Terl, il leva le fusil et, en six coups, abrégea l’agonie des ruminants.

Il remit la sûreté avant de poser l'arme, prit un morceau de verre particulièrement tranchant dans sa bourse et entreprit de dépecer le grizzly.

Le Psychlo l'observa durant un moment avant de se dire qu'il ferait tout aussi bien d'examiner ses blessures. Son dos le faisait souffrir, il avait une estafilade au cou et du sang sur une patte. Il palpa son dos. Rien de grave. Il monta dans le véhicule et s'installa sur le siège, laissant les portes ouvertes. Il se remit à observer Jonnie.

- Tu n'as pas l'intention de mettre cette peau dans le tank ? demanda-t-il. Jonnie ne détourna pas les yeux de sa tâche.

- Je vais rattacher sur le toit.

Il eut bientôt terminé et se dirigea vers la plus jeune vache. Rapidement, adroitement. il trancha la langue et l'aloyau, coupa une cuisse et enveloppa le tout dans la peau de l'ours.

Il noua plusieurs lanières autour du ballot et l'attacha ensuite à un canon sur le toit du tank.

Puis il tendit l'éclateur à Terl.

- La sûreté est mise, dit-il simplement, tout en frottant ses doigts souillés avec une poignée d'herbe.

Terl le regardait. Employer la peur ? Quelle blague ! Cet animal ne connaissait pas la peur.

Il n'y avait plus qu'une solution : trouver des moyens de pression. Beaucoup de moyens de pression.

- Monte, dit-il enfin. Il est tard.

Terre champ de bataille - 01 - Les derniers hommes
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