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Une chose à la fois, se dit Jonnie. Fais chaque chose correctement. Et dans l'ordre. Il avait lu ça dans un livre-d'homme, à la bibliothèque. Il cherchait à s'informer sur les traitements antiradiations et avait fini par découvrir quelques ouvrages sur le sujet. Mais il avait aussi trouvé ce livre qui concernait la confusion et les moyens d'en venir à bout. Apparemment, la confusion était dû à un afflux d'événements. Et c'était bien ce qui se passait en ce moment ! Le drone, l'éventualité d'une contre-attaque de Psychlo, l'issue de la bataille du camp; et aucun rapport, pour le moment, concernant les attaques des autres exploitations minières. Dans une telle confusion, on pouvait commettre une faute, et même paniquer. Il fallait garder son calme. Aborder une seule chose à la fois.
Depuis qu'ils étaient partis, Danseuse avait galopé ventre à terre. Ce n'était pas très raisonnable. Il risquait de l'épuiser rapidement. Il se mit à alterner le trot et le galop. Son souffle redevint régulier. La lumière diminuait. Une chute stupide pouvait tout compromettre. Il continua d'alterner le trot et le galop. Trente kilomètres. Ils y arriveraient.
Il avait une radio de mine dans sa poche. Un petit modèle, selon les normes psychlos. Après quinze kilomètres, il tenta de joindre Glencannon, le pilote de Thor. Celui-ci lui répondit deux kilomètres plus loin. Sa voix lui parvenait très faiblement :
- C'est toi, MacTyler ?
- De l'endroit où tu es, est-ce que tu peux apercevoir un cheval qui court ?
Il y eut un long silence, puis :
- Oui. Tu es à environ cinq kilomètres de moi, au nord-est. Tas eu Terl ?
- Oui. Il est très pris en ce moment.
Il y eut un nouveau silence, suivi d'un éclat de rire. La voix de Glencannon parut moins tendue lorsqu’il demanda :
- Qu'est-ce qu'il voulait faire ?
C'était une trop longue histoire, songea Jonnie. Pas le temps de la raconter à présent. Du calme.
- Les filles sont en sécurité. Thor est blessé, mais ça ira.
Il entendit un soupir de soulagement.
- Est-ce que tu peux encore piloter ? demanda Jonnie.
Une pause.
- J'ai quelques côtes enfoncées et je me suis tordu une cheville. C'est pour ça que je mets tout ce temps pour rejoindre le camp. Mais... oui. Bien sûr que je peux piloter, MacTyler.
- Alors continue à te diriger vers le camp. Prépare une lampe pour signaler ta position. Je vais t'envoyer un véhicule. Ils vont avoir besoin d'un appui aérien.
- J'ai une lampe. Pour l'appui aérien, je suis navré.
- C'était de ma faute. Bonne chance.
Danseuse alternait le trot et le galop.
Non, les choses étaient loin d'être désespérées, se dit Jonnie. Il fallait seulement rester calme. Ils avaient toutes leurs chances. Et des trésors les attendaient. Ils s'étaient mis d'accord pour ne pas faire sauter l'ensemble du camp. L'historien voulait la bibliothèque, et Angus les ateliers. A l'évidence, ils n'avaient pas fait usage de balles radioactives contre les dômes. Et ils avaient encore le contrôle des airs, si l'on exceptait le drone bombardier et son avion d'escorte.
A huit kilomètres de distance, il essaya de joindre Robert le Renard, avec l'espoir qu'il y avait encore quelqu'un auprès de la radio. Ce fut l'instituteur qui lui répondit, et Jonnie fut surpris car il était parmi les quatre non-combattants avec le pasteur, la vieille femme et l'historien. Quelques secondes après, il put entendre la voix d'un Robert soulagé.
- Les filles sont saines et sauves, lui dit-il.
Un silence suivit. Vraisemblablement, Robert le Renard faisait passer le mot. Quand le micro fut rouvert, Jonnie perçut des appels joyeux et il comprit qu'ils avaient appris la nouvelle.
- Nous tenons bon, reprit Robert le Renard. Il faudra que je te parle de quelque chose quand tu arriveras. Je ne peux pas le faire sur cette fréquence ouverte.
Danseuse s'engagea dans un bouquet d'arbres. Il faisait très sombre.
- Ces singes ne connaissent pas l'anglais, dit Jonnie.
- Ce n'est pas ça. Je ne peux rien dire. Quand comptes-tu être là ?
- Dans un quart d'heure environ.
- Passe par le ravin du nord. Nous essuyons des tirs lourds à proximité du camp.
- D'accord. Est-ce que les avions sont en état de voler ?
- On les a remorqués à l'abri, dans le ravin. Mais nous n'avons pas un seul pilote.
- Je sais. Maintenant, écoutez bien. Débrouillez-vous pour faire charger dans un avion ce que je vais vous dire : des vêtements chauds, un manteau, des mitaines. C'est pour moi. Des vivres aussi, quelques mines à ventouse non radioactives, une carabine d'assaut et un masque respiratoire avec de nombreuses bouteilles d'air. Je vais voler à cinquante mille mètres.
Il y eut un silence prolongé et Jonnie demanda :
- Vous avez compris ?
- Oui. Ce sera fait.
Mais Robert le Renard n'avait pas l'air très enthousiaste.
- Il faut aussi envoyer deux véhicules. (Il indiqua les positions.) Il faudrait également un ou deux hommes pour ramener Terl.
- Terl ?
- Mais oui, tout ce qu'il y a de plus vrai. Faites-moi préparer cet avion. Je décollerai immédiatement.
Un autre silence, puis :
- Ce sera fait.
Et Robert le Renard quitta les ondes.
Environ cinq minutes plus tard, un véhicule le croisa. Il se dirigeait vers le nord. Jonnie vit qu'il y avait à bord le pasteur, une vieille femme, ainsi qu'un jeune Ecossais avec un bras en écharpe. Le pasteur leva la main comme pour une bénédiction - mais non, c'était un salut ! Ils allaient récupérer les filles, Thor et Terl. Jonnie remarqua un rouleau d'épaisse corde à treuil à l'arrière. La vieille femme tenait un fusil-éclateur.
Depuis quelques instants, le fracas de la bataille se faisait plus fort. L'eau du système anti-incendie continuait de jaillir à plus de cinquante mètres de haut. Les étincelles bleu-vert des éclateurs crépitaient sous l'averse... Dans la clarté des projecteurs qui avaient été allumés tout autour du camp, les canons et les carabines d'assaut lançaient des éclairs orangés.
Jonnie lança Danseuse dans le ravin nord et s'arrêta entre deux avions. Des traits ardents d'éclateurs lacéraient le ciel. La jument haletait, couverte d'écume. Mais elle n'était pas épuisée. Une chose à la fois, se répéta Jonnie. Tu l'auras, ce drone.