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Ils avaient pris l'air et volaient cap au nord-est, gagnant rapidement de l'altitude pour plafonner à plus de quinze mille mètres. Terl était penché sur le tableau de contrôle, silencieux, l'air lointain. Jonnie était assis devant la console de copilote, la ceinture bouclée deux fois autour de sa taille. Son masque était couvert de buée. L'air était de plus en plus froid dans la cabine.
Ils avaient pris du retard parce que Terl avait tenu à vérifier personnellement tous les préparatifs du vol, comme s'il soupçonnait quelque sabotage. L'immatriculation d'origine de l'appareil comportait dix-huit chiffres et se terminait par quatre-vingt-onze. C'était un avion très ancien, rescapé de quelque guerre sur une autre planète, couvert de cicatrices et de bosses. Il avait un compartiment de vol à l'avant, comme n'importe quel avion-cargo, mais il était aussi blindé et équipé de batteries de canon air-air et air-sol.
Le corps principal, vide à présent, était prévu pour emporter, non pas du minerai, mais une troupe d'attaque de cinquante soldats. II y avait des bancs immenses, des coffres pour le matériel et des râteliers pour les fusils-éclateurs. Tous les hublots étaient blindés. Cela faisait des siècles que l'avion n'avait pas volé et encore moins transporté des troupes.
Jonnie, comprenant que la pression du gaz psychlo ne serait pas maintenue dans le compartiment, avait pensé qu'il pourrait s'y installer, mais Terl l'avait placé d'autorité dans le siège du copilote. Maintenant, il s'en réjouissait. A cette altitude, l'air était ténu et le vent soufflait à travers la cabine en milliers de doigts de glace.
Les montagnes et les plaines se déployaient sous eux. Elles paraissaient presque immobiles, bien que la vitesse de l'appareil fût hypersonique.
Bientôt, Jonnie sut qu'il contemplait le toit du monde. A l'horizon du nord, ils découvraient d'immenses étendues de glace blanche et une mer brumeuse, vert pâle. Ils ne se dirigeaient pas vers le Pôle Nord, mais ils n'en étaient guère éloignés.
L'ordinateur de la console dévidait sans cesse le ruban qui indiquait leurs positions successives. Jonnie le consulta et vit qu'ils s'orientaient un peu plus vers l'est.
- Où allons-nous ? demanda-t-il enfin.
Pendant un moment, Terl ne répondit pas. Puis il sortit brusquement une carte de l'Intergalactique Minière d'une poche de son siège et la lança à Jonnie.
- C'est le monde que tu vois, animal. Il est rond.
Jonnie déplia la carte.
- Je sais qu'il est rond. Où allons-nous ?
- Eh bien, nous n'allons pas là, dit Terl en pointant une serre vers le nord. Ce n'est que de l'eau, bien que ça ait l'air solide. De la glace. Ne te pose jamais dessus. Tu mourrais gelé.
Jonnie vit que, sur la carte, Terl avait tracé une ligne en rouge. Elle commençait à leur point de départ, traversait un continent puis une grande île, avant d'en atteindre une seconde. C'était une carte minière typique, avec des chiffres et pas un seul nom. Il traduisit mentalement par rapport à ce qu'il avait appris de géographie Chinko. En termes anciens, leur route leur faisait survoler le Canada, le nord du Groenland, puis l'Islande, avant d'atteindre le nord de l'Ecosse. Sur une carte minière, l'Ecosse correspondait au numéro 89-72-13.
Après avoir composé une nouvelle série de coordonnées, Terl mit l'appareil en pilotage automatique et prit un bidon de kerbango derrière son siège. Il remplit le bouchon du bidon et avala le liquide cul-sec.
- Animal, dit-il enfin par-dessus le ronronnement de l'avion, je vais aller recruter cinquante choses-hommes.
- Je croyais qu'il n'y en avait presque plus.
- Si, cervelle de rat. Il en existe encore certains groupes dans des endroits inaccessibles de la planète.
- Et, dit Jonnie, quand nous les aurons pris, nous les ramènerons à la « base de défense ».
Terl le regarda et acquiesça.
- Et pour ça, tu vas m'aider.
- Si je dois t'aider, il vaudrait peut-être mieux que nous discutions de la façon dont nous allons nous y prendre.
Terl haussa les épaules.
- Très simple. Tu vois ce cercle rouge : il y a un village, là, dans les montagnes. Ceci est un avion de combat. Nous allons piquer droit dessus, les paralyser avec les canons-éclateurs, et puis nous sortirons et nous chargerons à bord ceux que nous voudrons.
Jonnie le regarda :
- Non.
D'un ton hostile, Terl commença :
- Tu as promis de...
- Je sais que j'ai promis. Je dis « non » parce que ton plan ne marchera jamais.
- On peut régler ces canons pour paralyser. Ils ne servent pas forcément à tuer.
- Tu ferais peut-être mieux de me dire ce que vont faire ces hommes.
- Eh bien, tu vas leur apprendre à conduire les machines. Je croyais que tu avais au moins compris ça, cervelle de rat. Tu t'es occupé du transport des machines toi-même. Alors, qu'est-ce qui ne va pas, dans mon plan ?
- Ils ne coopéreront pas, dit Jonnie.
Terl plissa le front et réfléchit. C'était vrai qu'il n'aurait pas de moyen de pression sur les choses-hommes.
- Nous leur dirons que s'ils ne collaborent pas, nous tirerons pour de bon sur leur village.
- Je n'en doute pas, fit Jonnie. Puis il regarda Terl avec dégoût et se mit à rire.
Terl fut piqué au vif. Jonnie, à présent, se penchait de nouveau sur la carte. Il vit qu'ils contournaient une exploitation minière située au sud-ouest de l'Angleterre. Il était prêt à parier que Terl allait raser la crête des vagues pour atteindre le nord de l'Ecosse.
- Pourquoi ça ne marcherait pas ? insista le Psychlo.
- Si c'est moi qui dois les instruire, il vaut mieux me laisser aller les chercher.
Terl eut un rire pareil à un aboiement.
- Ecoute-moi, animal : si tu entrais dans ce village, ils te perceraient comme une passoire. Ce serait du suicide ! Quelle cervelle de rat !
- Si tu veux que je t'aide, dit Jonnie en montrant la carte, tu te poseras ici, sur cette montagne, et tu me laisseras faire les dix derniers kilomètres à pied.
- Et tu as l'intention de faire quoi ?
Jonnie n'entendait pas le lui dire et il répondit :
- Je te ramènerai cinquante hommes.
Terl secoua la tête.
- C'est trop risqué. Je n'ai pas passé toute une année à te former, toi, pour tout avoir à recommencer !
Puis il réalisa qu'il venait peut-être d'en dire trop. Il décocha un regard soupçonneux à Jonnie en songeant : l'animal ne doit pas se considérer comme étant important.
- Et puis merde ! Très bien, animal. Va en avant et fais-toi tuer. Un animal de plus ou de moins, quelle importance ? Où elle est, ta montagne ?
Quand ils approchèrent du nord de l'Ecosse, Terl fit descendre l'avion au ras des flots. Ils touchèrent bientôt l'eau gris-vert, franchirent une falaise et se posèrent au milieu des arbres et des broussailles pour s'immobiliser enfin sous l'aplomb d'une montagne.
Jonnie avait gagné le pari qu'il avait fait avec lui-même : Terl avait bel et bien évité l'exploitation minière qui se trouvait au sud.