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Jonnie Goodboy Tyler galopait librement dans le vaste océan d'herbe. Fend-le-Vent était lancé à grandes foulées exubérantes et le cheval de bât suivait derrière, fougueusement.

Quelle journée ! Le ciel était bleu et le vent doux et frais sur le visage de Jonnie.

Il était parti depuis deux jours et il avait atteint le bas des collines pour pénétrer dans la plus vaste plaine qu'il ait jamais pu imaginer. Derrière lui, il distinguait encore le point infime du Grand Pic. Avec le soleil, cela lui permettait d'orienter sa course et il se sentait rassuré à la pensée qu'il pourrait retrouver le chemin du village quand il le désirerait.

Aucun danger ne le menaçait ! Les troupeaux de bœufs sauvages étaient nombreux, mais il avait vécu avec eux toute sa vie. Il y avait bien quelques loups, mais après tout ce n'étaient que des loups... Jusque-là, il n'avait rencontré aucun ours, aucun puma. Pourquoi donc, par tous les dieux, restaient-ils tous claquemurés dans les montagnes ?

Et les monstres ? Où étaient les monstres ? Autant d'histoires folles !

Sans parler de ce cylindre brillant qu'il avait vu traverser le ciel tous les deux ou trois jours durant toute sa vie : où était-il ? II l'avait toujours vu passer là-haut, d'ouest en est, comme tous les astres. Mais il semblait avoir disparu.

En tout cas, étant donné la direction qu'il avait prise, il aurait dû le voir.

Pour tout dire, Jonnie Goodboy traversait une crise de confiance excessive. Et le premier désastre fut causé par les cochons.

Les cochons, d'ordinaire, étaient assez faciles à abattre - pour autant qu'on fût un peu adroit et qu'on prenne garde aux charges des vieux sangliers. Mais un petit porcelet, c'était exactement ce qu'il fallait à Jonnie pour le dîner.

Dans la lumière de fin d'après-midi, droit devant lui, il venait de découvrir un troupeau compact de cochons sauvages. Il y en avait de très gros et de plus petits, mais ils étaient tous bien gras.

Il tira sur la bride de Fend-le-Vent et sauta à bas. Il s'aperçut qu'il était sous le vent et que les cochons ne tarderaient pas à le sentir s'il marchait droit sur eux.

A demi accroupi, en silence, il décrivit un demi-cercle pour se placer contre le vent.

Puis il prit son bâton en main. L'herbe haute lui arrivait presque à la taille.

Les cochons rongeaient les racines tout autour d'un creux humide où Peau devait stagner durant les saisons de pluie, le transformant en une espèce de marais. Oui, les racines devaient abonder, songea Jonnie. Il y avait là des dizaines de cochons, tous occupés à grignoter, le groin dans la terre.

Il s'avança, mètre après mètre, le corps ployé, maintenant la tête au-dessous des herbes.

A présent, il n'était plus qu'à quelques pas des plus proches. Silencieux, il se redressa, lentement, jusqu'à ce que ses yeux émergent de l’océan d'herbe. Tout près de là, à trois portées de bras, il vit un jeune pourceau, une cible facile.

Et voilà mon dîner, souffla Jonnie entre ses dents. Il leva son bâton-à-tuer et l'abattit sur la tête du porc.

Il poussa un couinement strident et tomba, mort.

Mais ce ne fut pas tout. Immédiatement, ce fut la confusion.

A la droite de Jonnie, un peu à l'arrière et jusqu'alors dissimulé à son regard par les hautes herbes, un sanglier de cinq cents livres, repu, s'était assoupi.

Le couinement du porcelet agit à la façon d'un coup de fouet sur l'ensemble du troupeau et toutes les bêtes chargèrent en même temps, droit sur les montures de Jonnie.

Pour le gros sanglier, voir c'était charger.

Jonnie eut l'impression de se trouver pris dans une avalanche. En un instant, il se retrouva étendu au sol puis piétiné.

Il roula sur le côté. Mais tout le ciel, au-dessus de lui, n'était qu'un ventre de sanglier. En fait, il ne voyait rien mais il sentait ces crocs et ces défenses qui cherchaient à le blesser.

Il roula encore une fois sur le côté. Les couinements féroces se mêlaient au grondement du sang dans ses oreilles.

Une troisième fois, il roula sur lui-même et, cette fois, il vit la lumière du jour et le dos d'une bête.

En un clin d'œil, il se retrouva sur le sanglier.

Il lui passa un bras autour du garrot et serra.

La bête rua et se cabra sous lui comme un cheval rétif.

Il serra jusqu'à ce qu'il entende craquer les tendons.

Et le sanglier, étouffé, s'effondra en tressautant.

Jonnie sauta au sol et battit en retraite. La bête ahanait. Puis elle se redressa en vacillant et, ne voyant plus d'adversaire, elle s'éloigna d'un trot hésitant.

Jonnie alla ramasser le pourceau sans quitter de l'œil le sanglier qui s'éloignait. La bête, bien qu'apparemment furieuse, agitée de soubresauts rageurs, mais ne voyant toujours personne devant elle, ne tarda pas à suivre la piste du troupeau à travers l'herbe piétinée.

Le troupeau avait disparu.

De même que les chevaux !

Plus de chevaux ! Jonnie demeura figé sur place avec le porcelet entre ses bras. Il n'avait plus d'éclats de roc pour le dépecer. Plus de silex pour allumer le feu et le faire rôtir. Et il n'avait plus de montures.

Cela aurait pu être pire. Il examina ses jambes, s'attendant à voir des blessures laissées par les défenses du sanglier. Mais il n'en vit aucune. Il avait le dos et le visage douloureux à la suite du choc et de sa chute, mais c'était tout.

Il s'adressa quelques jurons silencieux — il était plus honteux qu'effrayé — puis suivit la piste d'herbe foulée, Après un temps, il se sentit moins déprimé et presque optimiste. Il se mit à siffler son cheval. Ses montures n'avaient certainement pas fui devant le troupeau de cochons mais s'étaient probablement éloignées pour se mettre à l'abri quelque part.

Le crépuscule venait quand il aperçut Fend-le-Vent à quelque distance, broutant paisiblement.

Le cheval leva la tête et le regarda avec Pair de dire : « Mais où étais-tu donc passé ? », avant de venir vers lui avec une sorte de rictus moqueur et de le cogner affectueusement du museau.

Il fallut encore dix minutes de recherches angoissées à Jonnie pour retrouver enfin le cheval de bât et son ballot.

Puis il revint sur ses pas jusqu'auprès d'une petite source qu'ils avaient rencontrée et établit son campement. Ensuite, il entreprit de se confectionner une ceinture et une besace dans laquelle il mit des pierres acérées, un silex et de l'amadou. Il se tressa une lanière plus solide pour son gros bâton-à-tuer et la noua à sa ceinture. Il n'avait pas l'intention de se laisser surprendre une seconde fois les mains nues dans la vaste prairie. Certainement pas.

Cette nuit-là, il rêva de Chrissie étranglée par des porcs. Chrissie piétinée par des ours, déchiquetée par des sabots tandis qu'il voyait tout cela impuissant, du haut du ciel, dans le domaine des esprits.

Terre champ de bataille - 01 - Les derniers hommes
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